Chapitre 1
J’étais là, allongée sur l’herbe, dans ma robe de mariée. Je sentais sur mes bras les petits brins qui me chatouillaient, une agréable sensation de plénitude envahissait tout mon être. Mon esprit vagabondait, je me noyais dans un fatras de souvenirs.
Aujourd’hui aurait dû être le jour le plus merveilleux de ma vie, le jour que toutes les femmes attendent avec un désir insoutenable, le jour de mon mariage. Seulement voilà, j’étais là, dans ce champ, seule.
Thomas et moi avions grandi ensemble, mes parents avaient acheté la maison voisine de la sienne l’année de mes quatre ans, je me souviens encore de notre première rencontre. Un petit garçon blond, aux yeux verts, avec des joues bien garnies, était venu à ma rencontre alors que je jouais dans mon jardin, nous avions échangé nos prénoms et depuis ce jour nous étions devenus inséparables.
Mon père et le sien étaient collègues de travail ; son père directeur et le mien, co-directeur d’une grande entreprise nationale de télécommunication, un poste moins bien placé, mais la paye du mois était bien arrondie. Je n’avais manqué de rien et remerciais la vie tous les jours de m’avoir donné autant de chance.
Nous avons fait toute notre scolarité dans la même école privée de notre ville où tous les bourgeois des environs avaient inscrit leurs enfants. Nous étions les meilleurs amis du monde. Toujours collés ensemble.
Dans notre adolescence, nous nous amusions à relever des défis. Défis plus bêtes les uns que les autres, mais cela nous faisait passer le temps. Le jour de mes seize ans, pour cadeau, je reçus une lettre de lui ; mon défi, si je l’acceptais, était que l’on se marie à nos vingt-quatre ans, si nous ne l’étions pas encore. Une autre lettre de ma part lui parvint avec ces simples mots : J’ACCEPTE LE DÉFI. Franchement, à seize ans, qui aurait pu se douter que ma réponse allait être prise avec sérieux, mais voilà…
Le seize avril, jour de mon anniversaire, jour de mes vingt-quatre ans, je reçus un texto pour me souhaiter un joyeux anniversaire et me donner rendez-vous dans un restaurant chic de la côte. OK, je n’avais plus vu Thomas depuis deux ans, mon doctorat en sciences me prenant tout mon temps, on ne s’était appelés qu’à de rares occasions comme Noël et le jour de l’An et… pour nos anniversaires.
Je me languissais de le revoir, il me manquait. On se disait tout avant, on arrivait à surmonter nos peurs, nos angoisses, nos troubles ensemble, en équipe. Nos échanges me manquaient. Certes, je m’étais fait des amis à la fac, mais ce n’était pas pareil.
Le lendemain, apprêtée comme jamais, une petite robe noire qui laissait voir le début de ma poitrine généreuse et m’arrivait en haut des genoux, des talons noirs également et une petite veste parme, je me rendis au rendez-vous dans ma voiture blanche toute cabossée que j’avais pu m’acheter seule à la sueur de mon front, en travaillant dans une petite supérette de la ville, pendant les vacances et les week-ends.
Thomas m’attendait à l’entrée du restaurant dans un magnifique smoking noir. Son visage avait encore changé, il s’était affiné, finies les joues gourmandes. Ses cheveux, d’un blond presque blanc étant petit, étaient devenus châtain clair. Un bouc s’était formé sur son menton maintenant carré. Il mesurait bien un mètre quatre-vingt-cinq, on devinait des bras musclés sous ses vêtements. Ses yeux, qui me semblèrent encore plus verts qu’avant, me regardaient avec un air malicieux, il était devenu un homme.
Il me prit dans ses bras avec tendresse, deux ans que je n’avais pas senti ses bras autour de moi, cette étreinte me fit du bien, oui. J’étais dans les bras de mon meilleur ami et, à ce moment-là, je me rendis compte que j’avais envie qu’il soit plus qu’un simple ami. Pourquoi aujourd’hui et pas avant, cette question me passa à l’esprit, la réponse était pour plus tard. Nous entrâmes enfin dans le restaurant après nous être dit des banalités comme « comment vas-tu ? » ou « ça faisait longtemps. »
La nuit douceétait un restaurant chic. Son chef, triplement étoilé, savait marier les ingrédients afin que toutes les saveurs éclatent en bouche.
Le restaurant disposait d’une petite réception, une dame brune d’un certain âge, avec un rouge à lèvres auburn, trop voyant à mon goût, nous mena vers notre table. Thomas avait dû prévoir ça depuis des mois, car la liste d’attente était plus grande que mon bras.
La salle du restaurant était vaste. Des tables rondes, plus ou moins grandes, étaient réparties çà et là. Les clients attablés étaient tous habillés dans un style chic. Notre table pour deux était un peu à l’écart, contre le mur côté gauche de l’entrée. Elle était recouverte d’une jolie nappe couleur rose pâle, la couleur des murs d’un gris clair se mariait très bien avec. La table était dressée avec raffinement et une bouteille de champagne dans un seau rempli de glace pilée nous attendait. Une petite musique douce en fond sonore faisait que ce lieu était comme enchanté. Le bruit de la fontaine, au milieu du restaurant, me faisait penser au bruit d’une petite rivière. Un sentiment de bien-être m’envahit.
Toute détendue, je m’assis en face de lui. Notre soirée se passa très bien, entre les souvenirs d’enfance et le récit de nos vies actuelles, aucun moment gênant, comme je le craignais, n’eut lieu. Il était devenu cadre dans l’entreprise de son père d’où son smoking grand luxe et l’invitation dans un restaurant où les plats étaient presque aussi chers que mon ordinateur portable.
À la fin de la soirée, une chose inattendue se produisit, pour moi, pas pour lui. Une chose que jamais je n’aurais pu imaginer. Sa demande en mariage. Je pense que la surprise et l’incompréhension inscrites sur mon visage se voyaient tellement que même un aveugle aurait pu le voir.
Après ce moment de stupeur, je me mis à rire tellement fort que j’eus honte pour moi quand les clients commencèrent à se retourner et à me regarder de travers. Mon rire se rompit net quand il me tendit une lettre, la lettre que j’avais écrite à mes seize ans et qui disait : j’accepte le défi.
Ne sachant plus quoi dire, je pris mon sac et partis aussitôt, sans même me retourner, laissant Thomas seul et, je ne le sus que plus tard, triste.