Chapitre 1
La pluie battait le bitume, transformant la rue en un miroir brisé où se reflétaient les néons crasseux de la ville. Luna serrait les sangles de son sac à dos, luttant contre les rafales de vent qui s'engouffraient entre les immeubles. L'eau s'infiltrait à travers ses baskets usées, glaçant ses orteils. Elle baissa les yeux vers le sol, tentant d'ignorer le poids de la lettre froissée qu'elle tenait entre ses doigts tremblants.
**AVIS D'EXPULSION**
Les mots, imprimés en gras, lui brûlaient la rétine. Il n'y avait plus d'échappatoire.
Elle releva la tête en inspirant profondément, chassant les larmes qui menaçaient de couler. C'était idiot de pleurer pour un appartement miteux où le plafond s'effritait et où les cafards étaient plus nombreux que ses maigres économies. Pourtant, c'était chez elle. Son seul refuge dans cette ville impitoyable.
Elle n'avait nulle part où aller.
Son deuxième boulot, celui de serveuse dans un bar douteux, n'avait pas suffi à couvrir le retard de loyer. Son patron, un porc aux mains baladeuses, lui avait fait comprendre que si elle voulait une « aide », elle devrait s'accommoder de ses avances. Luna avait choisi de partir. Elle préférait encore dormir sous un pont que vendre sa dignité.
Une rafale plus forte fit claquer la lettre entre ses doigts. Elle la chiffonna d'un geste rageur et la jeta dans une flaque d'eau. Ce n'était qu'un bout de papier. Ça ne définissait pas qui elle était.
Les poings serrés, elle accéléra le pas.
La ruelle qu'elle empruntait était sombre, bordée de murs couverts de graffitis délavés. Elle connaissait ce quartier par cœur, un raccourci pour rejoindre la station de métro sans avoir à traverser les rues bondées. Mais ce soir-là, quelque chose était différent.
Un silence pesant, presque irréel, s'était installé.
Luna s'arrêta net. Son instinct, affûté par des années de survie en solitaire, lui hurlait de rebrousser chemin.
Mais c'était trop tard.
Un bruit sourd retentit. Une porte métallique s'ouvrit brutalement sur le côté du bâtiment adjacent. Deux hommes en sortirent en traînant un troisième entre eux. L'homme au milieu, une silhouette élancée vêtue d'un costume trempé par la pluie, ne se débattait plus. Son visage était en sang, une plaie béante déchirant sa joue.
Luna recula d'un pas, son souffle se coinçant dans sa gorge. Elle aurait dû fuir. Détourner les yeux. Se convaincre qu'elle n'avait rien vu.
Mais son corps était figé.
Un quatrième homme sortit de l'ombre. Il était grand, imposant, vêtu d'un manteau sombre qui battait contre ses jambes à cause du vent. Sa démarche était calme, presque paresseuse, mais il dégageait une autorité glaciale.
Son visage se dévoila à la lueur d'un lampadaire vacillant. Une mâchoire ciselée, des pommettes dures comme la pierre, des yeux sombres et insondables. Il n'avait pas besoin de lever la voix pour être écouté.
- Tu sais ce que tu as fait, murmura-t-il en s'adressant à l'homme ensanglanté.
Sa voix était douce, presque trop douce pour la violence qui suintait de la scène.
L'homme blessé trembla. Ses lèvres bougèrent, un filet de sang coulant sur son menton.
- Je... Je vous en prie, Dante... Je voulais pas...
Le cœur de Luna rata un battement.
Dante.
Ce nom, elle l'avait entendu à plusieurs reprises. Chuchoté dans les bars où elle travaillait. Murmuré avec une crainte respectueuse par les habitués qui connaissaient les rouages de la pègre locale. Dante était une légende. Un homme dont le nom suffisait à glacer le sang de ceux qui avaient le malheur de se retrouver sur sa liste noire.
Elle voulut reculer davantage, mais son pied glissa sur une flaque d'eau.
Un bruit infime, mais suffisant.
Dante leva immédiatement la tête, ses yeux se braquant sur elle.
Luna se figea.
Les secondes s'étirèrent, chaque battement de son cœur résonnant comme une détonation dans son crâne. Elle avait la sensation d'être une proie prise au piège sous le regard d'un prédateur.
Un silence s'installa, avant qu'un sourire lent ne s'étire sur les lèvres de Dante. Un sourire qui n'avait rien d'amusé.
- Approche, murmura-t-il.
Luna secoua la tête, reculant d'un pas précipité.
- Non... Je... Je n'ai rien vu.