Un monde de ténèbres Le monde était tombé en enfer il y a bien longtemps, envahi par la race des vampires. Pour maintenir une forme de paix dans nos terres, les Seigneurs Vampires avaient conclu un accord. Les humains riches et puissants pouvaient survivre comme avant, épargnés par les vampires, à part pour les collectes de sang occasionnelles. Du moins, c'est ce qu'ils croyaient. En réalité, nous étions tous sous leur contrôle. Des châteaux s'étaient répandus à travers nos terres, un dans chaque ville. Chaque château abritait un nombre variable de vampires, mais tous étaient dirigés par un Seigneur. Ces Seigneurs régnaient en maîtres absolus sur chaque cité, que cela nous plaise ou non. Les vampires parcouraient souvent les rues, veillant à ce que tout soit en ordre et que personne ne dépasse les limites. Si vous franchissiez la ligne, vous mouriez. Point final. Même si les riches restaient sous leur emprise, leur sort était bien plus enviable que celui des pauvres. Les hommes les plus démunis étaient réduits en esclavage, forcés de servir un vampire en particulier ou de participer à la construction de leurs châteaux. Les femmes, quant à elles, devenaient des "animaux de compagnie". Les "animaux de compagnie" occupaient le rang le plus bas de la société. Elles étaient enfermées dans des cages trop petites pour s'y tenir debout, un collier autour du cou. Elles passaient leurs journées dans des boutiques spécialisées, attendant avec terreur le jour où elles seraient achetées. Traitées comme des bêtes, elles étaient dressées pour répondre aux désirs de leur maître et punies si elles désobéissaient. Celles qui avaient la "chance" de survivre à cet enfer étaient abattues à l'âge de vingt-cinq ans, leur sang récolté pour maintenir la population humaine sous contrôle. Je suis née dans ce monde. Un monde peuplé de monstres assoiffés de sang. Sauf que, moi, j'étais l'une des chanceuses. Enfin, je l'étais. Tout a basculé pour moi à l'âge de douze ans, quand on m'a arrachée au dernier espoir et à la dernière famille qui me restaient. Depuis ce jour, j'ai vécu dans une cage, me décomposant lentement, attendant, redoutant le jour où un monstre ferait de moi sa propriété. C'est ma vie. Je suis un animal de compagnie. Tous droits réservés.
L'obscurité était omniprésente, un voile oppressant qui ne se levait jamais. Ici, le temps n'avait plus de sens. Il n'y avait ni soleil ni lune, seulement la lueur rougeâtre des torches qui vacillaient sur les murs de pierre, projetant des ombres difformes sur le sol humide. L'air était saturé d'une odeur de sang, de chair et de peur. Un parfum de mort qui s'accrochait à la peau, aux os, à l'âme.
Les cages s'alignaient les unes après les autres, étroites, glaciales, rouillées par l'humidité. Elles contenaient ce qui restait de l'humanité soumise. Des corps recroquevillés, affaiblis, usés par l'attente. Des murmures, parfois des pleurs étouffés, parfois rien du tout. Le silence régnait la plupart du temps, un silence chargé de résignation et d'effroi.
J'étais là, parmi elles. Une silhouette de plus dans cet enfer souterrain. Mon corps s'était habitué à l'inconfort, à la douleur sourde des positions immobiles trop longtemps maintenues. Mon esprit, lui, refusait encore de se briser complètement. Je survivais en me raccrochant à mes souvenirs, à une époque où le ciel existait encore, où mes pieds foulaient la terre et non ces dalles froides et souillées. Mais ces souvenirs s'effaçaient peu à peu, se mêlant à la poussière et au néant.
Des bruits de pas résonnèrent dans le couloir. Lourds. Réguliers. Ma cage vibra sous l'impact d'un passage proche. Un claquement de bottes, une voix grave échangeant quelques mots avec un autre garde. Puis le silence revint, encore plus lourd qu'avant. Quelqu'un allait être choisi ce soir. Quelqu'un allait partir.
Je fermai les yeux, espérant ne pas être celle-là.
Les secondes s'étiraient, étouffantes, rythmées par les battements erratiques de mon cœur. Je gardai les yeux fermés, priant pour que leur regard ne s'arrête pas sur moi. Autour, d'autres filles faisaient de même, réduites à l'instinct primaire de l'animal traqué.
Un grincement de porte déchira le silence. Des pas lourds pénétrèrent dans la pièce, suivis d'un bruissement de papier. Ils lisaient les registres, ces listes froides où nos vies étaient réduites à des numéros, des caractéristiques physiques, une simple marchandise.
- Celle-là.
Ma gorge se serra. J'entendis le cliquetis métallique d'une serrure qui s'ouvrait. Un cri étranglé s'éleva, puis le bruit sourd d'un corps traîné sur le sol. Une autre avait été choisie. Une autre partait vers un destin inconnu.
Je ne bougeai pas. J'attendis, comptant mentalement, respirant à peine. Puis les pas s'éloignèrent, la porte se referma, et le silence retomba comme une chape de plomb.
Un sanglot étouffé résonna quelque part dans l'ombre. Une fille venait de perdre sa dernière compagne de cellule. Une autre se recroquevilla davantage sur elle-même.
Je n'éprouvais plus rien. Ni soulagement, ni peur. Juste cette torpeur froide, cette résignation qui s'insinuait jour après jour. J'étais encore là. Pour combien de temps, je l'ignorais. Mais je savais une chose : tôt ou tard, mon tour viendrait.
Le silence devint mon seul compagnon. J'avais appris à ne plus compter les jours, à ne plus attendre d'issue. L'espoir était une chose dangereuse dans cet endroit. Il vous rongeait plus sûrement que la faim, vous laissait vide, brisé, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une coquille, une ombre de ce que vous aviez été.
Les autres filles étaient comme moi. Des corps fatigués, des âmes éteintes. Certaines murmuraient encore des prières, d'autres parlaient seules, répétant sans cesse des fragments de souvenirs d'un passé révolu. Je ne parlais plus depuis longtemps. À quoi bon ? Personne n'écoutait.
Parfois, nous avions droit à de l'eau et un peu de nourriture, juste assez pour nous maintenir en vie. Mourir ici n'était pas une option. Nous étions précieuses, pas en tant qu'êtres humains, mais comme du bétail.
Le grincement familier de la porte me fit tressaillir. Je n'eus pas besoin d'ouvrir les yeux pour comprendre ce qui allait suivre. Les pas lourds, l'odeur métallique du sang qui flottait dans l'air, l'aura oppressante qui se répandait dans la pièce. Un vampire.
- Faites-les se lever.
Une voix glaciale, autoritaire. Pas comme celle des gardes humains. C'était un maître. Un de ceux qui pouvaient décider de notre sort en un simple regard.
Des mains rudes me saisirent, me forçant à me redresser malgré la raideur de mes membres. J'ouvris les yeux et me retrouvai face à un homme drapé de noir, immobile au centre de la pièce. Son visage était partiellement masqué par l'ombre de sa cape, mais je devinais des traits d'une perfection irréelle, une beauté aussi envoûtante que terrifiante.
Son regard balaya la pièce, glissant sur chaque fille comme s'il évaluait un simple objet. Puis il s'arrêta sur moi.
- Celle-là.
Mon estomac se noua.
Le garde tira sur ma chaîne et je fus arrachée de ma cage avec une violence qui me coupa le souffle. Ma respiration devint erratique, mes jambes tremblantes refusant de me porter. Je voulais fuir, hurler, me débattre, mais à quoi bon ? Il n'y avait pas d'échappatoire.
J'étais à lui, désormais.
La chaîne cliqueta contre le sol alors qu'on me traînait hors de ma cellule. Mon corps heurta durement la pierre froide du couloir, mais personne ne s'arrêta pour me relever. Mon visage cogna le sol, ma joue écorchée par la rugosité du pavé. Un goût de fer envahit ma bouche, mélange écœurant de peur et de douleur.
Je serrai les dents. Je ne voulais pas leur donner ce plaisir. Je refusais de leur offrir le spectacle de ma faiblesse. Pourtant, mon corps était un traître. Mes muscles tendus tremblaient sous la pression, mes genoux ployaient sous mon propre poids.
- Debout.
La voix résonna comme un ordre absolu. Un ton tranchant, dénué de la moindre patience.
Les mains du garde se refermèrent sur mon bras et me forcèrent à me relever. Mes jambes flanchèrent, et je dus lutter pour ne pas retomber. Le poids de la chaîne attachée à mon cou rendait le moindre mouvement laborieux, chaque pas était une épreuve.
Le vampire ne disait rien. Il se tenait là, immobile, comme une ombre menaçante qui pesait sur moi. Il n'avait pas besoin de parler. Sa simple présence suffisait à m'écraser.
Je risquai un regard dans sa direction. Ses yeux, sombres et insondables, se posèrent sur moi avec une intensité qui me glaça le sang.
Il n'y avait rien d'humain en lui.
Son visage était taillé dans la perfection la plus impitoyable. Une beauté irréelle, marquée par une froideur déconcertante. Ses traits étaient figés, comme sculptés dans le marbre, mais son regard transperçait chaque barrière que j'aurais voulu dresser.
Il me jaugea un instant, comme s'il lisait en moi avec une facilité déconcertante. Puis, sans un mot, il se détourna.
- Amenez-la.
Le garde me tira brutalement en avant. Mes pieds nus glissèrent sur le sol humide alors que l'on me forçait à avancer.
Les couloirs du bâtiment étaient sombres, éclairés seulement par quelques torches aux flammes vacillantes. Les ombres dansaient sur les murs de pierre, créant un décor lugubre, presque cauchemardesque. L'odeur de renfermé, mêlée à celle du sang séché, emplissait mes narines, me retournant l'estomac.
Des cris étouffés résonnaient au loin, vestiges de souffrances anonymes. Je n'étais pas la seule à être emportée ce soir.
On traversa plusieurs corridors, chacun plus froid et oppressant que le précédent. À chaque tournant, mon cœur battait plus vite, l'angoisse grimpant en moi comme une marée impossible à contenir.
Puis, une immense porte de fer apparut devant nous.
Le garde s'arrêta et frappa deux coups secs.
Un silence pesant s'installa.
Puis la porte s'ouvrit lentement, dévoilant une salle immense, drapée de ténèbres.
L'air y était glacial. Chaque pas que je faisais à l'intérieur résonnait dans le vide, comme si la pièce tout entière me dévorait déjà.
Et lui, il était là.
Assis dans un fauteuil de velours noir, il me regardait comme un prédateur observant sa proie.
Il ne dit rien.
Mais je compris, à cet instant précis, que ma vie ne m'appartenait plus.
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