Je m’appelle Alain Delon, comme l’acteur, je n’ai pas son physique ni son talent. Mon père s’appelait Delon ; avec ma mère, ils étaient fans de l’artiste et donc à ma naissance le prénom d’Alain était une évidence. Ça n’a pas été toujours facile et à l’école j’avais droit aux moqueries de mes camarades. Plus tard avec les filles, c’était difficile ! avoir un tel patronyme sans la musculature me valait des railleries. Je suis célibataire.
Pendant toute ma vie, le choix de mes parents a été difficile. Le seul moment où il présentait un avantage, c’est quand je devais faire signer un bulletin de notes douteux ou le mot d’un professeur, je regardais le programme télé et j’attendais un film avec Alain Delon, le vrai ; dans ce cas, le document était signé sans même être lu. À cette époque, j’en voulais un peu à l’acteur de ne pas passer plus souvent, je rêvais qu’il présente le journal de vingt heures. Ma vie professionnelle n’a pas été simple non plus : présentez-vous à un entretien avec ce nom et mon physique, votre interlocuteur a du mal à garder son sérieux.
7 heures, je me réveille. Depuis bientôt trente ans, je n’ai plus besoin de réveil, je ne regarde même pas l’heure, je le sais. Depuis bientôt trois ans, ces levées de bonne heure n’ont plus de raison d’être, je suis au chômage et ma situation devient intenable. Je me dirige vers les toilettes, puis vers la salle de bains, je prends une douche à l’eau ; il me restait un peu de liquide vaisselle et je l’ai terminé hier, plus le moindre morceau de savon. J’enfile un slip, que j’ai rincé la veille en utilisant de la mousse à raser, posé sur le radiateur ; il est sec. Les chaussettes sont à côté, douteuses, mais sèches. Je m’habille avec des vêtements que je porte depuis plusieurs jours, inimaginable de faire une lessive, je pense, à quoi bon ? Bientôt, je serai à la rue et ce genre de détails n’aura plus aucune importance. Je me dirige vers la cuisine, il me reste un peu de café, je le vide dans le filtre, un peu d’eau et pendant que la cafetière fait son travail je médite sur mon quotidien.
Ma descente aux enfers a été très rapide. Il y a seulement trois ans, je partais au travail chaque matin l’esprit serein, j’étais contremaître dans une petite usine spécialisée dans la fabrication de sondes utilisées dans l’aéronautique, le marché est très étroit et notre produit, à part utiliser une autre technologie plus chère et moins fiable, permettait à notre atelier de dégager des marges confortables et d’avoir de nombreux avantages sociaux.
Un matin, notre représentant syndical est venu nous voir dans le vestiaire. Notre patron a vendu l’usine à un investisseur américain, nous n’avons rien à craindre, nous dégageons de bonnes marges sur un marché protégé par un brevet, les Américains ne vont pas tuer la poule aux œufs d’or. Très rapidement, nous avons appris qu’avec l’usine notre ancien patron a également cédé le brevet aux Américains. Nous étions tranquilles, il était logique que le brevet et l’usine soient vendus ensemble. Après quelques semaines, notre activité a commencé à diminuer, nous avions de moins en moins de travail et souvent nous restions à l’atelier sans rien faire. Notre syndicaliste est arrivé un matin dans le vestiaire, les Américains ont installé une usine en Chine et la production est délocalisée, notre acheteur va améliorer les marges grâce à un montant de main d’œuvre moindre.
Quelques jours plus tard, nous avons reçu les premières lettres de licenciement économique. Nous avons manifesté, occupé l’usine, de toutes les façons la production continuait en Chine et nos aboiements laissaient les investisseurs indifférents. L’usine a fermé et pôle emploi est devenu mon nouveau patron.