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Toi partie, je m'oublie

Toi partie, je m'oublie

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Chapitres

Lors d'une chaude nuit d'Ă©tĂ©, le tĂ©lĂ©phone sonne ; cet appel viendra troubler le bonheur parfait d'une famille. À l'appareil, c'est la police, elle vient de retrouver un cadavre sur la route, Ă  la suite d'un accident de voiture. À partir de cet instant funeste, la vie de la cadette du clan bascule. Comment AlizĂ©e fera-t-elle face Ă  cette perte dĂ©chirante ? A-t-elle le droit de se laisser emporter par les tourments qui l'assaillent ? À PROPOS DE L'AUTEURE Jeune autiste Asperger, Marianne Orjol a un fort attrait pour l'art sous toutes ses formes. VĂ©ritable catalyseur de ses Ă©motions et ressentis, l'Ă©criture lui a permis notamment de laisser parler sa douleur Ă  la suite du dĂ©cĂšs de sa sƓur, arrachĂ©e Ă  la vie par une leucĂ©mie.

Chapitre 1 No.1

Je mourrai avant d'avoir 25 ans,

et quand ça arrivera j'aurai vécu de la

façon dont je voulais

Sid Vicious, bassiste des Sex Pistols

17 aoĂ»t, nuit chaude sereine, le tĂ©lĂ©phone sonne. AprĂšs un long silence viennent aussitĂŽt des cris, des cris dĂ©chirants qui transpercent aussi bien les murs que les corps. C'est ainsi qu'AlizĂ©e sort violemment de son sommeil. Dans un premier temps, elle se retrouve sonnĂ©e, ne comprenant pas ce qui se trame en dessous d'elle. Il lui faudra lutter pour ordonner le rĂ©veil de ses muscles et parvenir enfin Ă  s'extirper de son lit. Au rez-de-chaussĂ©e, les lamentations ne se sont pas calmĂ©es, elles s'accentuent mĂȘme. En tendant l'oreille, AlizĂ©e reconnaĂźt les intonations de la voix de sa mĂšre. Mais que se passe-t-il en bas ? Quel drame peut justifier un appel Ă  trois heures du matin passĂ©es, un vendredi soir ? Rien que d'examiner toutes les possibilitĂ©s probables, l'angoisse monte insidieusement dans sa poitrine.

En dĂ©pit de son malaise, elle se dĂ©cide Ă  descendre lentement les marches qui la sĂ©parent de sa rĂ©solution. Personne dans l'entrĂ©e. Personne dans la cuisine. La terreur la ronge Ă  chacun des pas qu'elle pose sur le chemin du salon familial oĂč les pleurs se font plus audibles.

La scÚne que découvre la jeune fille en pénétrant dans la piÚce la pétrifie sur place. Elle n'ose plus entrer, elle a changé d'avis, elle ne veut plus savoir, non... Jamais auparavant elle n'a assisté à pareil spectacle. Voir ses parents si désarmés, si dévastés, pleurant à chaudes larmes dans les bras l'un de l'autre, suffit à lui confirmer la gravité de la nouvelle apportée par cet appel téléphonique nocturne. Leur terrible étreinte se poursuit encore quelques instants avant que le pÚre d'Alizée ne la rompe en constatant la présence de sa seconde fille à la porte.

- C'est ta sƓur... lĂąche-t-il, la voix Ă©tranglĂ©e par les sanglots.

Elle meurt d'envie de hurler « et alors ? ». Cette phrase « c'est ta sƓur » a un goĂ»t de trop peu pour elle. Apprendre l'origine de ce mal-ĂȘtre ambiant va la dĂ©truire, elle le sait intimement, son intuition le lui hurle. Cependant, Ă  cet instant paradoxal, l'entendre de la bouche de l'un de ses parents lui est redevenu presque vital. Sans un mot, sa mĂšre s'approche de sa derniĂšre fille pour lui prendre tendrement la main et l'amener sur le canapĂ© Ă  ses cĂŽtĂ©s. Ses yeux se sont vidĂ©s, comme perdus dans un monde parallĂšle au leur. Son pĂšre, quant Ă  lui, reste debout le corps mouvant, incapable de rester statique. Du coin de l'Ɠil, AlizĂ©e l'observe faire les cent pas sur le tapis Ă©meraude qui revĂȘt le plancher sombre et lustrĂ© du salon, l'esprit ailleurs, Ă  l'instar de son Ă©pouse. Sans doute cherche-t-il les mots adĂ©quats Ă  adopter face Ă  sa fille dans une situation de crise comme celle-ci, mais plus son pĂšre tente de la mĂ©nager, plus le poids du silence Ă©touffe la jeune adolescente. Il y a cinq minutes Ă  peine, AlizĂ©e aurait tout donnĂ© pour rester blottie dans sa confortable ignorance et Ă  prĂ©sent, elle dĂ©sire connaĂźtre la raison de ce chambardement, aussi brutale soit-elle.

- Alice a eu un accident de voiture... bredouille-t-il enfin dans un souffle Ă  peine perceptible, alors que la mĂšre d'AlizĂ©e pousse un gĂ©missement plaintif et sourd Ă  la rĂ©ception de ces mots horribles Ă  son oreille. Ta sƓur a fait la fĂȘte avec des copains, elle voulait cĂ©lĂ©brer l'acceptation du dossier de sa meilleure amie par la fac. Elle a trop bu... Dieu seul sait pourquoi, elle a insistĂ© pour rentrer au volant de sa voiture... Ses amis ont essayĂ© de l'en dissuader, elle n'a rien voulu savoir...

Soudain, l'Ă©noncĂ© d'une froideur protectrice des faits lui devient insurmontable. AlizĂ©e le regarde, impuissante, se dĂ©composer de la tĂȘte aux pieds. Son teint a blĂȘmi et ses mains, maintenant possĂ©dĂ©es, sont prises de convulsions incontrĂŽlables. Et pourtant, malgrĂ© son apparente vulnĂ©rabilitĂ©, il continue obstinĂ©ment Ă  refuser de s'asseoir, prĂ©fĂ©rant finir d'une traite un verre de whisky pur malt qu'il claque d'un geste brusque sur le montant de la cheminĂ©e.

Sa contenance feinte retrouvée, il se ressaisit et reprend le cours de ses pensées :

- D'aprÚs l'officier de police que je viens d'avoir au téléphone, Elle... a perdu le contrÎle de son véhicule dans un virage et... et...

Le funeste mot reste bloqué à l'intérieur de sa gorge, comme si le simple fait de l'articuler participerait à rendre les événements plus réels encore.

- Elle est morte... sur le coup, complĂšte sa mĂšre avant de laisser jaillir les larmes.

Un précipice vient de s'ouvrir sous les pieds d'Alizée, leur monde familial paisible s'est effondré. Plus rien ne sera comme avant. Hier encore, leur famille se composait de quatre membres, la voilà réduite à trois. Ils ne seront à jamais plus que trois.

Aucune larme ne coule sur les joues d'AlizĂ©e, elle n'y parvient pas. Elles ne remontent pas Ă  la surface, bloquĂ©es par le flot de questions qui l'assaille. Son cerveau en est rempli, paralysant l'ensemble de ses cinq sens. Pourquoi ses putains d'amis n'ont pas plus insistĂ© pour qu'elle passe la nuit sur place ou pour qu'elle attende au moins d'avoir dessoĂ»lĂ© avant de reprendre le volant ? Pourquoi a-t-elle voulu rentrer impĂ©rativement cette nuit, ici, Ă  la maison, alors que son studio d'Ă©tudiante se situe plus prĂšs ? Cela lui paraĂźt insensĂ©, elle ne reconnaĂźt pas sa sƓur. Agir de maniĂšre inconsciente, boire Ă  outrance ne lui ressemble pas. Ce n'est pas elle. La fille que AlizĂ©e connaĂźt ne vit que pour ses Ă©tudes. Sa meilleure amie se plaisait Ă  raconter qu'elle devait frĂ©quemment batailler pour la sortir de ses bouquins, ne serait-ce que pour quelques brĂšves heures dans la journĂ©e. Alice n'est donc pas la sƓur irrĂ©prochable que AlizĂ©e a crue jusqu'Ă  prĂ©sent. Non, la police doit commettre une erreur, ils se trompent de personne. Ce n'est pas Alice qu'ils ont retrouvĂ©e, ils vont rappeler dans une minute pour rectifier et s'excuser de leur mĂ©prise.

La stupĂ©faction passĂ©e, sa mĂšre se relĂšve, tout en resserrant la ceinture de sa robe de chambre, puis reprend la main de sa fille dans la sienne. InstantanĂ©ment, la chaleur rassurante maternelle enveloppe AlizĂ©e dans un doux cocon Ă  la limite du rĂ©el. Tels des zombies aux yeux exsangues de lueur de vie, elles remontent toutes deux Ă  l'Ă©tage sans bruit, sans mĂȘme allumer, avançant Ă  l'aveuglette. L'Ă©treinte de leurs deux mains enlacĂ©es se resserre sensiblement tandis qu'elles passent devant la chambre d'Alice sur leur droite. Dans ce geste anodin muet, de l'amour y est dĂ©celĂ©, du soutien, mais aussi un immense dĂ©sespoir. Lentement, elles traversent le palier, soudĂ©es l'une Ă  l'autre. AlizĂ©e, lointaine, ne rĂ©agit pas lorsque sa mĂšre, au lieu de retourner dans sa propre chambre afin de rejoindre son mari, pĂ©nĂštre dans la sienne. Nul doute que cette soirĂ©e restera Ă  jamais gravĂ©e dans leur mĂ©moire Ă  tous les trois. Rien de ce qu'ils auront vĂ©cu durant cette nuit n'aura de sens.

Alizée réclame de la lumiÚre. Elle ne souhaite pas que sa pauvre mÚre se blesse en se cognant contre un coin de meuble, et puis dormir dans un noir complet ne la tente pas, les ténÚbres attirent les cauchemars. Prévoyante sur l'avenir, la présence d'esprit de la jeune fille lui a fait conserver religieusement, comme vestige de sa petite enfance, une veilleuse à l'effigie d'un éléphant, offerte à l'occasion de ses deux juvéniles bougies par ses grands-parents paternels dans le but de guérir sa peur phobique du noir. Une aubaine.

En prémices à un sommeil promis aux troubles, Alizée porte le regard sur son radio-réveil rose cerise. Cinq heures vingt. Demain-aujourd'hui, leurs parents devront prendre leur voiture afin d'identifier le corps meurtri de leur fille aßnée à la morgue de l'hÎpital public de la ville sans préavis.La dépression s'immisce jusqu'aux cimes du ciel dont la laideur manifeste son désespoir en leur offrant de la pluie en gage de compassion. Une pluie battante glaciale rare en cette période estivale qui, elle l'espÚre, lavera, ne serait-ce qu'en infime partie, leurs ùmes si tourmentées en ce jour funéraire.

AlizĂ©e se rĂ©veille tĂŽt ce matin, Ă©reintĂ©e et cassĂ©e par des songes mouvementĂ©s irrĂ©guliers, faits et dĂ©faits de multiples scĂšnes dĂ©cousues sinistres. CoiffĂ©e par ses couvertures, elle grimace en humant les volutes Ă©chappĂ©es de l'interstice de la porte de la cuisine. L'air dĂ©bordant de cafĂ© coupe son appĂ©tit prĂ©maturĂ©. Son petit dĂ©jeuner risque d'ĂȘtre frugal pour la Ă©niĂšme fois depuis des jours.

Quand elle pĂ©nĂštre dans la piĂšce, elle constate avec Ă©tonnement la prĂ©sence fort matinale de sa mĂšre. Elle la voit prostrĂ©e, comme hypnotisĂ©e par sa tasse de cafĂ© dont le contenu refroidit Ă  vue d'Ɠil.

- Oh ma puce, tu es dĂ©jĂ  debout ? Il n'est que huit heures, la cĂ©rĂ©monie ne dĂ©bute qu'Ă  dix heures et demie. Retourne donc te mettre au lit, lui recommande la quadra vĂȘtue d'une Ă©lĂ©gante robe en soie noire, Ă  la vue du spectre las de sa fille Ă  l'entrĂ©e de la cuisine.

- Je n'arrivais pas Ă  dormir, me recoucher ne servirait Ă  rien, je crois...

Sa mĂšre hoche la tĂȘte dans sa direction, comprĂ©hensive, tout en plongeant de nouveau ses pensĂ©es brouillĂ©es dans sa tasse froide la demi-seconde suivante.

D'un geste machinal, AlizĂ©e attrape un bol dans le placard au-dessus de l'Ă©vier de leur cuisine amĂ©ricaine flambant neuve. Pour autant, son ventre ne crie pas famine, bien au contraire, lui apporter de quoi se repaĂźtre pourrait mĂȘme s'avĂ©rer dangereux tant elle est barbouillĂ©e, dĂ©jĂ  stressĂ©e, consciente de l'Ă©preuve qui l'attend incessamment sous peu. Voir sa mĂšre dĂ©connectĂ©e du monde extĂ©rieur la chamboule. Elle, si dynamique en temps normal, trop parfois, Ă  la limite du survoltage, s'est mue en une poupĂ©e mono-expressive mallĂ©able Ă  loisir, Ă  laquelle une minuscule pichenette suffirait Ă  faire tomber sur le sol. AlizĂ©e rĂȘverait de passer sa journĂ©e au lit, assommĂ©e par une grosse poignĂ©e de somnifĂšres au lieu de devoir s'infliger une cĂ©rĂ©monie qu'elle craint ravageuse.

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