La planète 261 GX était la treizième planète du système 261. Ce système bisolaire de quatorze planètes avait été colonisé deux milliards d’années plus tôt. Rares sont les systèmes bisolaires stables et, aujourd’hui encore, le 261 est le seul à avoir été colonisé. Quant à GX, c’était une petite planète de vingt et un mille kilomètres de circonférence avec trois satellites dont deux visibles exclusivement la nuit. Les presque deux milliards d’âmes peuplant 261 GX se partageaient les deux uniques continents de la planète.
Avarion, le continent ouest, était le plus peuplé avec les deux tiers de la population. Endrophar concentrait la quasi-totalité du reste de la population en sa capitale Arcantyr, mégalopole titanesque tout en hauteur, de près de trois cents kilomètres carrés. Sa particularité : deux immenses pyramides de verre et de différents alliages, nommées Sylfidre et Polme. Ces deux villes dans la ville prenaient leur source à quelques centaines de mètres sous terre pour monter à plus de trois mille mètres d’altitude. Leur base au sol couvrait environ cinq kilomètres carrés et davantage encore sous la surface.
Si le continent ouest de 261 GX était le plus représentatif de la planète avec ses villes dédiées à l’administration du système, Endrophar, et en particulier Arcantyr, était le refuge de bon nombre de gangs de rue. Kamais était un ancien membre de la Corp, un gang sévissant au nord de la ville. Ce matin, le jeune humain de vingt et un ans essayait de retrouver la trace du gang des Rollers afin de s’y intégrer. Il tenait à la main une batte métallique qu’il ne quittait pour ainsi dire jamais. Il l’avait fait graver à son nom, juste à côté d’un petit personnage le représentant sur ses rollers modifiés. Il longeait la grande avenue piétonne de l’arche de l’espoir. Dans la capitale, toutes les rues étaient réservées aux déplacements piétonniers, ce qui incluait en réalité toutes les formes de bicyclettes, de rollers ou de véhicules mono-utilisateurs. La ville était équipée d’un triple réseau de transport souterrain réparti sur trois niveaux. Au premier niveau et facilement visible par les piétons se trouvait le réseau routier. En dessous se trouvaient les réseaux ferroviaire (les métros) et magnéto-hydrodynamique pour les plus grandes distances.
Kamais venait de s’arrêter devant la vitrine d’un magasin de sport au moment où un homme lui posa une main sur l’épaule. Il s’agissait d’Eagle, le chef de la Corp, qui n’avait pas apprécié le départ du jeune homme, la veille. Il n’était pas venu seul et, vu l’air entendu de chacun des quatre énergumènes qui l’accompagnaient, Kamais comprit qu’il devrait jouer de sa batte pour s’en débarrasser.
— Salut Kam ! fit le fameux Eagle avec une certaine désinvolture comme pour détendre l’atmosphère.
— Qu’est-ce que tu me veux encore ? questionna Kamais, agacé.
— Tu sais très bien ce que je veux, reprit-il en haussant légèrement le ton. Tu ne quitteras pas la Corp sans mon accord…
— Tu te crois dans un film, coupa Kamais, qui tapotait du bout de sa batte le torse de son ancien chef de bande. Je suis encore libre, que je sache. Tu rêves éveillé si tu crois me faire peur avec ta petite armée, là. T’es loin d’être un dieu tu sais.
— Tu te goures mon pote, lâcha Eagle avec un large sourire. Dieu, c’est moi !
Et comme pour appuyer ses paroles, il repoussa Kamais contre la vitrine, puis recula vivement pour laisser le champ libre à ses acolytes qui commencèrent à frapper Kamais. Le jeune humain n’eut besoin que d’une seconde pour réagir. Déjà un de ses adversaires était cloué au sol avec une mâchoire démise. Mais Kamais n’était pas le seul à être armé et lorsqu’une barre à mine lui frôla le crâne avant de faire voler en éclats la vitrine, il comprit que s’il ne prenait pas définitivement l’avantage dans les secondes qui suivaient, il y laisserait sûrement des plumes.
Il sauta alors afin d’écraser chacun de ses pieds sur ses deux assaillants les plus proches qui tombèrent à la renverse. Il profita de ce mouvement pour se jeter au travers de la vitrine brisée, roulant dans le magasin. Il fut évidemment très vite pris en chasse par les membres de la Corp, mais il avait déjà trouvé son bonheur : le rayon rollers. Il chercha rapidement sa pointure tout en enlevant ses chaussures. Ses poursuivants le retrouvèrent bien vite et il leur fit tomber l’étagère de rollers dessus afin de les ralentir. Le temps d’enfiler ses rollers et ils s’étaient dépêtrés du présentoir, le menaçant de couteaux. Kamais, nullement impressionné, avança vers eux sans hésiter. Il les désarma d’un coup de batte grâce à son allonge supérieure et en profita pour décocher un bon crochet au plus proche de lui. Ne prenant pas la peine de vérifier les conséquences de son geste, il se retourna et rebroussa chemin vers la sortie où l’attendait Eagle armé de la même barre à mine qu’il avait évitée de justesse quelque temps auparavant. Kamais prit de la vitesse, sauta, pieds en avant, sur son adversaire. Il bloqua d’un pied le coup de barre et frappa de l’autre le visage d’Eagle. Il atterrit comme il put, évitant les passants dans la rue, et adressa un dernier salut de la main à Eagle, non sans le gratifier de quelques insultes bien senties. Rapidement, Eagle et ses deux compères valides prirent Kamais en chasse, mais ce dernier était bien plus rapide. Il traversa la place de l’arche de l’espoir, construction de bois aux dimensions ridicules en comparaison des tours à stabilisateurs gyroscopiques qui l’entouraient. Une fois à bonne distance, il sauta sur le muret qui séparait la route piétonne du niveau inférieur réservé au trafic autoroutier. À cet instant, son regard croisa celui d’un autre humain. Ce dernier avait comme lui les cheveux violets et semblait l’observer. Kamais se souvint subitement qu’il était en fuite et finit par rebondir cinq mètres plus bas sur le toit d’un bus qui passait, avant de s’engouffrer dans le tunnel.
Yatsun, orphelin d’une vingtaine d’années, semblait perplexe après la disparition de Kamais. Il était accompagné d’une jeune humaine aux cheveux courts. Tous deux marchaient de l’autre côté de l’affleurement d’autoroute.
— On dirait que tu as vu un fantôme, lança la jeune fille, faisant sursauter son compagnon.
— Pas vraiment, répondit-il un peu absent. C’est le gars en rollers de l’autre côté qui m’intriguait, un peu comme si je le connaissais.
— C’est un voyou si tu veux mon avis, il serait fort étonnant que tu le connaisses.
— Probablement. Tu vas faire quoi aujourd’hui, finalement ?