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Ivre de spleen
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Chapitres

Fruit de longues mĂ©ditations, Ivre de spleen narre les pensĂ©es et la vie d'un homme confrontĂ© Ă  une solitude forcĂ©e et essentielle. Entre dĂ©lires mĂ©taphysiques et mĂ©galomaniaques, il se raconte Ă  travers sa psychĂ© fissurĂ©e et la vie intĂ©rieure qu'il dĂ©veloppe consĂ©quemment. Son objectif est de trouver son salut par la narration de ses blessures et de ses joies. Un rĂ©cit Ă©difiant sur le pouvoir de l'esprit qui pense, rĂȘve et fantasme quand il n'y a plus rien autour et qu'il faut remplir le vide urgemment afin de ne pas sombrer dans le dĂ©sespoir. Biographie de l'auteur AprĂšs l'obtention de son baccalaurĂ©at, Karim Ben Abdallah a entamĂ© des Ă©tudes de droit. Toutefois, Ă  la suite d'un concours littĂ©raire auquel il a Ă©tĂ© primĂ©, il dĂ©cide de tout abandonner afin de se consacrer Ă  l'Ă©criture.

Chapitre 1 No.1

À mon cousin, Achref Achich, sans qui rien n'aurait Ă©tĂ© possible. Du fond du cƓur, merci.

Je ne sais vraiment pas quoi dire. Il y a si peu de mots pour décrire ce qui se passe à l'intérieur. Trop souvent, l'injustice, la révolte et la frustration obscurcissent l'esprit, comme une nuit étoilée recouverte par les ombres des démons. La seule beauté qui subsiste est dans les paroles d'une belle chanson, de Céline Dion et Barbara Streisand, que je fredonne dans mon esprit et qui élÚve mon esprit. En fait, il y a tellement de choses à dire, comment tout a commencé et comment tout se terminera. La fin des mondes.

Dans son cagibi en quartier bourgeois, dans sa mansarde louĂ©e deux fois rien, il n'a plus d'argent, se nourrit de pĂątes, le silence est rare, il habite prĂšs d'une Ă©cole oĂč vrombissent les voitures et les autocars Ă  travers ses minces fenĂȘtres qui ne sauraient le protĂ©ger des ondes sonores puissantes de la rue. Il lit, fume, se recueille, et la journĂ©e se dĂ©roule comme un tapis de soie, un long fleuve tranquille, il ne se mĂȘle pas des affaires des hommes, car quiconque s'aventure dans ce monde moderne tombera dans la ruse, le mensonge, les gens qui parlent derriĂšre le dos, s'engager en couple, c'est jouer le rĂŽle du mĂąle dominant sur une femelle qui ne comprend pas grand-chose Ă  la virilitĂ© si ce n'est une image de puissance, d'Ă©quilibre et de protection. Or, lui a une mission spirituelle tout en douceur et sans vexation, il se construit malgrĂ© lui dans une profonde douceur, sous la protection d'Allah, en plus, les femmes travaillent, la confrontation avec le monde les a endurcies, elles ont perdu leur fĂ©minitĂ©, donc, bref, il ne se retrouve pas dans tout ça. Il prĂ©fĂšre vivre seul et cultiver ses valeurs, peut-ĂȘtre qu'un jour Dieu mettra sur son chemin une femme qui reconnaĂźtra sa douceur et son humilitĂ©, et la beautĂ© limpide de son amour pour la vie, son profond respect pour tout ce qui est vivant, son Ă©thique, qui s'il s'en montre digne un jour portera ses fruits. Croiser l'altĂ©ritĂ© est trĂšs troublant, surtout quand elle est superficielle, avide et assoiffĂ©e, et quand elle ne croit fermement qu'en une vie, tout est trop pressĂ© et ne prend pas le temps de la dĂ©tente, il faut que ce soit intense, que ça cogne un peu, c'est trop passionnel et violent, comme un jaillissement d'un geyser. En plus, il faut se montrer intĂ©ressant, attirer l'attention, personne ne laisse le temps faire son Ɠuvre, qui l'a fait quand mĂȘme, mais sans patience, dans l'impatience. Il n'empĂȘche qu'il est sans cesse harcelĂ©, car il ne vit pas seul, il a un colocataire qui vient parfois l'interrompre pour un coup de tĂ©lĂ©phone d'une femme folle de lui car il accomplit tous ses dĂ©sirs, qui ne prĂȘte pas vraiment attention Ă  lui, mais plutĂŽt Ă  ses parties gĂ©nitales, trop vieille pour se mettre en quĂȘte d'un autre mĂąle avenant. Combien de fois il a senti son esprit prĂȘt Ă  s'envoler, mais la crainte d'ĂȘtre interrompu fut plus forte ? En tout cas, son tĂ©lĂ©phone Ă  lui est coupĂ© depuis belle lurette. Il fuit les hommes. Il n'aurait jamais dĂ» sombrer dans la fornication, elle n'attire que des malheurs. Elle que l'on prĂŽne comme libertĂ©, comme libĂ©ration de l'ĂȘtre, n'est en fait qu'un asservissement. Il a maintenant du mal Ă  s'en libĂ©rer.

Les sphÚres célestes s'échappent, comme à leur habitude, insaisissables, le mouvement de l'ùme est entravé.

J'ai peur d'ĂȘtre interrompu sans cesse, mon cerveau ne connaĂźt pas le repos. Je suis sorti, j'ai entendu de drĂŽles d'histoires, puis je suis rentrĂ©. J'ai fait l'amour deux fois en deux jours et je me pose des questions. Si un jour mes actions porteront leurs fruits, je me sens comme un prisonnier moderne, en fuite de la sociĂ©tĂ© qui a voulu me corrompre pour toujours. Je me souviens, tout Ă©tait si froid, si rationnel, que je n'en pouvais plus, mes sentiments ont fait leur apparition. Ce fut assez violent, comme un geyser. C'Ă©tait soudain. Je dĂ©couvre que mon ĂȘtre contient de l'amour. Et que celui-ci jaillit de ma personne pour illuminer la terre, sur un bout de papier, j'Ă©cris en transe, en voyage dans un autre monde. Dans des bars, dans des cafĂ©s, je me balade dans la ville. Je me crois seul, sans que personne ne vienne me dire quoi faire. J'aimerais tellement que mon esprit se rĂ©veille, que j'Ă©pouse ma solitude et que l'on ne vienne pas me dĂ©ranger, que rien ne vienne contrarier mes dĂ©sirs, car c'est lĂ  toute la vĂ©ritĂ©, ce sont des dĂ©sirs purs comme des flĂšches enflammĂ©es qui viennent rĂ©chauffer les Ăąmes. Ce que je peux dire Ă  un candidat Ă  la libĂ©ration de soi, c'est de croire en Allah. Il donne des coups de main, il nous aide parfois. Enfin donc, tout Ă©tait trĂšs froid. L'illumination m'a saisi dans les villes brutales, mon Ăąme s'est rĂ©vĂ©lĂ©e trĂšs douce malgrĂ© la brutalitĂ© extrĂȘme dont j'ai fait l'objet. Je me suis senti trĂšs longtemps Ă©touffĂ©, sans air, sans espace pour exprimer mes sentiments, je me suis longtemps enfoncĂ© dans le paraĂźtre, je ne faisais attention qu'aux apparences. Et puis j'ai commencĂ© Ă  embellir, et j'ai senti mes sens s'Ă©veiller au contact de la poĂ©sie, j'ai senti quelque chose de profondĂ©ment enfoui faire surface, comme une graine ancestrale et mystique d'oĂč jaillit le feu sacrĂ©, qui illumine le corps et l'esprit, comme une fulgurance spirituelle, comme une protubĂ©rance solaire. Je me souviens, j'Ă©tais avec des amis, et quelque chose en moi s'est dĂ©sinhibĂ© avec l'alcool et la conversation intelligente. Mon Ăąme a commencĂ© Ă  chanter, Ă  saisir les mots et Ă  insuffler dedans un souffle, mes paroles restaient lĂ©gĂšres mais prenaient du poids. Je me servais de mon interlocuteur pour orchestrer une Ă©lĂ©vation spirituelle. Comme toujours. Les intelligences se croisaient, croisaient le fer. Puis se prenaient les unes dans les autres pour s'enlacer et oublier la guerre, et oublier les chocs qui Ă©mettaient des lumiĂšres. Il a rĂ©ussi, il a illuminĂ© la terre pendant deux mois, une course contre la montrer pour recueillir le jus cĂ©leste de ses nerfs fatiguĂ©s et dopĂ©s Ă  l'extase et Ă  l'amour. Mais tout s'est Ă©vanoui, comme une scĂšne sylvestre dans les bois, avec des nymphes et qui s'efface au matin. Parfois, il a l'impression d'avoir des ailes, un peu estropiĂ©es ces temps-ci.

C'est l'histoire d'une mĂšre qui cherche la fusion avec son fils. Elle empiĂšte sans cesse sur son intimitĂ©. Il dĂ©cide alors de la tuer pour exister. (Comme dans le film 7Ăšmeart oĂč la mĂšre, interprĂ©tĂ©e par Balasko, est Ă©touffĂ©e par son fils homosexuel qui signe lĂ  sa premiĂšre Ɠuvre d'art.)

Dieu dit : « Quand tu as un but et que tu es obstinĂ©, tu ne prĂȘtes plus attention Ă  rien d'autre que ton but. Et il se peut que tu sois atteint de symptĂŽmes qui s'apparentent aux symptĂŽmes dĂ©pressifs. »

Quelle Ă©trange et douce nuit ! Les anges chantent pour les maux de la terre, mais le principe de rĂ©alitĂ© est toujours aussi dur. Dieu n'Ă©pargne personne, il nous met peut-ĂȘtre Ă  l'Ă©preuve pour savoir qui d'entre nous est vĂ©ridique. Mais tout de mĂȘme, j'aimerais retrouver la spontanĂ©itĂ© enfantine de nos visages endurcis par le crime, car nous sommes tous des criminels en puissance et en fait, ayant tous commis des pĂ©chĂ©s, que Dieu nous pardonne. Par delĂ  le bien et le mal, je me situe. Peut-ĂȘtre qu'un jour les consĂ©quences s'abattront comme des oiseaux de mauvais augure qui ont finalement trouvĂ© une victime Ă  dĂ©pecer, un cadavre Ă  ronger, affaibli par la faim et la soif, affaibli par les moqueries et les reproches (qui ne mĂšnent Ă  rien, sinon la colĂšre, la vexation et les frustrations). Peut-ĂȘtre qu'un jour, mais ce jour arrivera pour sĂ»r, rien n'est impuni. Que Dieu nous sauve et nous remette sur le droit chemin. Ce soir, j'ai suivi un signe de Dieu qui m'a recommandĂ© de voir une connaissance. TrĂšs sympa, il m'a qualifiĂ© d'ami en devenir. Nous avons bien dĂźnĂ©, le tout arrosĂ© de biĂšre dont une qui nous a Ă©tĂ© offerte. Le restaurant Ă©tait trĂšs sympa, nous avons fait connaissance du cuisinier. On est ensuite parti place du Luxembourg, la biĂšre gratuite en main, pour nous nicher dans un bar frĂ©quentĂ© par les eurocrates, empli de jeunes filles bien fringuĂ©es, bourgeoises ou d'origine modeste. Nous avons rencontrĂ© plein de monde. Je me suis prĂ©sentĂ© comme Ă©crivain et l'on m'a fĂ©licitĂ© pour mon prix littĂ©raire. J'ai menti avec aise, sans que mon cƓur en souffre, pris dans le courant d'empathie gĂ©nĂ©reuse des repĂšres de mes conversations. On s'est ensuite dirigĂ© vers la porte de Namur en passant par oĂč habite mon ami. J'ai croisĂ© notre voisin ami de mes parents, l'air sĂ©rieux et ambitieux, avec une profondeur dans le regard qui montre le degrĂ© de sa rĂ©ussite sociale. On a ensuite atterri Ă  porte de Namur, MatongĂ©, les cafĂ©s congolais et la musique africaine Ă  plein le nez de leur sueur odorante et exotique, pour enfin arriver Ă  un cafĂ© dans une ruelle, pignon sur une rue en forme de banniĂšre isocĂšle, pour rencontrer deux filles et finalement un mec irlandais, chauve, et fort sympa. On a bien discutĂ© et bien rigolĂ©, on a mĂȘme eu droit Ă  une dĂ©monstration anglophone rappĂ©e sur le marchĂ© de la musique hip-hop par cette fille rwandaise fort mignonne et forte de sa frĂȘle personne. On s'est finalement sĂ©parĂ© vers une heure et demie, eux allant dans un cafĂ© voisin, l'athĂ©nĂ©e, moi me dirigeant vers le bus nocturne qui sillonne la ville Ă  des heures indues et des horaires fantomatiques. En attendant le bus, un bus plein de fĂȘtards et de corps moulants en uniforme de super hĂ©ros passe par l'arrĂȘt, faisant jaillir la lumiĂšre de ses boules disco sur le ciel halogĂšne des champs ÉlysĂ©es de Bruxelles. La scĂšne me faisant rire, elle fait aussi rĂ©agir un jeune homme qui attend le mĂȘme bus que moi. Alors, on tape la discute, se dĂ©couvre des amis communs, une destination commune, bref, on est voisin, et il est super sympa. Je rentre Ă  pied, et l'accueil de la maison fut plutĂŽt bon, grinçant lĂ©gĂšrement, mais pas au point de devenir sinistre et incommodant, je parle Ă  mon pĂšre, je lui raconte tout comme une madeleine qui s'effondre, je bois un verre d'eau, je fume sur le balcon et parle avec Dieu, je mĂ©dite, me recueille aprĂšs cet effort et cette extase de longue haleine, Dieu merci, et je me pose sur le salon devant cet ordinateur bĂ©ni et cette heure exquise. Je rĂ©ponds Ă  un ami qui veut me voir, pour parler de son avenir certainement, et pour partager ensemble un peu de l'amour du monde. Que Dieu nous bĂ©nisse. Ensuite, je ne sais plus ce que je fais.

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