« Mais enfin, Judith ! Tu comptes vraiment dilapider tout notre budget en photocopies ? »
« Oh, t'inquiète pas, Doug, ils vont juste te déduire un peu sur ta paie », répondis-je en souriant, essayant de dédramatiser la situation. Doug, mon meilleur ami et bibliothécaire à l'université, leva ses yeux sombres au-dessus de ses lunettes imposantes. « Considère ça comme ta petite contribution aux œuvres caritatives. »
Son rire secut le silence studieux de la bibliothèque, attirant quelques regards curieux des étudiants qui bûchaient autour. « Oui, avec les milliards que je gagne ici, c'est sûr que ça va me ruiner », se moqua-t-il en agitant la main avec un geste théâtral. « Sérieusement, tu crois que je serais là, à numériser des bouquins poussiéreux et à ramasser les miettes dans des vieux grimoires, si j'avais autant d'argent ? »
Sa réplique me fit sourire, même si en réalité je me fichais pas mal du coût des photocopies. J'avais une mission bien plus urgente en tête, et rien ne pouvait m'en détourner.
Je tenais une photo d'Endrick, mon frère, son sourire éclatant figé sur le papier. Un vide s'ouvrit dans ma poitrine à l'idée qu'il pouvait ne plus être là, quelque part dans ce vaste monde. Ses cheveux blonds, toujours en désordre, étaient un peu plus foncés que les miens. Nous partagions ces mêmes yeux bleu nuit, bien que les siens reflétaient toujours une insouciance enfantine, alors que les miens, plus sérieux, témoignaient d'un fardeau plus lourd. Sa peau, dorée par des heures passées à surfer, contrastait avec la pâleur de ma propre carnation, presque translucide tant je sortais peu.
Une larme traîtresse glissa le long de ma joue, mais je la refoulai. C'était trop difficile à admettre, mais j'étais seule dans cette quête pour retrouver Endrick. Après avoir déposé un rapport à la police de New York, où l'indifférence du réceptionniste m'avait glacé le sang, j'avais compris que personne ne se soucierait autant de sa disparition que moi. Peut-être qu'ils étaient blasés par la masse de plaintes similaires qu'ils recevaient chaque jour, mais je ne pouvais pas accepter que la vie de mon frère devienne juste une statistique de plus.
Doug interrompit mes pensées. « Sérieusement, quand tu le retrouves, dis-lui que je lui botterai les fesses pour avoir osé disparaître comme ça. »
« Tu rigoles ? Après ce que je vais lui faire, il ne restera plus grand-chose pour toi », plaisantai-je, bien que je savais que Doug voyait au travers de mon masque. Il avait tenté de me dissuader de partir, me disant que c'était trop dangereux, que tôt ou tard Endrick se manifesterait. Mais j'étais déterminée. Même son humour, aujourd'hui, n'était qu'une tentative de me rassurer.
Il m'embrassa doucement sur le front. « Fais gaffe à toi, Judith. Si je pouvais échanger mes heures ici, je serais avec toi en ce moment. Mais tu sais, quelqu'un doit bien supporter cette odeur de vieux livres. »
Je ris de bon cœur. « Ne fais pas genre que tu détestes ça. Tu aimes trop cette bibliothèque, tu la connais mieux que personne. D'ailleurs, au lieu de passer tes journées à lire des ragots sur ton iPad, tu devrais ouvrir un vrai bouquin, pour changer. »
Il éclata de rire. « Touché ! Bon, deux appels par jour minimum et tu promets de ne pas te balader seule la nuit. Deal ? »
« Deal. »
« Parfait, maintenant va, et ramène-moi ce frère disparu. »