Dans les hauteurs austères du royaume de Valdirosa, Raffaele d'Orsini, roi taciturne à la lignée fragilisée, dissimule un secret que même ses conseillers les plus proches ignorent : l'impossibilité de donner un héritier au trône. Prisonnier d'un destin écrit dans le marbre des palais, il s'abandonne peu à peu à l'indifférence et à la froideur du protocole. À des centaines de kilomètres, Chiara Bellandi, jeune propriétaire d'un petit hôtel de charme à Naples, mène une vie sans faste, mais pleine de liberté. Fille d'immigrés aux origines floues, elle ne croit ni aux contes de fées ni aux hommes vêtus de couronnes. Jusqu'à ce qu'un congrès international organisé dans son établissement l'oblige à croiser le regard dur et magnétique du roi Raffaele. Ce qui aurait dû être une rencontre impersonnelle devient une collision inattendue. Deux mondes s'affrontent : l'un gouverné par le devoir, l'autre par la volonté de rester libre. Raffaele est fasciné par la franchise et le feu de Chiara, tandis qu'elle, méfiante, perçoit l'homme sous le monarque - brisé, complexe, dangereux. Alors que les tensions politiques menacent d'ébranler la fragile stabilité du royaume, et que les rumeurs autour de la succession enflent, leur relation, faite de non-dits et de désirs contrariés, devient inévitable. Entre héritage impossible, sacrifices cruels, et blessures d'enfance, Chiara et Raffaele vont devoir choisir : céder à la raison ou réécrire les lois d'un royaume trop ancien pour comprendre l'amour. Un roman de passion, de pouvoir, et de renaissance. Tous Droits Réservés
Prologue – Valdirosa
Le marbre était froid sous ses pieds nus. Raffaele d'Orsini traversa lentement la galerie des bustes, indifférent au regard figé de ses ancêtres sculptés. Chaque visage le scrutait, le jugeait en silence, comme pour lui rappeler ce qu'il n'était pas. Un roi sans lignée. Un trône sans avenir.
Il était tard. Les couloirs du palais de Valdirosa n'étaient habités que par les murmures du vent contre les vitraux et le craquement du bois ancien. Il aimait ce silence. Il l'avait apprivoisé, domestiqué. C'était dans ces heures creuses, après les audiences et les discours vides, qu'il redevenait homme. Simplement Raffaele.
Ses doigts glissèrent sur la balustrade du balcon central. De là, il voyait les collines sombres du royaume, bordées de cyprès et de terres que la monarchie possédait depuis quatre siècles. Il aurait dû, lui aussi, transmettre ce royaume. Il aurait dû façonner l'avenir comme l'avaient fait ses pères avant lui. Mais il n'y aurait pas de fils d'Orsini après lui. Ni de fille.
Il le savait depuis ses vingt-six ans. L'annonce du professeur Ghisalberti, froidement énoncée dans un cabinet privé de Florence, l'avait frappé avec la brutalité d'un couperet. L'atrophie testiculaire partielle. Aucun traitement possible. Aucun espoir. Et pourtant, la cour attendait. Le peuple spéculait. Les ministres insistaient. Chaque sourire diplomatique dissimulait une question : quand l'héritier serait-il annoncé ?
Raffaele n'avait jamais cru aux promesses. Encore moins à celles du sang. Il avait vécu toute sa vie sous une couronne dont le poids n'avait jamais été allégé par l'amour d'une femme ou la certitude d'un avenir. Il n'avait pas eu de mère tendre. Son père, le roi Amadeo, l'avait élevé comme on éduque un héritier d'acier : froid, implacable, sans place pour la faille humaine.
Il s'assit dans le fauteuil usé de son père, au centre du cabinet royal. Le même fauteuil dans lequel Amadeo avait signé des traités, imposé des sanctions, offert des faveurs, et écrasé des rêves.
La lettre du ministre des affaires étrangères de Naples reposait encore sur le bureau. Il y était invité à un congrès international discret, visant à renforcer les alliances culturelles et économiques dans le sud de l'Italie. Un événement insignifiant, sans intérêt diplomatique réel. Mais il y verrait moins de regards exigeants, moins de tentatives de mariage arrangé, moins d'attentes.
Il avait répondu oui. Non pas par devoir, mais parce qu'à Naples, il ne serait pas le roi stérile. Il serait un homme parmi les hommes, l'espace de quelques jours. Et il y avait dans cette idée une forme de soulagement. Peut-être même une échappée.
Il ferma les yeux. Derrière ses paupières, ce n'étaient pas les visages des politiciens ou des courtisans qui apparaissaient, mais celui - flou, encore inconnu - d'une femme qu'il n'avait jamais rencontrée, mais dont l'existence, peut-être, lui ferait oublier l'horreur du vide. Pas pour engendrer. Mais pour exister.
Il ne pria pas. Il n'y avait pas de dieu dans le palais de Valdirosa.
Chapitre 1 – Le Trône du Silence
Chiara Bellandi s'était levée tôt ce matin-là, comme à son habitude. L'hôtel qu'elle dirigeait à Naples n'était pas grand, ni prétentieux. Un bâtiment ancien, mais restauré avec soin, situé dans un quartier tranquille près de la mer, loin des tumultes du centre touristique. Les clients qui y séjournaient étaient souvent des étrangers en quête de calme ou des Italiens désireux de s'éloigner de la frénésie de la ville. Ce n'était pas l'établissement de luxe que certains voudraient croire, mais elle l'aimait ainsi. Un lieu où l'on pouvait respirer, loin des regards curieux.
Ce matin-là, elle se retrouvait dans la salle à manger, la seule pièce de l'hôtel où la lumière du jour pénétrait pleinement, éclairant les murs de pierre et les tables en bois brut. Une jeune femme, d'une trentaine d'années à peine, aux cheveux noirs coupés courts, vêtue de vêtements simples et fonctionnels, Chiara était tout sauf l'image d'une aristocrate ou d'une femme d'affaires redoutée. Mais il y avait en elle une énergie tranquille qui inspirait le respect. Elle ne s'encombrait pas de faux-semblants et n'avait jamais eu besoin de revendiquer une place qu'elle avait toujours prise de manière silencieuse, en s'imposant par son caractère.
La matinée débutait calmement, avec quelques clients qui prenaient leur petit-déjeuner dans la salle voûtée. Un couple de touristes nordiques discutait à voix basse, leur conversation indistincte se mêlant à la musique douce qui emplissait l'espace. Chiara faisait les cent pas derrière le comptoir, un café fumant devant elle, son esprit accaparé par la liste des tâches à accomplir. Elle se félicitait d'avoir bien organisé cette journée - un petit congrès international se tenait dans l'hôtel. Ce n'était pas un grand événement, mais il avait ses enjeux. Les organisateurs étaient des diplomates de la région, et l'un d'entre eux avait évoqué la présence de quelques figures importantes, dont un certain Raffaele d'Orsini, un roi.
Chiara n'était pas du genre à se laisser impressionner par des titres. Le monde des aristocrates, des puissants, des têtes couronnées l'avait toujours laissée indifférente. Fille d'immigrés siciliens, élevée dans un petit appartement de quartier populaire, elle avait appris très tôt à se défendre seule. L'idée même de voir un roi, un homme portant une couronne d'or, n'éveillait chez elle qu'un curieux mélange de scepticisme et de lassitude. Elle savait que les rois, tout comme les politiciens et les hommes de pouvoir, n'étaient que des hommes, avec leurs faiblesses, leurs vices et leurs désirs. Mais ce n'était pas son rôle de juger. Elle n'était là que pour faire tourner l'hôtel et s'assurer que ses invités passeraient un séjour agréable.
Ce matin-là, pourtant, alors qu'elle faisait le tour de la salle pour vérifier les derniers préparatifs, elle croisa le regard d'un homme qui venait d'entrer, escorté par plusieurs hommes en costume noir. Il était grand, droit, avec une silhouette imposante, mais d'une élégance calme. Il n'avait pas l'air pressé, et malgré l'apparente froideur qui émanait de lui, quelque chose dans son attitude captivait. L'homme, vêtu d'un costume foncé, dégageait une aura de pouvoir, mais ce n'était pas ce qui attira l'attention de Chiara. C'était son regard. Il avait cette particularité de regarder les gens en silence, comme s'il les sondait sans prononcer un mot.
Raffaele d'Orsini. Le roi stérile de Valdirosa. Elle avait bien entendu le nom de ce souverain, certes. Après tout, ses apparitions dans la presse et les discussions parmi les diplomates n'étaient pas rares. Mais ce n'était pas sa royauté qui l'intéressait. Il y avait dans son regard quelque chose de plus intime, presque douloureux, un sentiment d'abandon ou de solitude qui, d'une manière inexplicable, la toucha.
Il s'arrêta un instant, le regard traversant la salle comme s'il cherchait à comprendre quelque chose. Ce n'était pas l'attitude d'un homme habitué à être observé. À la place, il semblait simplement... perdre du temps. Un instant suspendu où il était tout à la fois un souverain et un homme ordinaire. Puis ses yeux se posèrent sur elle.
Chiara se figea un instant. C'était étrange, ce regard. Comme une brûlure douce, une tension inhabituelle, mais elle se reprit rapidement. Elle se tourna vers la réception, se forçant à ignorer cette sensation perturbante qui montait en elle. Elle n'était qu'une hôtelière. Rien de plus.
Elle s'approcha du comptoir pour enregistrer les informations des invités et organiser la logistique de la journée. Elle savait qu'elle devrait le rencontrer de manière plus formelle dans quelques heures, lors de l'ouverture du congrès. Et cette idée, aussi banale qu'elle fût, n'eût aucune chance de l'atteindre plus profondément. Après tout, elle avait l'habitude des politiques, des diplomates, et des affaires qui venaient s'installer dans son hôtel. Mais il y avait quelque chose de différent avec cet homme, quelque chose de difficile à cerner.
Elle se rendit dans la cuisine, la tête pleine d'autres préoccupations, mais le visage de cet homme, cet étrange roi, restait gravé dans son esprit. Il n'était pas un monarque comme les autres. Il semblait, d'une manière ou d'une autre, aussi brisé que tout le reste du monde qu'il gouvernait.
Chapitre 2 – Le Poids du Silence
La journée avait à peine commencé, mais le passage du roi Raffaele dans l'hôtel avait déjà créé une atmosphère particulière. Chiara, qui avait toujours gardé un contrôle absolu sur l'endroit, sentit une légère fissure dans cette tranquillité apparente. Les diplomates qui arrivaient étaient plus nerveux, plus solennels. Les invités avaient cessé de parler à voix basse et se murmuraient des choses avec des sourires polis et des regards furtifs. Elle le savait. Raffaele d'Orsini n'était pas qu'un roi. Il était une présence, un poids invisible qui accablait ceux qui s'en approchaient.
Le déjeuner du congrès avait été programmé dans la grande salle du premier étage. Un espace lumineux, avec des fresques anciennes sur les murs, mais simple et fonctionnel. Chiara passa en revue les derniers détails avant l'arrivée des invités. Elle s'assura que les assiettes étaient alignées, les verres scintillants, et que les serviettes étaient impeccables. Elle avait une réputation à préserver, et bien qu'elle n'attendît rien de ce déjeuner particulier, elle savait que cette rencontre pourrait avoir un impact sur la réputation de son hôtel.
Elle se força à ne pas penser au roi. Ses gestes et ses silences se bousculaient dans son esprit, comme une mer agitée. Et puis il y avait cette tension étrange dans son regard, cette brève étincelle de vulnérabilité qu'il n'avait pas pu dissimuler. Pour un homme d'apparence aussi froide, ce n'était pas un trait que l'on attendait.
L'heure arriva. La salle se remplit peu à peu de figures familières : des politiciens, des universitaires, des experts en affaires internationales. Mais lorsque Raffaele entra dans la pièce, l'attention de tous se concentra immédiatement sur lui. La manière dont il se tenait, son allure de souverain, la froideur qu'il projetait à chaque mouvement, tout cela imposait une forme de respect immédiat, même si un malaise persistait dans l'air.
Chiara attendait, calme et concentrée, près du buffet. Elle ne chercha pas à l'approcher, respectant la distance, mais une fois qu'il entra dans la pièce, elle sentit son regard sur elle. Cette fois, il ne s'arrêta pas à la simple observation. Non, il l'observait activement. Il y avait une curiosité, mais aussi une forme de défi dans ses yeux, comme si quelque chose de non-dit se jouait entre eux. Chiara détourna brièvement les yeux, feignant de ne pas remarquer.
Raffaele se dirigea vers une petite table où un groupe de diplomates l'attendait déjà. Mais il n'était pas complètement absorbé par la conversation. Ses yeux cherchaient quelque chose, ou plutôt quelqu'un. Il s'arrêta un instant, un léger mouvement de tête, presque imperceptible. Et Chiara, étonnamment, sentit son cœur s'emballer un instant. Elle se raidit, attrapant son plateau de hors-d'œuvre pour masquer son trouble intérieur. Pourquoi se sentait-elle ainsi, nerveuse, presque à la merci de cet homme dont elle ne savait pourtant rien ?
Le repas débuta dans une ambiance cérémonieuse, le bruit des couverts se mêlant à celui des voix feutrées. Chiara se déplaçait de table en table, surveillant les convives et servant les plats avec une habileté et une précision qui ne laissaient aucun doute sur son professionnalisme. Cependant, l'air de plus en plus tendu entre Raffaele et les autres invités ne lui échappa pas. Chaque fois qu'il répondait, sa voix était calme, mesurée, presque glaciale. Mais il y avait aussi une pointe de méfiance, comme si chaque parole qu'il prononçait avait un poids qu'il n'avait pas l'intention de partager.
Chiara l'observa discrètement, ressentant à la fois de l'empathie et de la distance. Il était un roi, un homme au sommet de son royaume, mais il semblait plus isolé que la plupart des hommes qu'elle avait rencontrés. Le roi, pensait-elle, n'était qu'un homme de plus, pris dans des filets invisibles, comme tant d'autres.
Le dîner s'éternisa, les discussions allant et venant autour des enjeux diplomatiques et économiques. Chiara, tout en restant attentive à son rôle, ne pouvait s'empêcher de sentir la lourdeur de cette réunion. Les regards des invités étaient chargés de sous-entendus, comme si chacun attendait un geste, un signe, un quelque chose qui prouverait que l'ancien royaume de Valdirosa pouvait encore s'agrandir sous l'œil du roi. Mais Raffaele semblait se tenir en retrait, comme spectateur d'une scène qu'il ne contrôlait plus.
Finalement, alors que la soirée touchait à sa fin, Chiara s'approcha de la table où Raffaele était assis, avec l'intention de lui apporter un dernier verre de vin, conformément au protocole. Quand elle s'approcha, il leva les yeux et croisa son regard.
Pour la première fois depuis leur rencontre, il lui adressa la parole.
« Vous gérez très bien cet endroit », dit-il simplement, sa voix basse et grave, sans chaleur mais aussi sans distance excessive.
Chiara haussa légèrement les épaules. « Il faut bien quand on est seule ici. » Elle sourit, une petite grimace, plus pour se rassurer elle-même que pour lui.
Raffaele la fixa un instant. « Vous n'avez pas l'air d'être impressionnée par ce rôle. »
« J'ai appris à ne pas l'être », répondit-elle. « L'hôtellerie est une affaire de routine. Le reste... ce sont des questions de politique et de fortune. »
Il la regarda encore, comme s'il mesurait ses mots. Puis il détourna brièvement les yeux, l'air pensif. « Je crois que vous avez raison. »
Il y eut un silence, puis il se leva lentement, se dirigeant vers la sortie sans un mot de plus. Chiara le suivit du regard, une sensation étrange dans la poitrine. Peut-être qu'il n'était qu'un homme comme les autres, peut-être qu'il n'était qu'un roi déchu dans un monde qui l'avait oublié. Mais quelque chose dans son regard, ce quelque chose d'implacable, lui donnait l'impression qu'il n'était pas tout à fait comme les autres.
Ce soir-là, alors qu'elle s'installait dans son petit bureau à l'arrière de l'hôtel, Chiara ne parvint pas à chasser l'image de lui. Non pas du roi, mais de l'homme. Une silhouette solitaire, marchant dans les couloirs d'un palais trop vaste pour un cœur aussi solitaire.
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