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Nuit tombée
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Chapitres

Demain, Ă©cole : deux mots sortis de la bouche d'Olos, un soir Ă  l'heure du conteur. Deux mots rĂ©fĂ©rant l'un Ă  un temps, et l'autre Ă  un lieu. Un temps et un lieu inconnus oĂč un petit bonhomme d'une demi-douzaine d'annĂ©es se vit tout Ă  coup projetĂ© lorsque, sans rien lui demander, sans rien lui dire, un pĂšre dĂ©cida d'aller mettre le cadet de ses fils Ă  l'Ă©cole, de l'autre cĂŽtĂ© de La Grande RiviĂšre. Loin de son village natal. Loin des siens. Loin de ses amis d'enfance. Comme un saut dans l'inconnu. Comme une bouteille Ă  la mer... Nuit tombĂ©e relate, sous forme de rĂ©cit autobiographique, les pĂ©ripĂ©ties douloureuses d'un commencement problĂ©matique. À PROPOS DE L'AUTEUR Titulaire d'un Master of Arts et d'un doctorat en Ă©tudes thĂ©Ăątrales, Simon-Peter Cakpo a exercĂ© le mĂ©tier d'enseignant de langues – anglais, français – pendant toute sa carriĂšre. Consacrant Ă  prĂ©sent une partie de ses loisirs Ă  la lecture et Ă  l'Ă©criture, il rĂ©alise son deuxiĂšme ouvrage publiĂ©, Nuit tombĂ©e, un rĂ©cit autobiographique.

Chapitre 1 No.1

Un soir, en attendant l'Oiseau MĂąle

« Demain », dit Olos, des frĂšres aĂźnĂ©s, le cadet. « Demain », dit-il ! Un mot comme par hasard. Un son quelconque Ă©mis sur un ton si neutre qu'on eĂ»t cru qu'il n'Ă©tait point destinĂ© Ă  ĂȘtre entendu. Entrant par une oreille et sortant aussitĂŽt par l'autre, sans laisser la moindre trace. Demain. Un mot qu'on n'attendait pas ! Car entre le souper et le coucher, avec ou sans clair de lune, c'Ă©tait le temps oĂč, les ventres bien remplis, les enfants de diffĂ©rents groupes d'Ăąge se retrouvaient Ă  l'Ă©cart des adultes pour se raconter des histoires. Un temps privilĂ©giĂ© oĂč ils venaient Ă©couter la parole du conteur. Un rendez-vous rĂ©gulier, quasi quotidien, qu'un enfant ne manquerait sous aucun prĂ©texte.

Ce soir, comme bien d'autres soirs, au lieu-dit du rassemblement, Olos et son jeune frĂšre, arrivĂ©s les premiers, Ă©taient Ă  attendre que les autres enfants les rejoignent avant le dĂ©collage pour un voyage au pays des merveilles. Tous ensemble unis dans l'attente de la venue de HesĂș.

De tous les maĂźtres-conteurs, HesĂș, alias L'Oiseau MĂąle, Ă©tait celui qui jouissait de la plus solide rĂ©putation. Celui Ă  qui allaient sans conteste l'admiration et la prĂ©fĂ©rence d'un auditoire qui lui Ă©tait plus que fidĂšle, tant il excellait dans l'art du conte, sachant offrir Ă  chaque sĂ©ance les mots et les gestes, les tons et les rythmes propres Ă  captiver tout un auditoire et Ă  le tenir en haleine des heures, parfois, puisant Ă  une source d'inspiration apparemment intarissable.

Mieux que tous les autres, L'Oiseau MĂąle savait agrĂ©menter sa parole de mĂ©lodies improvisĂ©es dont, de sa voix de soprano, il berçait les cƓurs autant que les Ăąmes. Et quand, Ă  force d'ĂȘtre entendu, un air devenait familier, le refrain Ă©tait repris en chƓur par un public juvĂ©nile avec une telle ardeur que le vent du soir en Ă©tait empli et que les notes s'envolaient de loin en loin, ricochant de cime en cime. Et quand venait le temps tant attendu du retour, le temps du dĂ©nouement, l'Oiseau MĂąle dĂ©voilait la morale de l'histoire avant d'annoncer la fin du voyage par une formule connue de tous : « Nbla yĂ©ho chĂ© gĂ©dĂ© gĂ©dé». Par quoi il recueillait dans le creux de ses mains la parole contĂ©e, l'emmaillotait tendrement, la dorlotait et la hissait tout en douceur jusqu'au sommet de Gedehunsu, le fromager. Tout lĂ -haut, en lieu sĂ»r, Ă  l'abri des regards profanes, elle se rechargerait d'Ă©nergies nouvelles, en attendant la prochaine sollicitation quand, se faisant de nouveau parole, elle redescendrait afin d'ĂȘtre livrĂ©e aux Ăąmes innocentes.

Alors, un peu Ă  contrecƓur, les enfants prenaient congĂ© de L'Oiseau MĂąle et s'en allaient retrouver l'intimitĂ© de leurs nattes, heureux d'avoir pris part Ă  la fĂȘte et pensant dĂ©jĂ  au prochain rassemblement de la petite tribu des aficionados de L'Oiseau MĂąle

Ce soir, entre le souper et le coucher, au lieu-dit, Olos et son jeune frĂšre attendaient. Du coin de l'Ɠil et de l'oreille, Tibo guettait avec une impatience qui commençait Ă  croĂźtre Ă  mesure que les instants se succĂ©daient et que la nuit avançait. Mais les autres enfants tardaient Ă  se manifester. Et L'Oiseau semblait prendre son temps, ce qui n'Ă©tait guĂšre dans ses habitudes !

Ce soir, au lieu-dit, à l'heure dite, ils étaient deux. Deux à attendre... Soudain, sorti de nulle part, « Demain » se fit entendre à nouveau. Et sentant un début de frustration, voire d'agacement chez son jeune frÚre, Olos s'empressa d'associer à ce mot qui ne voulait rien dire quelques éléments qui ne lui permirent pas d'en dire davantage. En effet, autant que l'on sache, qu'il veuille dire « le jour à venir » ou qu'il veuille dire « le jour d'avant », sÎest un mot qui n'avait rien à faire ici ce soir.

« Demain, tu vas à Wéhomin! » dit Olos. Un peu plus de mots pour un peu moins de sens.

WĂ©homin? Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que cela peut bien ĂȘtre ? Une terre Ă©trangĂšre ? Un pays lointain ? Un pays de cocagne oĂč les fruits de la fĂ©licitĂ© tombent en abondance ? Un pays imaginaire ? Un ailleurs incertain que lui-mĂȘme ne connaĂźt peut-ĂȘtre pas ou que jamais il ne connaĂźtra ? Des questions de cette nature, Tibo avait Ă  peine fini de se les poser que la bouche d'Olos s'ouvrit Ă  nouveau.

« Tu vas à Wéhomindemain », dit-il. En mettant un soin tout particulier à modifier l'ordre des mots. Comme s'il suffisait de changer l'ordre des mots pour changer l'ordre des choses !

« Demain, tu vas Ă  WĂ©homin» ou « Tu vas Ă  WĂ©homindemain » : une inversion des termes de l'Ă©noncĂ© qui n'est pas sans rappeler cette autre inversion d'une cĂ©lĂ©britĂ© bien Ă©tablie : « SĂŽ gbĂŽ yi dokan» et « So kan yi dĂŽ gbo». En rĂ©alitĂ©, « qu'on emmĂšne la chĂšvre Ă  la corde » ou « qu'on emmĂšne la corde Ă  la chĂšvre ». Qu'est-ce que cela peut bien changer, si au bout du compte, la bĂȘte se retrouve la corde au cou ?

Des propos apparemment incohĂ©rents et sans intĂ©rĂȘt. Alors, Ă  quoi bon rester ici Ă  attendre ? À entendre des mots qui ne veulent rien dire ? Et qui ne servent Ă  rien qu'Ă  perdre le temps. Tout ce temps perdu ! Au point oĂč on en Ă©tait, il paraissait de plus en plus Ă©vident que ce soir, L'Oiseau ne viendrait pas. Et que l'on ferait mieux de prendre congĂ© de ce lieu-dit pour aller chercher ailleurs le repos.

Ce soir, entre le souper et le coucher, L'Oiseau MĂąle n'est pas venu se poser sur son perchoir, hĂ©las ! Mais demain, un autre jour viendra. Le soleil se lĂšvera et suivra son parcours jusqu'au coucher. Un autre soir oĂč L'Oiseau reviendra ici. Il reviendra profĂ©rer quelques formules incantatoires qui iront rĂ©sonner tout autour du corps du grand arbre, comme une sollicitation poĂ©tique. Les mots se feront parole. Et de la plus haute des cimes, la parole redescendra. Cette parole que seules, entendent les Ăąmes innocentes.

AllongĂ© sur sa natte, plein de regrets pour une soirĂ©e paradoxale, et dĂ©jĂ  tout entier tendu vers le soir prochain, Tibo ne sut quand le sommeil vint et l'emporta au pays des rĂȘves d'enfant. Il n'eut pas le temps de ruminer sa frustration ni de songer Ă  demain...

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