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Chapitres

AprĂšs la mort de sa mĂšre, Monzoko, dix-sept ans, par sa voix de crooner, aide Ă  la victoire d'un candidat aux lĂ©gislatives dans sa localitĂ©. Pour le rĂ©compenser, ce dernier lui promet de payer ses Ă©tudes et lui demande de se rendre Ă  la capitale. Malheureusement, le dĂ©sormais dĂ©putĂ© n'en fera rien ! AbandonnĂ© Ă  lui-mĂȘme, le jeune homme intĂšgre un groupe musical pour essayer de joindre les deux bouts. En sa qualitĂ© d'auteur-compositeur de gĂ©nie, il rĂ©ussit Ă  s'attirer les faveurs d'une femme d'affaires qui jouera de ses relations pour lui dĂ©crocher une invitation artistique en France. Quelle sera l'issue de cette dĂ©marche titanesque ? À PROPOS DE L'AUTEUR Muni de sa plume, Romain SokpĂ© Bally-Kenguet a explorĂ© plusieurs genres littĂ©raires. Avec Le visa, il nous guide dans une aventure artistique singuliĂšre.

Chapitre 1 No.1

NzĂ©kunzĂ© avala son souffle. À quelques jours de ses trente-sept ans, elle n'allait pas bien de la plante des pieds jusqu'Ă  la pointe des cheveux. Tellement pas bien, qu'elle gardait le lit et n'allait plus au champ pour labourer la terre afin de trouver la nourriture pour elle et pour son garçon qui vivait sous le mĂȘme toit avec elle. Cela avait commencĂ© sur les chapeaux de roue. À partir de violents maux de tĂȘte.

Tout y passait comme si on lui avait assenĂ© la nuque avec un pilon pan, pan, pan ! Tout doucement mais trĂšs sĂ»rement, elle n'avait plus l'appĂ©tit : au fil des jours, elle ne mangeait presque plus. Et elle vomissait... quoi ? Tout ce que sa bouche avalait. Elle Ă©tait pĂąle comme si elle s'Ă©tait lavĂ©e avec du lait de brebis. C'Ă©tait si fort qu'elle ne savait pas ce qui se tramait dans sa tĂȘte et mĂȘme dans son dedans. Elle le sentait, le sentait, le sentait

âžș Qu'est-ce qui m'arrive comme ça ? Je connais mon corps comme la faim de mon ventre. Je n'ai jamais Ă©tĂ© comme ça, bon sang !

Du matin au soir, elle ne faisait que ruminer ces mĂȘmes mots qui traduisaient son inquiĂ©tude. En les murmurant, elle pensait Ă  Monzoko, son unique garçon. Celui-ci avait dix-sept ans. Elle l'avait engendrĂ© avec un homme pas du tout responsable, un homme qui l'avait abandonnĂ© quelques semaines avant l'accouchement. Elle avait donc gardĂ© seule son petit. Qu'elle l'aimait comme le prĂȘtre aime le Bien-Bon-Dieu. En revanche, celui-ci aimait aussi celle qui l'avait naissance plus que tout.

S'Ă©tant aperçu que NzĂ©kunzĂ©, sa mĂšre n'allait pas bien, il Ă©tait toujours lĂ  Ă  ses cĂŽtĂ©s. Son corps gĂ©missait aussi au mĂȘme rythme que les souffrances de celle qui l'avait naissance. À croire qu'il souffrait Ă  sa place, qu'il voulait souffrir Ă  sa place.

Les jours s'Ă©coulaient et s'Ă©croulaient.

Monzoko compta sur ses doigts : oui, c'Ă©tait bien ça, une semaine. Une semaine ni plus ni moins, qu'elle Ă©tait toujours allongĂ©e sur son lit parce qu'elle allait toujours de plus en plus mal. Il Ă©tait inquiet, mĂȘme si sa mĂšre tentait de le rassurer. Et quand elle arrivait Ă  parler un tout petit peu, elle lui faisait comprendre que ce n'est qu'une fiĂšvre bĂ©nigne qui n'allait pas tarder de sortir de son corps en quatriĂšme vitesse.

Mbakoro, le pĂšre de NzĂ©kunzĂ©, le grand-pĂšre de Monzoko, avait constatĂ© lui aussi que sa fille avait beaucoup maigri, et plus ! Il en avait parlĂ© Ă  Kokondoki, sa femme. Leurs yeux accrochĂ©s Ă  leurs cƓurs se souciaient de leur unique fille. Leurs bouches l'avaient suppliĂ© de se rendre Ă  l'hĂŽpital. Mais NzĂ©kunzĂ© avait refusĂ© sĂšchement. Son baba et sa mama insistĂšrent Ă  l'idĂ©e de la faire changer d'avis. En vain. Pour elle, aller l'hĂŽpital oui mais oĂč trouver l'argent ? LĂ -bas, comment acheter sa guĂ©rison entre les mains des infirmiers corrompus jusqu'Ă  la moelle Ă©piniĂšre ? On le sait, lĂ -bas, aucune blouse blanche diplĂŽmĂ©e ou pas ne soigne un malade sans qu'on lui mouille la barbe. L'hĂŽpital de Bangassou comme les autres lieux de santĂ© du pays, on le sait bien, est un vrai mouroir. Il ne guĂ©rit jamais les malades qui y vont. Il les tue plus ou moins vite, et c'est tout : c'est comme ça, ça Ă©tĂ© toujours comme ça. Parce qu'il manque de tout. Parce les infirmiers et sage-femme n'ont pas de cƓur mais des yeux globuleux qui regardent seulement dans les poches et dans les portefeuilles des patients.

NzĂ©kunzĂ© avait toujours Ă©tĂ© son propre docteur. Par la force des choses. Parce que c'Ă©tait comme ça. Parce qu'elle avait Ă©tĂ© toujours comme ça. Parce qu'elle n'avait pas de choix. Parce qu'elle faisait confiance Ă  son sixiĂšme sens et demi qui n'avait cessĂ© de lui rĂ©pĂ©ter ceci : « on n'est jamais mieux soignĂ© que par soi-mĂȘme ». Parce que son cƓur avait toujours dit Ă  ses oreilles que la va vie c'est la vie, que c'est ça la vie, que c'est comme ça la vie pour quelqu'un comme elle qui avait trois fois rien dans son portefeuille qui Ă©tait souvent trouĂ© par la dĂšche. C'est pour cette raison que souventes fois, lorsqu'elle tombait malade, elle gagnait la forĂȘt qui ceinturait le champ que ses parents lui avaient lĂ©guĂ©. Elle y recueillait des plantes mĂ©dicamenteuses aprĂšs avoir un peu devinĂ© ce qui maladaitet parasitait son corps et elle se soignait Ă  sa façon-maniĂšre. Cette fois encore, elle avait avalĂ© ses propres dĂ©coctions et sucĂ© son propre choix de racines. Dans sa tĂȘte, dans ses yeux et mĂȘme dans ses oreilles, sa guĂ©rison n'allait pas tarder... et que trĂšs vite elle reprendrait le chemin des champs... du marchĂ©... des basket-arrosĂ©s que les bouche-paroles de sa terre-naissance appellent aussi bals poussiĂšre entrecoupĂ©s par des moments de contes.

Les jours s'Ă©taient encore additionnĂ©s, et voilĂ  qu'un jeudi matin, ses membres ankylosĂ©s ne lui obĂ©issaient plus. Elle subissait le chaud et aprĂšs le froid, avec vertiges et nausĂ©es Ă  n'en point finir. Autour d'elle, personne dans la famille n'avait mĂȘme pas une piĂšce de CFA pour lui acheter un comprimĂ© blanc miracle du monde blanc. Comme elle, ses parents eux aussi avaient les poches vides comme les souris de la mosquĂ©e.

Onze heures passées.

NzĂ©kunzĂ© se mit Ă  convulsionner et Ă  convulsionner effroyablement. Monzoko Ă©tait toujours lĂ , Ă  cĂŽtĂ© de son lit. Il veillait sur elle, les yeux mouillĂ©s de tristesse, le cƓur bouleversĂ© par la compassion. Impuissant, immobile, il la regardait sans sourciller en se mordillant la lĂšvre infĂ©rieure. C'Ă©taient des moments terribles qui ne pouvaient pas sortir de la caverne de ses yeux. À un moment donnĂ©, NzĂ©kunzĂ© ne pouvait plus ouvrir la bouche pour lui parler. De temps en temps, elle esquissait des gestes de la main pour dire Ă  Monzoko ce qu'elle voulait lui dire. Elle le faisait avec les larmes qui ruisselaient de ses yeux. BouleversĂ©, Monzoko ne savait quoi faire. NzĂ©kunzĂ© s'en apercevait et elle prenait la main de son fils, la serra contre la sienne tout en lui disant faiblement :

âžș Prends soin de toi. Fuis les tentations du monde. Fais-toi toi-mĂȘme.

Elle frotta sa tĂȘte contre celle de Monzoko, et dit bassement : touffa, touffa1! Puis, elle ajouta :

âžș Prends mon talent. Une vocation peut naĂźtre de lĂ . Et tu deviendras grand-quelqu'un artiste. L'homme prospĂšre comme un arbre et souvent les gens le dĂ©couvrent seulement quand il porte des fruits.

Ce furent donc ses derniers mots.

Ses yeux et sa bouche se fermÚrent hermétiquement.

Elle ne respirait plus. Comme si. Bizarre ! Elle resta figée, inerte, terrible ! Monzoko s'en aperçut. Traumatisé, il secoua sa mÚre, secoua sa mÚre, secoua sa mÚre. Cette derniÚre avait la raideur d'un cadavre-mort. Sceptique, il se questionna en ces termes :

âžș Dort-elle profondĂ©ment ou...

Il se coupa les chapelets de paroles qui se trouvaient sur le bout de ses lĂšvres, et la zyeuta fixement. Il voulait avoir le cƓur net. Il y avait de quoi. Les yeux embuĂ©s de larmes, il mit un genou Ă  terre, et posa le trou de son oreille sur la poitrine de sa mĂšre. Pas pour rien. Pour demander Ă  cette mĂȘme poitrine de lui dire en des termes clairs si le cƓur de celle-qui l'avait naissancecontinuait de glouglouter. Il pensa soudainement Ă  la Bible. À la rĂ©surrection de Lazare. Pouvait-il opĂ©rer un miracle Ă  l'instant mĂȘme pour que sa mĂšre passe du trĂ©pas Ă  la vie ? Pouvait-il faire comme le Christ qui avait criĂ© d'une voix forte : « Lazare, sors ! ». Et Lazare Ă©tait revenu Ă  la vie aprĂšs avoir passĂ© quatre jours dans le sĂ©jour des morts. Pouvait-il aussi hurler : « maman, reviens Ă  la vie ! maman, reviens Ă  la vie ! Il y rĂ©flĂ©chit, et... lĂącha un profond soupir.

Elle n'Ă©tait plus lĂ .

Elle venait de quitter ce monde.

Il le comprit et poussa alors un cri de détresse qui séismala maison. Mbakoro et Kokondoki se précipitÚrent dans la chambre de leur fille. Ils virent tout d'abord leur petit fils qui pleurait à chaudes larmes.

âžș Monzoko, c'est quoi ? demandĂšrent-ils Ă  l'unisson.

Il leur montra sa mÚre qui était cadavéré-morte sur son lit de fortune. Mbakoro et sa femme ne comprirent sans doute pas bien. Ils la secouÚrent en criant :

âžș NzĂ©kunzĂ© ! NzĂ©kunzĂ© !

Mais c'était fini. L'éternité l'avait avalée. Alors, ils éclatÚrent en sanglots. Monzoko aussi. Des sanglots qui ameutÚrent les voisins qui arrivÚrent à grandes enjambées.

La parole n'a pas de jambes mais elle se mit Ă  courir ! Les bruits de ses foulĂ©es disaient : « NzĂ©kunzĂ© est morte. La chansonniĂšre du quartier n'est plus ». Et la nouvelle se rĂ©pandit tout de suite dans les quartiers Tokoyo, Maliko, Bangui-Ville, et vite dans toute la ville de Bangassou. Les parents manche-longue et manche-courte arrivĂšrent. Du temps de ciller l'Ɠil, il y eut du monde dans la concession. Ça sanglotait Ă  gauche et Ă  droite. Le corps de NzĂ©kunzĂ© fut dĂ©posĂ© Ă  la morgue sans chambre froide. Les Saints Thomas voulaient la voir de leurs propres yeux. Ils s'y rendirent.

Nzékunzé morte, oui !

C'Ă©tait un triste jour.

Monzoko était le plus affecté.

C'Ă©tait quand mĂȘme elle qui l'avait mis au monde.

Elle avait été enceinte de lui et, paraßt-il, pendant onze mois et demi. Elle l'avait materné, mamellé, pouponné avec tendresse et affection, lui chantant des berceuses vitaminées qui avaient bien engraissé bébé Monzoko. Celui-ci avait grandi sur ses genoux.

Sur le moment, il était inconsolable, il ne savait pas que seul le temps pourrait un peu assécher ses larmes qui continuaient de couler à flots dans les rigoles de ses yeux éplorés.

Mbakoro et Kokondoki Ă©taient assis sans rien dire sur une natte usĂ©e dans un coin de la triste piĂšce baptisĂ©e Ă  tort salon tant il Ă©tait pauvrement meublĂ©. C'est Ă  peine qu'ils respiraient en pensant Ă  leur fille unique. Ils vivaient au ralenti. Ça se lisait sur leurs visages. Des gens de leur Ăąge dĂ©filaient et prĂ©sentaient leurs condolĂ©ances. Tous ou presque disaient les mĂȘmes paroles du genre : « Du courage. Attache ton cƓur Mbakoro, attache ton cƓur Kokondoki ».

En deux temps trois mouvements, on avait installĂ© des fauteuils bancals, des bancs, des balambo, pour dessiner les contours de la place mortuaire. Les filles du quartier Tokoyo dirent haut et fort : « C'est notre veillĂ©e mortuaire ! NzĂ©kunzĂ© Ă©tait tout pour nous ! Nous allons la pleurer Ă  notre maniĂšre ! » De nombreux garçons s'Ă©taient levĂ©s pour dire : « NzĂ©kunzĂ© Ă©tait notre sƓur Ă  nous ! Elle nous a beaucoup bercĂ©s avec sa voix limpide ! Nous devons lui rendre hommage. Elle le mĂ©rite. Parce que sa voix sublime nous a fait danser. Parce que sa voix nous a fait marcher sur les nuages. Parce que sa voix qui s'accrochait Ă  la barbe de ses chansons avait guĂ©ri nos soucis et karcheriser les angoisses qui Ă©taient obligĂ©s de sortir en fracas de nos cƓurs ». Sa famille manche-longue et manche-courte s'Ă©tait retrouvĂ©e en apartĂ©. Toutes leurs lĂšvres disaient les mĂȘmes blablablas : NzĂ©kunzĂ© doit ĂȘtre enterrĂ© avec tambours et trompettes. Pour ça, il nous faut trouver l'argent pour le boire, le manger, le cafĂ©, le sucre, le cercueil climatisĂ© et tout le reste.

Ce furent donc les mains dans les mains.

Voisins, voisines, amis, parents et connaissances, tous mirent les mains aux poches et aux portefeuilles. On acheta le nĂ©cessaire pour que les vivants fĂȘtent la morte : des cuvettes de farine de manioc, une montagne de feuilles de manioc, de la pĂąte d'arachide, des tas de bananes plantain, de tout le tralala pour le kpoto-ngounza2, du bois de chauffe, de l'huile de palme, des morceaux de gibiers boucanĂ©s, des dames-jeannes de kangoya, d'Afrika gin et de ngouli.Les jeunes garçons et filles du quartier s'Ă©taient levĂ©s comme un seul homme. Ils firent le porte-Ă -porte en montrant la photo de la dĂ©cĂ©dĂ©e. Pour la quĂȘte. Pour la place mortuaire qui allait durer. Ils parcoururent quelques quartiers de Bangassou. Les gens donnĂšrent et donnĂšrent sans hĂ©siter. Parce que NzĂ©kunzĂ© avait Ă©tĂ© trĂšs populaire Ă  cause de sa voix de diva qui chantait langoureusement comme Myriam MakĂ©ba dit Mama Afrika ou comme LĂ©onie Kangala dit La Princesse Ă  l'occasion des bals poussiĂšre que les gens de Bangassou appellent affectueusement baskets-arrosĂ©s, des veillĂ©es mortuaires, des cĂ©rĂ©monies de dots, de mariages aprĂšs la Mairie.

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