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Chapitres

Le Carrefour est un tĂ©moignage sous forme romancĂ©e du parcours de soins d'un alcoolique. Il relate la vie de ce malade de la pĂ©riode allant « juste avant » son sevrage jusqu'Ă  celle « juste aprĂšs » son retour Ă  la vie sociale habituelle. Cet ouvrage montre Ă©galement la place qu'occupe l'alcool dans notre sociĂ©tĂ©. Sam, Katia, Tom, Lisa, Vladimir, Muriel, Esposito, BĂ©a, Éric... certains « boivent », d'autres pas... certains « font avec », d'autres se croisent... À PROPOS DE L'AUTEUR DĂšs son jeune Ăąge, Elpy a Ă©tĂ© initiĂ© Ă  la lecture par des textes de Jacques PrĂ©vert qui lui servaient alors de support. Cet Ă©veil Ă  la poĂ©sie l'a confortĂ© et, spontanĂ©ment, depuis 1994, il a choisi l'Ă©crit pour les cris, les mots pour les maux, en dĂ©veloppant des sujets pouvant tous nous concerner.

Chapitre 1 No.1

« Hum...

- Sam... debout, fainĂ©ant, ton cafĂ© est prĂȘt...

- Hum... tu es vraiment pressée que je parte...

- Idiot ! »

Katia avait quitté la piÚce. Sam avait ouvert les yeux, s'étirait, et prit le temps, comme à son habitude, de regarder le tableau qui lui faisait face. Un clown triste en rouge sur fond noir avec un vieux cadre doré. Il n'était jamais arrivé à savoir si ce tableau avait été offert à Katia par sa famille, par un ami ou par un de ses anciens amants. Et d'ailleurs, il s'en moquait... il était heureux d'avoir fait la connaissance de ce clown.

Puis, il regarda le réveil à quartz de Katia et bondit hors du lit. Et voilà ! Le week-end était terminé...

Il se rasa, prit sa douche et examina ses habits de la veille. Bon, pas trop de dégùts, la chemise n'était pas trop froissée. Elle pourrait tenir jusqu'à ce qu'il rentre se changer chez lui, ce midi.

Pour la brosse à dents, il prit celle de Katia : leur degré d'intimité lui permettait bien ça.

Puis, il se rendit dans la cuisine oĂč Katia, vĂȘtue d'un simple peignoir, achevait un de ces petits dĂ©jeuners boulimiques dont elle avait le secret. Il prit son bol de cafĂ© avec une pomme.

Le silence devenait un peu pesant. Il alluma une Gitanes.

« Je te revois quand ?

- Le plus tÎt possible, tu le sais bien. Pas le week-end prochain, je suis chez des amis. Disons le week-end suivant, ça te va ?

- Non.

- Tu as quelque chose de prévu ?

- Non.

- Alors ?

- Alors ? J'en ai marre d'ĂȘtre le joker, le remĂšde contre la solitude de Monsieur ! Pourquoi est-ce que tu gĂąches toujours les moments passĂ©s ensemble ?

- N'exagÚre pas... on a passé un bon week-end, non ?

- Bien sĂ»r... mais je ne sais pas quand je te reverrai... ni mĂȘme si je te reverrais ! Peut-ĂȘtre, entre temps, tu auras rencontrĂ© LA femme de ta vie... tu sais, celle pour qui tu ne compteras plus ton temps...

- Tu sais bien qu'en semaine nos horaires sont tels qu'on ne se verrait pas plus...

- EmmÚne-moi chez tes amis, le week-end prochain... »

Sam se tut. Puis, il regarda sa montre.

« Oh là là ! Il faut que j'y aille ! Bon, je t'appelle dans la semaine ?

- Ce soir ?

- Ce soir ! Promis, mon bijou ! »

Il passa sa main droite dans l'Ă©chancrure du peignoir, tandis que la gauche caressait ses cheveux noirs. Puis, il se pencha, l'embrassa sur le bout des lĂšvres et se retira en douceur avant de se diriger vers le hall, prendre ses clefs et descendre l'escalier.

SacrĂ©e Katia ! Toujours, le mĂȘme refrain... deuxiĂšme Ă©tage... enfin, elle finit chaque fois par se calmer... premier Ă©tage... de toute façon, il est hors de question qu'elle vienne le week-end prochain ! Rez-de-chaussĂ©e et sortie des artistes !

Bon, au fait, oĂč est la voiture ? Ah, c'est vrai, j'ai dĂ» la garer au coin hier soir... pourvu qu'elle dĂ©marre, ce matin !

Sam prit place avec prĂ©caution dans sa Simca 1100 rouge, qu'il avait quand mĂȘme payĂ©e mille francs, et dont le siĂšge du conducteur ne tenait plus que par deux boulons, ce qui renforçait l'utilitĂ© du volant ! Il dĂ©marra, mit le poste en route et s'engagea sur les boulevards. Le crachin, rĂ©gulier, collait la poussiĂšre aux façades et faisait ruisseler le pavĂ©.

Évidemment, comme toujours quand il pleut, ça ne roule pas ! Enfin...

Il n'arriva au travail qu'avec dix minutes de retard. Pour un lundi, s'il comparait avec ses collÚgues, il était bien en avance ! Ce qui lui permit de préparer le café et de s'installer dans la « cafÚte' ». Puis les uns et les autres arrivÚrent et ils devisÚrent ensemble sur le week-end écoulé, alors que le public s'agglutinait dans la salle d'attente.

Bon gré mal gré, chacun regagna son poste de travail, et Sam son bureau sous le toit au deuxiÚme étage.

Il profitait souvent du lundi matin pour se mettre en rĂšgle avec ses paperasseries qu'il oubliait toute la semaine. Puis, il prĂ©parait son programme de prospection hebdomadaire, en ayant soin d'y intĂ©grer deux visites Ă  Éliane, en dĂ©but d'aprĂšs-midi.

« Alors Sam, en plein boulot ?

- Eh ! Joseph ! Et alors, ces vacances en Afrique du Sud ?

- Superbes ! D'ailleurs, j'ai pris des diapositives et, Ă  l'occasion...

- Oh, tu sais, pas la peine de te fatiguer ! Pour certains pays comme l'Afrique du Sud ; le Zaïre ou la Yougoslavie, je préfÚre encore m'en tenir aux photos de Paris-Match !

- Toujours aussi aimable...

- Disons plutÎt que je continue à penser que les conflits permettent à certains de visiter à pas cher les coins du monde les plus reculés...

- Bon, je vois ce que c'est ! Je te laisse Ă  ta crise politique ! On mange ensemble ce midi ?

- Ça marche. Tu rĂ©serves au Bistrot du Quai ?

- C'est comme si c'Ă©tait fait.

- Salut, touriste !

- Salut, anar ! »

SacrĂ© Joseph... tiens, si j'appelais Éliane ?

AprÚs avoir fermé la porte, il composa un numéro de téléphone. Une voix rauque lui répondit :

« De tout un peu, Éliane Ă  votre service, bonjour !

- Bonjour, madame, ce serait pour savoir si vous assurez des prestations de siestes crapuleuses ?

- Sam ! »

Elle riait :

« Un de ces jours, je répondrai avec le haut-parleur et mon boss sera en face !

- Pour l'instant, tu n'as pas répondu à ma question...

- Passe Ă  quinze heures, il n'y aura personne avant dix-huit heures.

- Hum... fantastique ! Et Fred, il bosse comment, ces temps-ci ?

- De nuit ! Toute la semaine !

- HĂ© hĂ© ! J'ai bien fait d'appeler... bon, il faut quand mĂȘme que je bosse un peu ! À cet aprĂšs-midi !

- Ciao ! »

Au moment oĂč il raccrochait le combinĂ©, quelqu'un frappa Ă  la porte.

« Oui, entrez !

- Salut, Sam, ça va ?

- Comme un lundi, ma biche, comme un lundi...

- Quand tu arrĂȘteras de faire la bringue, ça ira sĂ»rement mieux... tiens, ce sont les messages de vendredi et de ce matin, rien de trĂšs urgent...

- Faux ! Tout client a un manque affectif quand il appelle, et c'est pour ça qu'il est urgent que je le rappelle : pour qu'il sache que je l'aime encore !

- Par contre, moi, tu ne m'embrasses mĂȘme pas !

- Ah, Lisa, avec ce que tu m'as dit tout Ă  l'heure Ă  propos de mes "bringues", j'aurais peur que tu croies que je te drague !

- HĂ© ! Peut-ĂȘtre que je n'aurais pas peur...

- Toi, non, mais moi, si ! Ne jamais mélanger ses collÚgues et ses copines ! J'ai déjà essayé, ça a toujours foiré... et de maniÚre mesquine en plus ! Fais-toi virer, on y verra plus clair.

- Couillon ! Allez, à plus tard... Don Juan ! »

Don Juan ! DrÎle d'idée... c'était vraiment se fier aux apparences... à moins que Don Juan ait été, lui aussi, trÚs malheureux et trÚs seul...

Car, si Sam cherchait la compagnie des femmes, cĂ©libataires ou mariĂ©es, c'Ă©tait bien par peur de sa propre solitude, un peu pour se rassurer, pour entretenir l'illusion de ne pas ĂȘtre « seul »... et le plaisir qu'il cherchait n'Ă©tait peut-ĂȘtre pas tant charnel que calorifique... ah, sentir la chaleur d'un corps Ă  cĂŽtĂ© du sien quand on dort... mĂȘme si, parfois, pour vaincre sa peur du froid du lit, il devait fermer les yeux sur certaines « valeurs »... oublier le mari absent... oublier qu'il savait certaines nuits sans lendemain...

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