Ils s'aimaient dans l'ombre. Ils ont été jugés à la lumière. Dans la ville d'Ardore, où l'aristocratie règne d'une main de fer sur le peuple, Serena Falco est engagée comme aide-cuisinière au sein du palais. Sa vie est rude, mais son cœur libre. Jusqu'au jour où le prince héritier, Lorenzo di Valente, échappe à ses gardes et s'égare dans les quartiers des domestiques. Il y rencontre Serena. Une parole, un sourire, une étincelle. Mais leur histoire naît dans la clandestinité, condamnée dès la première seconde. Car la reine mère prépare déjà le mariage du prince avec une duchesse d'Ilvarra, et toute infidélité serait perçue comme une trahison d'État. Quand l'amour devient crime, que reste-t-il à deux âmes piégées par la naissance ? Sinon l'éternité d'un souvenir.
Chapitre I
Le marbre noir du palais de Santa Bellaria résonnait d'un calme étrange, comme si la pierre elle-même retenait son souffle. Dans les couloirs tendus de silence, seuls les pas pressés des domestiques troublaient la perfection glacée des lieux. L'aube n'était pas encore levée, mais déjà les dorures étincelaient à la lueur vacillante des chandeliers, comme si elles attendaient qu'on les regarde, qu'on les admire, qu'on les vénère.
Serena Falco s'agenouilla près de la corniche du grand escalier central. Son seau d'eau tiède à la main, elle frottait avec énergie les rainures d'une rampe sculptée en forme de serpent d'or. Chaque matin, à l'aube, avant que la noblesse ne daigne ouvrir les yeux, elle nettoyait ce même escalier. Toujours ce même rituel. Elle n'aimait pas cet endroit. Il donnait sur la grande galerie des portraits, le lieu le plus visité par les invités du royaume. Elle le nettoyait comme on nettoie une scène de théâtre, avec la certitude qu'elle ne jouerait jamais dessus.
Les nobles ne regardaient jamais les servantes, sauf pour leur ordonner de disparaître. C'était ainsi. On les formait à l'obéissance, à l'invisibilité. On les appelait "les mains du silence". Et Serena excellait dans ce rôle, du moins en apparence. Car derrière ses gestes précis et son regard baissé, elle pensait. Elle se souvenait. Elle rêvait.
Elle se redressa, essuya une mèche de cheveux noirs collée à sa tempe, puis reprit sa tâche, le dos droit, les doigts rougis par l'eau et le savon. Au fond du couloir, elle savait que madame Rosetta, la gouvernante en chef, rôdait comme une ombre, prête à la réprimander pour un coin oublié ou une trace persistante. Mais ce matin-là, Serena avait quelque chose de différent dans le regard : une tension sourde, presque électrique. On disait que le prince héritier revenait. Après six ans d'absence. Six ans de guerre, de diplomatie, d'éloignement volontaire.
Le palais bruissait de cette nouvelle depuis des jours. Les femmes de chambre en chuchotaient dans les cuisines, les valets rectifiaient les angles des coussins avec une rigueur quasi militaire, et même les jardiniers, dans la cour intérieure, prenaient soin de faire resplendir les haies sculptées comme si l'univers entier allait soudain poser les yeux sur Valdirosa.
Serena, elle, ne connaissait Lorenzo di Valente que par les récits. Elle avait onze ans quand il était parti, en uniforme, droit et impassible. On disait qu'il avait le regard du roi son père - un regard de pierre, de ceux qui jugent et condamnent sans émotion. Depuis, le roi était mort, et c'était désormais lui, Lorenzo, que l'on attendait pour porter la couronne. La reine mère, Adelaïde, ne parlait plus en public. Le cardinal Ornani, lui, gouvernait dans l'ombre, en attendant le retour du fils prodigue.
Serena n'aimait pas ces hommes aux robes longues, ces nobles qui traversaient les salons sans un regard pour ceux qui leur versaient le vin. Elle les avait vus enterrer son père sans mot, sans pardon, sans justice. Ils lui avaient tout pris. Depuis, elle travaillait pour sauver Tomaso. Son petit frère. Seule chose précieuse dans sa vie brisée.
Elle rangea son chiffon, vida le seau dans la grille d'évacuation, et se dirigea vers la galerie des portraits pour épousseter les cadres. À cette heure, personne ne venait encore là. Les torches vacillaient sur les visages peints des anciens rois et reines, leurs yeux figés suivant chaque mouvement comme un rappel constant de l'ordre établi. Elle monta sur le petit escabeau, leva la main, et effleura le cadre du roi Vitale II, le père de Lorenzo.
Un bruit de pas la fit se figer.
Des pas lourds, assurés, mais non pressés. Pas ceux d'un domestique, ni d'un garde. Quelqu'un d'autre. Elle redescendit doucement, sans bruit. Une silhouette se dessina dans la lumière du fond de la galerie. Haute, vêtue d'un manteau de voyage sombre, le col relevé, les cheveux sombres coiffés en arrière. Il avançait sans hésiter, ses bottes heurtant le sol comme un métronome de commandement.
Serena recula d'un pas, baissa les yeux.
Il s'arrêta. Juste devant elle.
- Vous avez réveillé les rois, dit-il doucement.
Elle osa relever les yeux. Il n'était pas comme elle l'avait imaginé. Son visage était plus dur que dans les portraits, mais ses yeux... ses yeux étaient d'une clarté inhabituelle. Un gris presque argenté, traversé d'ombres.
- Pardonnez-moi, Altesse, dit-elle, la voix basse.
Il pencha la tête, sans sourire.
- Je ne voulais pas vous interrompre. Continuez.
Elle baissa à nouveau les yeux, mais ses doigts tremblaient. Il ne bougea pas. Il la regardait, comme si elle était un mystère à résoudre. Comme si, pour une fois, une servante n'était pas un décor.
Puis il se détourna, marcha quelques pas, s'arrêta devant le portrait de son père.
- Il aimait cet endroit, murmura-t-il.
Elle ne sut quoi répondre. Elle s'inclina à nouveau, fit mine de partir.
- Quel est votre nom ? demanda-t-il soudain.
Elle se figea.
- Serena. Serena Falco.
Il répéta son nom doucement, comme on goûte un fruit inconnu.
- Falco. Un nom de rapace.
Elle sentit son cœur se resserrer. Elle n'aimait pas ce nom. Trop de souvenirs, trop de douleur.
- Oui, Altesse, dit-elle simplement.
Il hocha la tête. Puis, sans autre mot, il s'éloigna dans l'ombre du couloir.
Quand elle se retrouva seule, Serena réalisa qu'elle n'avait pas respiré pendant toute leur conversation. Elle posa une main sur sa poitrine. Son cœur battait trop vite. Ce n'était rien. Juste un échange.
Et pourtant, quelque chose venait de changer.
Dans un royaume figé, une faille venait de s'ouvrir.
Très bien. Voici le Chapitre 2, toujours dans un style riche, dense, détaillé et sans transition narrative. On entre plus profondément dans les jeux de pouvoir du palais, dans les pensées de Lorenzo, et les premiers fils de ce qui deviendra une tragédie inévitable.
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Chapitre II
La lumière du matin filtrait à travers les hautes fenêtres du palais, tamisée par les voilages de soie blanche que les servantes avaient tirés à l'aube. Dans l'antichambre du conseil royal, tout était calme, presque trop calme. Chaque chose semblait figée dans une perfection oppressante, comme si la moindre erreur, le moindre pli sur un coussin, pouvait déclencher la colère des anciens dieux. C'était là que Lorenzo di Valente attendait.
Il se tenait debout, les mains croisées dans le dos, son manteau sombre abandonné à l'entrée. Sa tenue de velours noir, sobre mais impeccablement taillée, soulignait la silhouette droite et les épaules tendues du prince héritier. Il avait retiré ses gants et jouait nerveusement avec l'anneau de la maison di Valente, une pièce d'argent ornée d'une tête de lion.
La salle était silencieuse, mais dans sa tête, tout hurlait.
Depuis son retour, chaque regard pesait. Chaque salut était calculé. Les baisers sur les mains, les courbettes, les révérences, tout n'était que manœuvres, sourires feints et alliances souterraines. Rien n'avait changé. Valdirosa était restée la même : un joyau terni, trop fier pour se réinventer, trop corrompu pour survivre longtemps encore.
Il n'avait pas dormi de la nuit. Trop d'images, trop de souvenirs. Les champs d'Auregna, les corps entassés, les visages suppliants des paysans qu'on envoyait se battre pour une couronne qui ne les regardait pas. Il avait vu la mort de près, et pire encore : l'indifférence.
Et pourtant, ce matin-là, une chose l'avait surpris.
Cette fille. Serena.
Il n'aurait pas dû lui parler. Pas même la regarder. Mais il l'avait fait, presque par instinct. Elle n'avait rien dit d'extraordinaire, rien fait de remarquable, mais il y avait eu... un silence. Un vrai silence. Pas celui des courtisans, feutré de mensonges. Non, un silence franc, chargé de tension, de vérité.
Elle n'était qu'une servante. Il le savait. Et pourtant...
La porte s'ouvrit brusquement. Le cardinal Vittorio d'Ornani entra, vêtu de pourpre, son visage sévère coupé au couteau, comme sculpté pour l'autorité. Il portait le regard d'un homme qui ne posait jamais de questions, seulement des jugements. À sa suite, deux membres du conseil - le chancelier Maderno et le duc Girolamo Lanti - entrèrent à pas mesurés.
- Altesse, dit le cardinal en s'inclinant légèrement. Le Conseil est réuni.
Lorenzo hocha la tête, traversa la pièce et pénétra dans la grande salle ovale du conseil. Dix fauteuils de velours rouge cernaient une table d'ébène noire. Derrière lui, les portes se refermèrent en un claquement sec.
Le roi n'était plus. Et même si la couronne n'avait pas encore été posée sur sa tête, tous ici le savaient : c'était lui, désormais, qui allait régner.
Mais on ne lui laisserait pas la main si facilement.
- Votre retour fait grand bruit dans la capitale, dit le duc Lanti en s'installant. Le peuple vous acclame comme un héros de guerre.
- Le peuple n'a pas vu la guerre, répondit Lorenzo. Il acclamerait n'importe quel homme s'il lui promettait du pain et de la paix.
Un silence pesant s'installa. Le cardinal croisa les mains.
- Justement, nous avons à discuter de la paix. Et du pain. L'économie est instable, les récoltes faibles, les caisses vides. Il est temps de restaurer la confiance. Une union officielle avec la duchesse Elvira Malerba garantirait le soutien de l'est du royaume. Son père détient à lui seul trois cités portuaires stratégiques.
- Vous voulez dire : acheter la paix avec un mariage.
- C'est ainsi que se maintiennent les royaumes, dit froidement Maderno. Par les alliances, pas par les émotions.
Lorenzo se leva lentement. Il traversa la pièce sans les regarder, s'arrêtant devant la haute fenêtre qui donnait sur les jardins.
- Ai-je encore le droit de refuser quelque chose ? demanda-t-il d'une voix douce.
Le cardinal sourit sans chaleur.
- Vous avez tous les droits, Sire. Tant que vous faites ce qui doit être fait.
Lorenzo ne répondit pas.
En contrebas, il aperçut les jardins intérieurs. Des allées géométriques, des fontaines, des rosiers entretenus avec une obsession presque religieuse. Au centre, près d'un massif de lauriers, il vit une silhouette. Une robe de coton pâle, une démarche modeste. Serena. Elle portait un panier de linge. Elle traversait les jardins sans se douter que six regards pesaient sur elle depuis la salle du pouvoir.
Il ferma les yeux un instant.
Les chaînes invisibles s'étaient déjà resserrées autour de lui.
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Serena, de son côté, avançait d'un pas rapide. Le linge était propre, encore chaud du séchage, et elle devait le déposer dans les appartements supérieurs avant l'appel des dames de compagnie. Le jardin était presque vide à cette heure, seuls quelques jardiniers s'affairaient à tailler les buis en silence.
Elle ne savait pas pourquoi elle sentait ce trouble. Depuis l'échange du matin, elle n'avait cessé d'y repenser. Elle n'était pas idiote. Elle savait ce qu'elle était, ce qu'il était. Ce monde n'autorisait aucune faille. Mais quelque chose, dans ses yeux, l'avait désarmé. Ce n'était pas le regard d'un prince.
C'était celui d'un homme qui doutait.
Elle bifurqua vers l'aile est du palais. Là où résidaient les invités de prestige. C'était là qu'on préparait les appartements de la duchesse Elvira Malerba.
Serena ne l'avait encore jamais vue, mais les rumeurs sur elle étaient aussi nombreuses que les couverts en argent dans la salle des banquets. On la disait belle, distante, éduquée comme un homme, et dangereusement lucide. Le genre de femme qui savait ce qu'elle voulait, et comment l'obtenir.
Alors pourquoi, pensa Serena en serrant le drap entre ses mains, pourquoi avait-elle soudain peur d'une femme qu'elle ne connaissait pas... pour un homme qu'elle ne connaissait pas non plus ?
Elle frissonna. Une brise fraîche souffla dans le couloir. Le linge battit dans le panier comme les ailes d'un oiseau effrayé.
Au loin, la grande horloge sonna huit coups.
L'heure de la présentation officielle approchait.
Et avec elle, le premier soir de fête.
Le premier masque.
La première déchirure.
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