L'alpha tout-puissant reconquiert sa compagne
Divorcée et mariée à un chef de guerre
Mon nouvel amant est un mystérieux magnat
Le retour de l'héritière adorée
Le retour de l'héritière délaissée
Choyée par le chef de la mafia
Une danse avec trois princes
Son retour en grande pompe
Les regrets de mon ex-mari
Le retour de l'épouse indésirable
À Monique L.
I
Ce chignon qu’elle dénoue
1
— Alors, monsieur Abdo, on se plaît dans sa chambrette sous les toits, on trouve ses marques ?
La voix sortait d’une loge de pipelette. Porte entrouverte en permanence, vitre étroite avec rideau à moitié tiré, c’était un domaine obscur d’une trentaine de mètres carrés, habité par le regard insaisissable d’une strabique divergente, deux yeux indépendants style caméléon, l’un rivé sur la lumière aquatique d’une TV jamais éteinte, l’autre réquisitionné par un suivi périscopique des allées et venues des locataires de l’immeuble. L’occupante aimait bien le nouveau venu du cinquième, il disait bien bonjour, avec son fort accent français du Nord, il était courtois et il l’avait même surprise un jour en descendant de ses étages pour engager une longue causette, comme ça, sans motif. Pas comme ces autres locataires qui passaient sans la voir. Aujourd’hui en revanche, il avait l’air bien pressé. Tellement qu’il n’avait pas pris soin de refermer la lourde porte d’entrée, l’air frais de l’automne et les bruits de la rue étaient rentrés avec lui.
— Ça va, ça va, madame Durand, répondit-il en se lançant au pas de course dans les cinq volées d’escaliers.
— Rien de neuf depuis la dernière fois ?
Trop tard, il était déjà au deuxième, il n’avait pas relevé l’appel à la confidence ni observé dans le regard subitement unifié la malice de celle qui devinait des choses mais ne les dirait pas.
Bizarre en effet, cet empressement à rejoindre celle qu’il lui avait présenté comme sa tante. On ne la lui fait pas, à une vieille concierge qui en avait déjà vu défiler des couples de toutes sortes ! Des messieurs avec leur nièce, c’est un classique, mais un gringalet avec sa tante, ça, elle n’avait encore jamais vu. Même qu’elle avait du mal à le croire. Un gigolo, lui, avec son minois de grand gosse timide, son mètre soixante-cinq et ses baskets pourries ?
***
Abdomère Gromembron, dit Abdo, était à Bruxelles depuis une semaine. À dix-sept ans – et trois mois, précisait-il, comme pour s’excuser d’être en avance pour son âge –, il venait d’entrer en première année de médecine et une convergence d’indices lui laissait entendre que ce 5 octobre 1963 resterait une date marquante de sa vie, comme si toute son existence d’avant avait préparé ce moment-là. Une tension de qui-vive oppressait sa poitrine. Que pourrait-il bien lui arriver, au sortir d’une adolescence sous cloche dans un internat austère ? Le destin aurait-il prévu un juste dédommagement ? Il ne savait pas encore mettre des mots sur ce qui allait se passer. Avec tante Marie, tout était possible, même l’inconcevable, même ce qui ne se dit pas.
Le pressentiment s’était construit peu à peu, nourri par une accumulation de signes anodins dont la coïncidence finit par suggérer qu’ils ne le sont pas. On découvre chez l’autre des attentions nouvelles, un rejet systématique de ce qui pourrait contrarier, un souci permanent de se positionner en parallèle et, puisqu’il s’agit d’une entreprise à peine voilée de séduction, d’imposer le constat qu’il ne saurait arriver rien de meilleur que d’être à deux.
C’est une approche glissée, sur plusieurs fronts. Les conversations se font sur une longueur d’onde privée, on tourne le dos au monde, c’est au cœur de l’autre que l’on s’adresse. La voix devient chuchotée, penchée sur une intimité qui grandit. Des allusions de plus en plus explicites s’échappent comme autant de ballons d’essai. À chaque sous-entendu, le visage s’éclaire d’un sourire arrêté à mi-course, dans l’attente d’un signal de connivence. Prêts à l’étreinte, les corps s’aimantent, bientôt ils ne feront plus qu’un. Et quand le désir accumulé trouve enfin ses mots, c’est toute une vie intérieure qui s’expose et prend le risque d’avancer dans la lumière.
— On est bien ici, nous deux, avait-elle finalement déclaré.
Un éclair dans la tête d’Abdo qui le laissa abasourdi ! Il venait par ce « nous deux » de prendre en plein cœur la confirmation d’une manœuvre qu’il avait vue se déployer sans trop oser y croire : une femme de dix-huit ans son aînée, sa propre tante, avait entrepris de le séduire ! Quand il réalisa pleinement ce qui lui arrivait, il était déjà trop tard, le déploiement planifié de la séductrice avait planté son cercle de jalons sans rencontrer d’opposition, il était déjà pieds et poings liés, cerné de toutes parts par la mainmise de tante Marie sur son innocence. Ils étaient deux dans la même chambre, personne n’était caché dans le placard ni sous le lit, c’était bien à lui que s’adressait la séductrice – qui avait fixé, et l’endroit, et l’heure. Et comme pour mieux établir la chose, elle avait fermé la porte à clé en concluant :
— Personne ne pourra nous déranger, nous deux et rien que nous deux, enfin ! puis avait dénoué son chignon et secoué la masse ruisselante de ses cheveux blonds, avant de l’attirer dans ses bras.
***
« Tante » Marie, veuve de l’oncle Théo, le frère de sa mère Céleste, avait toujours été présente dans sa vie, dès son plus jeune âge, comme un membre proche de sa famille. Elle habitait à deux cents mètres de ses parents et ne manquait aucune occasion de « s’arrêter deux minutes pour prendre des nouvelles » et de « faire la bise à son petit neveu ». Quand Abdo entra à l’école primaire, elle venait en avant-soirée l’aider à faire ses devoirs et répéter ses leçons. Hors périodes scolaires, elle n’avait pas besoin d’inventer des prétextes, l’habitude avait ritualisé la visite quotidienne – à défaut, Céleste disait : « Tiens, tante Marie n’est pas passée aujourd’hui, j’espère qu’elle n’est pas malade. » Dès qu’il fut inscrit au collège, en internat, Marie lui écrivait une gentille lettre toutes les semaines auxquelles il répondait le jour même – échange croisé par lequel d’apparentes banalités disaient le bonheur simple de penser à l’autre.