Enfant unique élevée dans le cocon protecteur de sa famille congolaise, l'avenir d'Esther semblait tout tracé. C'était sans compter un bouleversant séjour à l'hÎpital puis la tragédie de la guerre civile qui la contraint à fuir son pays. Réfugiée en France, les hasards de la destinée s'acharnent à la détruire. Paradoxalement, sa nature tendre et attachante, absolument pas préparée à affronter les coups du sort, révÚle au fil des pages une étonnante capacité à rebondir. Sans jamais perdre espoir malgré les déboires successifs, elle retrace son odyssée d'une plume trempée dans les larmes, l'ironie et l'humour... à PROPOS DE L'AUTEUR La lecture a permis à Jean-Yves Pajaud de surnager au long d'un parcours scolaire chaotique. Beaucoup plus tard, la presse réveillera sa passion pour l'écriture tout en affûtant son style. Par la suite, les manuscrits s'accumuleront avant qu'une belle rencontre l'incite enfin à les publier.
Ă mon amie B...
qui, en évoquant son enfance au Congo, m'a permis de puiser dans le décor de ses réalités...
Partie I
Elle tape au carreau de la fenĂȘtre fermĂ©e.
En vain.
Elle recommence ses « tac-tac », une fois, deux fois, dix fois, sans plus de rĂ©sultat : on ne traverse pas une fenĂȘtre close, mĂȘme celle d'une chambre d'hĂŽpital.
J'ai mal, par instants. Entre deux Ă©lancements, son petit bruit m'exaspĂšre : le supplice de la goutte d'eau, version mouche en quĂȘte de libertĂ©.
Que sait-elle de la liberté, de son ivresse et de ses dangers ? De guerre lasse, elle est venue se poser sur mon drap, à quelques centimÚtres de mon visage de gamine. « Tu veux quoi ? De l'aide ? OK ! Je vais voir ce que je peux faire... Mais je te préviens : ici, tu ne risques rien ou pas grand-chose. Dehors, c'est l'inconnu et le risque de mourir à chaque instant, celui de finir en petit déjeuner du premier oiseau qui passe... »
Rien qu'évoquer le petit déjeuner me donne envie de vomir.
J'ai mal.
La mouche, sourde Ă mes conseils, indiffĂ©rente Ă mes souffrances, a repris son combat, inutile et tĂȘtu, contre la vitre. L'aube paresseuse repeint le ciel. Le jour se lĂšve sur Brazzaville.
« Ăa va, petite mademoiselle ? »
- Ou... oui...
Elle a l'Ăąge et la bienveillance d'une maman. Je tente : « Il fait trop chaud... Vous voulez bien ouvrir la fenĂȘtre ? »
- Ouvrir la fenĂȘtre ! Vous n'y pensez pas ! Ă cette heure-ci, vous allez prendre froid... Ce n'est pas le moment !
- Oh... S'il vous plaĂźt...
Un spasme me crispe le visage. Pour une fois, je ne vais pas me plaindre : c'est un avocat aussi efficace qu'inattendu. Le meilleur !
« Bon... J'ouvre mais un petit peu... et pas trop longtemps... » La douleur n'atténue en rien mon triomphe mais elle m'exonÚre de répondre et de remercier. La mouche ne peut invoquer une quelconque excuse à sa propre ingratitude. L'appel du destin a été le plus fort. Elle m'a abandonnée à mon sort sans le moindre remords : elle apprend vite la Loi du
Il est trop tÎt pour que l'agitation de l'hÎpital gagne le couloir du Service. Par la porte de la chambre restée entrouverte me parvient le bruit d'un pas que je connais trop bien : maman !
Elle est entrée sans frapper, sans la moindre appréhension, comme si elle avait fait ça toute sa vie.
Normal. Elle a fait ça toute sa vie. Enfin presque, depuis qu'elle a commencé ses études de médecine. Elle est pédiatre. Je ne me souviens pas l'avoir déjà vue en blouse blanche, stéthoscope autour du cou. Ou alors, il y a longtemps. à moins que les spasmes vicieux aient fermé provisoirement les portes de ma mémoire.
D'un coup d'Ćil circulaire, elle repĂšre tout de suite ce qui cloche : « Qui a bien pu laisser cette fenĂȘtre ouverte ? » La question n'est adressĂ©e Ă personne et l'incongruitĂ© est vite rĂ©parĂ©e. Trop tard ! Le forfait est accompli depuis longtemps, l'Ă©vasion a rĂ©ussi mais si je ne proteste pas c'est surtout parce que je... commence Ă avoir froid !
- Ăa va ?
- Oui, maman, Ă peu prĂšs...
Parce que sa silhouette est en contre-jour, j'ai l'impression que son visage reste impassible. Le son de sa voix me semble dénué de chaleur affectueuse, comme si j'étais une patiente ordinaire. Sa main tiÚde glisse le long de ma joue sans vraiment apaiser mes tourments...
Papa ! Papa ! Oh ! Comme je voudrais que tu sois lĂ . Toi aussi, tu es mĂ©decin, gastro-entĂ©rologue renommĂ©, au Congo et Ă l'Ă©tranger. Mais voilĂ : tu travailles dans un autre hĂŽpital de Brazzaville et tu n'es pas homme Ă laisser les malades qui t'attendent, mĂȘme pour accompagner ta fille chĂ©rie, ton enfant unique. Tu sais que maman est prĂšs de moi, que le personnel et tes confrĂšres sont compĂ©tents et que je ne risque rien.
Non... Je ne t'en veux pas. Je me demande si ce n'est pas ton magnifique amour, tes torrents de tendresse, ta vigilante protection dont je suis la seule bénéficiaire qui t'ont fait préférer te noyer dans le travail pour ces quelques heures. Pour ne pas ajouter ton inquiétude à mon angoisse.
Maman n'est pas maman. Enfin, je veux dire que ce n'est pas celle qui m'a mise au monde. Cette maman-là , je ne l'ai pas connue. Lorsque mes parents se sont séparés, je n'avais que huit mois. D'aussi loin que les souvenirs explorent mon passé d'adolescente, un brouillard épais s'oppose à leurs investigations.
J'ai mal. Une fois de plus. Et ça dure depuis cette nuit.
C'est la douleur qui m'a réveillée. Pas véritablement une surprise. Je sais depuis des semaines que ça se terminera à l'hÎpital. Maman m'avait prévenue : « Si tu ressens des douleurs insupportables, tu le dis. Si c'est la nuit, tu nous réveilles... » Ils dormaient et ce n'était pas « insupportable ». Alors, je suis allée aux toilettes et je me suis recouchée. Le manÚge s'est reproduit plusieurs fois. Douloureux, oui, mais pas « insupportable ». Jusqu'à la derniÚre, alors que je savais qu'à cette heure-là , mes parents sont debout.
Je crois que, rien qu'Ă ma tĂȘte, ils ont compris : « pourquoi tu ne nous as rien dit ? ».
- Ce n'Ă©tait pas insupportable...
Le soupir d'exaspération de maman se noie dans le tourbillon : retour dans ma chambre, auscultation et verdict : « On part tout de suite ! »
Les vingt minutes séparant la maison de l'hÎpital ne m'ont jamais paru aussi courtes. Logique : parce qu'il faisait encore nuit et les rues désertes, maman a battu tous les records au volant de son 4x4. Pas le temps d'avoir peur, d'avoir mal, de penser au collÚge et à mes amis qui vont s'inquiéter de mon absence. Tout va trÚs vite, trop vite.
On arrive.
Tout le monde connaßt maman. Le sommeil qui pouvait s'insinuer sournoisement chez le personnel en fin de garde de nuit observe un repli stratégique en urgence. Je m'abandonne dans le brouhaha des voix, des ordres, des bras qui se tendent et me soulÚvent. Puis, soudain, le silence de la chambre, la demi-obscurité vaguement contestée par une veilleuse faiblarde dans le couloir et la solitude.
Enfin presque. Des « tac-tac » rĂ©pĂ©tĂ©s se succĂšdent en provenance de la fenĂȘtre... Vous connaissez la suite... Mais pas la fin : je m'appelle Esther, tout juste 16 ans, collĂ©gienne en 3e et, d'ici peu, je vais ĂȘtre maman.
Chapitre 1 No.1
19/04/2023
Chapitre 2 No.2
19/04/2023
Chapitre 3 No.3
19/04/2023
Chapitre 4 No.4
19/04/2023
Chapitre 5 No.5
19/04/2023
Chapitre 6 No.6
19/04/2023
Chapitre 7 No.7
19/04/2023
Chapitre 8 No.8
19/04/2023
Chapitre 9 No.9
19/04/2023
Chapitre 10 No.10
19/04/2023
Chapitre 11 No.11
19/04/2023
Chapitre 12 No.12
19/04/2023
Chapitre 13 No.13
19/04/2023
Chapitre 14 No.14
19/04/2023
Chapitre 15 No.15
19/04/2023
Chapitre 16 No.16
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Chapitre 17 No.17
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Chapitre 18 No.18
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Chapitre 19 No.19
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Chapitre 20 No.20
19/04/2023
Chapitre 21 No.21
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Chapitre 22 No.22
19/04/2023
Chapitre 23 No.23
19/04/2023
Chapitre 24 No.24
19/04/2023
Chapitre 25 No.25
19/04/2023
Chapitre 26 No.26
19/04/2023
Chapitre 27 No.27
19/04/2023
Chapitre 28 No.28
19/04/2023
Chapitre 29 No.29
19/04/2023
Chapitre 30 No.30
19/04/2023
Chapitre 31 No.31
19/04/2023
Chapitre 32 No.32
19/04/2023
Chapitre 33 No.33
19/04/2023
Chapitre 34 No.34
19/04/2023
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