Comme elle se garait quelques minutes plus tard dans le parking de son service, Elisa avait toujours les pensées toutes emplies de ses doutes et questionnements. Lui revenaient aussi en mémoire tous ses douloureux moments qu’elle avait traversé au début de sa relation avec Ousmane alors que ses parents, son père surtout, avait été catégorique dans son refus de la voir se marier à ce dernier.
Par amour pour Ousmane, elle avait sacrifié sa très belle relation avec son père tant chéri qui avait toujours était son complice et cédait à tous ses caprices au point que ses frères et sœurs disaient qu’elle était sa préférée. Très ancré dans sa foi Chrétienne, pour la première fois, celui-ci avait été en total désaccord avec elle quand elle avait lui fait part de sa décision de se convertir à l’islam pour se marier avec Ousmane.
En effet, même s’il n’avait pas tellement apprécié l’entrée de ce dernier dans sa vie alors qu’elle n’avait que dix-huit ans et venait de réussir avec brio à son baccalauréat, il avait cependant laissé faire juste pour ne pas la contrarier dans sa toute première histoire sentimentale, pensant certainement que cela n’était qu’une amourette d’adolescente qui s’estompera avec le temps. Cependant, contrairement à ce que pensait celui-ci, trois ans plus tard, elle était toujours avec Ousmane qui avait formulé son désir de concrétiser enfin cette relation.
Cela n’aurait certainement pas posé beaucoup de problèmes si le père d’Ousmane n’avait pas imposé à son fils sa conversation à l’Islam prioritairement à la célébration de cette union, ce à quoi ses parents à elle avait dit niet arguant qu’elle n’avait pas été baptisée, communiée et confirmée en grandes pompes pour qu’elle s’apostasie ainsi juste pour les beaux yeux d’un jeune homme.
Alors folle amoureuse et se disant majeure du haut de ses petits vingt-et-un ans, elle avait tenu tête à ces derniers car elle ne voyait pas sa vie sans Ousmane et était prête à tous les sacrifices pour vivre avec lui. Entrant en conflit direct avec son père, à qui sa mère reprochait de l’avoir trop gâtée et toujours cédé à ses caprices au point d’en récolter maintenant les fruits avec son entêtement à satisfaire coûte que coûte son envie de se marier, elle avait même fini par bouder la maison familiale pour aller chez sa grand-mère maternelle moins catégorique dans cette affaire.
En effet, celle-ci dont le défunt mari était d’origine cap-verdienne, était plus compatissante car se rappelant de la difficulté qu’elle avait elle-aussi eu pour faire accepter son fiancé à sa famille très traditionnaliste, et profondément ancrée dans leurs racines, qui lui avait même déjà choisi un de ses cousins germains comme futur mari depuis son enfance. Il lui avait fallu batailler ferme pour imposer son choix qu’elle ne regrettait pas pour avoir écouté la voix de son cœur et en se voyant maintenant entouré de ses adorables enfants et petits-enfants. Cependant, dans son cas, une question de religion ne se posait pas comme cela l’était pour Elisa et Ousmane.
« Puisque cet homme que tu as juste croisé un jour au détour d’une rue compte beaucoup plus pour toi que nous ta famille qui t’avons élevé, protégé et éduqué jusqu’à ce que tu deviennes la jeune femme respectable que tu es, alors soit ! A partir de cet instant même, tu peux considérer que je n’ai plus de fille qui s’appelle Elisabeth Anne Louise Diouf ! » Lui avait dit son père le jour même où il avait appris sa conversion.
Même si son reniement public par son père l’avait beaucoup affecté, de savoir qu’elle allait bientôt unir sa vie avec celle d’Ousmane n’avait pas fait réaliser à Elisa la gravité du moment. De plus, vu l’attachement que son père avait pour elle, elle se disait que c’était la colère qui avait ainsi fait parler celui-ci et, qu’avec le temps, il reviendrait à de meilleurs sentiments. Malheureusement, jusqu’à trois années plus tard, ce dernier ne lui avait pas adressé la parole et il avait fallu l’intervention de sa mère, qui s’était adoucie avec sa première grossesse, pour qu’elle puisse remettre les pieds à la maison familiale après son accouchement.
C’est le jour-même de sa sortie de la clinique que, elle tenant son nouveau-née dans les bras et Ousmane les noix de colas qu’ils avaient acheté en cours de route, ils étaient alors venus s’agenouiller devant son père pour lui demander pardon et en lui disant qu’ils ne voulaient baptiser leur enfant sans avoir au préalable sa bénédiction. Surpris d’abord par leur geste inattendu, puis attendri par la vision de sa petite-fille, ce dernier avait finalement dit leur avoir pardonné mais, même s’il avait assisté aux baptêmes de tous leurs deux enfants, avec qui il était d’ailleurs très attentionné, sa relation avec sa fille n’avait jamais plus été la même. En effet, il avait pardonné mais pas oublié car jusqu’à présent, après de vagues salutations, c’est presque toujours avec un mal-être mal dissimulé qu’il les côtoyait ensuite, Ousmane et elle, lors de leurs visites à la maison familiale.
Actuellement même, comme elle pénétrait enfin dans son bureau, après avoir traversé l’accueil du service en affichant un visage faussement souriant, Elisa pensait à son père. Bien qu’au courant du second mariage d’Ousmane, qu’elle était partie annoncer tout en pleurs à sa mère le jour même où elle l’avait su, celui-ci n’avait fait aucun commentaire ni laissé transparaître la moindre émotion.