UNE FAMILLE A AIMER
Ma montre indique 18h30, et dans le taxi qui me transporte de l’aéroport jusqu’à la cité Otando où se trouve la maison familiale, je me demande juste ce que ma mère peut encore faire d’autre pour me blesser plus dans la vie.
Cinq jours que je suis arrivée à Libreville. Cinq jours durant lesquels j’ai pris soin d’appeler ma mère pour prévenir de mon arrivée sur Port-Gentil. Pourtant j’ai encore bien dit à Papa de la prévenir encore lorsque j’étais en salle d’embarquement parce qu’elle ne décrochait pas à mes appels. La grosse surprise c’est seulement lorsque j’ai constaté à l’arrivée qu’il n’y avait personne pour m’attendre. Et maman oh, et Amanda oh, oma fô (personne). Heureusement que papa m’a remis quelques billets, ce qui m’a permis de prendre le taxi juste après avoir attendu pendant au moins 1h, les fantômes qui devaient venir me chercher.
Tant qu’on a pas fini de vivre, On a pas fini de voir.
-moi : vous pouvez garer devant le portail noir là.
-Taximan : ok. C’est bon.
-moi : tenez !
Je lui tends un billet de 2000fcfa, montant de la course que j’ai demandé.
-Taximan : merci.
Il m’aide à faire descendre mes deux gros trolleys du coffre de son taxi, et je m’avance tant bien que mal vers la maison en prenant soin de bien fermer le portail derrière moi. Ce n’est pas le moment de chercher les injures. Un Pajero Montero que je devine être à ma sœur est bien garé sur l’allée.
Une fois au niveau de la terrasse, Je peux apercevoir à travers la baie vitrée, maman bien assise avec sa fille au salon.
Si c’était chez les autres, j’aurais eu droit à ce qu’on appelle un accueil chaleureux, mais ici, Je ne peux pas rêver de ça. On se connaît bien. En 25 ans de vie sur terre, Je ne sais pas si j’ai un quelconque souvenir de tendresse avec maman ou ma grande sœur Amanda. Avec mon petit frère encore ça passe. D’ailleurs, ça ne peut que bien passer vu que nous sommes tous deux dans la même position.
Finalement, Je pénètre dans le salon.
-moi : bonsoir ohhh !
-Amanda : bonsoir.
Ah ? Donc la miss est même enceinte ? Bien oh…
-Maman : tu es là depuis ?
-moi : non, Je viens d’arriver.
-Maman : ah ok !
En tout cas, Je suis déjà habituée. Même si je disais que je suis arrivée depuis le matin, la réponse aurait été la même. Ce n’est pas comme si on s’inquiète pour moi ici.
-moi : Darryl n’est pas là ?
-Maman : il doit sûrement traîner avec ses amis dans la cité. Est-ce qu’il reste à la maison ?
-moi : ah ok. Comme j’ai essayé son numéro mais ça ne passait pas.
-Maman : hummm
Je tire mes affaires jusque dans ma chambre.
Ma chambre, mon sanctuaire.
Je crois que c’est la seule chose positive qui m’a poussé à revenir ici en revenant de mon séjour très très prolongé d’études.
Je suis même surprise de voir un semblant d’ordre dans la chambre. On dirait que quelqu’un a fait un petit nettoyage. Humm quand je regarde juste le lit mal fait là, Je sais déjà que c’est Darryl qui est passé par là. Au moins je vais pouvoir me reposer ce soir, et bien arranger cette chambre demain à mon réveil.
J’hôte mes chaussures et je me pose sur le lit.
Je respire un bon coup comme à chaque fois que je sent la tristesse monter en moi. Je devrais normalement être immunisé contre les coups de maman et sa fille chérie, mais il faut croire que je suis trop sensible pour m’en foutre complètement.
Hum, Maman et sa fille Amanda. Sa plus belle histoire d’amour. Son idole, sa fierté, son tout.
Avez-vous déjà eu la sensation d’être un enfant adopté malgré le fait de ressembler à vos parents ? Moi c’est ce que je me dis depuis que j’ai au moins 6 ans. Bon, c’est vrai qu’avec la naissance de Darryl 7 ans après la mienne, et le traitement semblable au mien que lui a servit maman, ma théorie tombe à l’eau. Mais je refuse d’y croire. On nous a sûrement adopté.
Le duo de maman et sa fille, Je crois que je le subis depuis ma naissance. Je suis même certaine que maman ne m’a pas allaité. (Rires)
Vous voyez, quand je replonge dans mes souvenirs, je ne peux m’empêcher de verser quelques larmes.
Je n’ai pas en mémoire des moments de tendresse avec l’une ou l’autre.
Il a toujours été question d’Amanda pour maman à tel point qu’on oubliait parfois qu’elle était notre aînée. Même Darryl le plus petit était au balango (aux oubliettes).
Je me dis même que c’est sûrement cette attitude de maman qui a fait en sorte que papa s’en aille par la suite. Mais comme nous sommes dans une famille où le dialogue n’est pas présent, On vit seulement les choses en les ignorant, sans poser de questions.
J’ai 3 ans de moins qu’Amanda, mais je jure que dans la tête de ma mère elle a eu qu’un seul enfant : Amanda. Encore Amanda et toujours Amanda.
Dieu m’est témoins que j’aime ma sœur, mais bon, le sentiment n’est pas trop réciproque. Pas une fois je ne l’ai entendu dire quoi que ce soit en ma faveur ou celle de Darryl à sa maman chérie.
Si il y avait un anniversaire qu’on ne pouvait jamais ne pas fêter, c’est celui de ma sœur. La plus intelligente de la famille au school, encore elle. La beauté, il ne faut pas nous comparer mais, tout le monde s’accorde toujours pour dire qu’elle est plus belle, plus sexy, plus ceci, plus cela.
Quand on remettait les bulletins scolaires, c’était toujours celui d’Amanda que maman montrait aux gens. Le salon est toujours rempli de ses tableaux d’honneur d’ailleurs. Nous là, On était que les à-peu-près. Que tu ais la moyenne ou non, On ne te calcule pas.