Un couple, marié. Un couple pauvre mais qui vivait a la sueur de son front. Un couple de travailleurs, d'infatigables sis a la banlieue dakaroise avec leur petite famille. Un couple de jeunes, amoureux et qui s'entendait à merveille. Effectivement, Khardiata Pouye et Omar Ndir vivait un amour inconditionnel avec "de l'eau fraiche".
L'epouse, Khar est issue d'une famille très aisée. Son père, elle l'a perdu tôt, a l'âge de 9 ans. Le frère de lait de son pere a hérité de sa mère apres le veuvage. Ce qu'on appèle le levirat. Khar aussi a hérité d'un nouveau père qui s'occupait bien d'elle et qui, comme ses autres " frères" bénéficiait d'un confort sans conteste. Le seul hic est qu'elle et ses cousines ou soeurs n'ont jamais posé le derrière sur une table d'école. Elles n'ont meme pas cherché à le convaincre. Son nouveau père était très strict là dessus, extrêmement et exagérément. Les garcons avaient ce droit mais les filles n'ont pas droit a l'éducation occidentale. En dépit de leur vie dakaroise. Car lui avait un bon poste au chemin de fer de Thiès, un poste qui payait beaucoup et si ce n'était pas lui qui venait deux Week-end dans le mois, ce sont ses deux femmes qui partaient le voir. La mère de Khar et sa coepouse. Tout le temps, il insistait sur le fait que les filles ne doivent ni aller a l'école ni frequenter celles qui y vont Elles pouvaient jouer, s'amuser entre elles et aider leur mère ou tante dans les corvées ménagères. C'est ainsi que Khar ne connaît pas un mot français.
Elle était couvée, nourrie, habillée et blanchie. En plus d'etre belle a souhait, soignée et respectueuse, Khar s'y connaissait en très bonnes cuisines. Elle savait faire de très bons plats et surtout des jus excellents et des " radis", crèmes glacées mises dans des sachets. Elle savait coudre des boutons manquants, repasser du linge bien lavé, récurer des pièces. Bref, elle était jeune, belle et en âge de se marier.
Pour pouvoir couvrir ses besoins personnels, ceux qu'elles n'aura pas besoin de demander à son père ou a sa mère, elle a décidé un jour de vendre son jus. Avant midi, les bouteilles qu'elle échangeait pour une piece de 50 francs étaient dans le réfrigérateur. A treize heures, avec sa glacière et en tenue correcte, elle vendait en faisant le tour du garage pour servir les apprentis et les chauffeurs. Elle s'en sortait bien. Et les gens appréciaient énormément cette petite bouteille de pain de singe, bissap, ditakh ou gingembre. Avec un fort caractère plus un sourire simple, elle trouvait son gain dans cette activité.
Un jour, un des apprentis l'a pris à part pour lui parler de ses sentiments. Par politesse, elle l'a bien écouté, l'a remercié pour sa franchise et son courage. Car jusque là aucun homme n'a osé se présenter pour déclarer une flamme. Pour faire sa "star", elle a dit qu'elle réfléchira et lui fera part de sa décision quand elle sera prête.
Une semaine! Deux semaines! La jeune Khar n'a pas daigné lui parler.
Après sa vente, alors qu'elle rentrait chez elle, le jeune Omar Ndir l'a poursuivi jusqu'à la sortie du garage pour lui parler. Avec sérieux, il lui a carrément dit qu'il n'est pas ici pour jouer et que si c'est pour le faire attendre et après lui dire que ce n'est pas possible. Ce n'est pas la peine de le laisser espérer. C'est à ce moment que Khar comprit que Omar est non seulement sérieux mais aussi sait ce qu'il veut. Elle a accepté de faire suivre leur idylle. Progressivement l'attirance s'est transformée en amour, un amour véritable et véridique. Un amour simple. D'une vendeuse avec un apprenti de car rapide.
Omar et Khar s'aimaient. Ça sautait a l'oeil. Comme toute bonne fille respectable, elle le recevait la nuit chez elle, devant sa famille qui l'accueillait bien. Ils discutaient, riaient, se taquinaient.
Un soir, alors qu'Omar était chez Khar, le père de la jeune fille est rentré de Thiès. Khar a fait les présentations. Le vieux s'est montré très strict avant de tracer sa route pour se raffraichir.
Quand il a appelé Khar, Omar etait déjà parti car il avait senti le mal aise qu'il y avait quand le papa a répondu sévèrement à son salut aimable et respectueux.
Donc, Khar est parti répondre. Apres lui avoir bien dit qu'il n'aimait pas que des hommes viennent rendre visite à ses filles, il lui a demandé des informations sur le jeune homme. Khar a répondu qu'il était jeune travailleur, qu'il est orphelin de mère et de père, qu'il est digne et qu'il a de très bonnes intentions envers elle. Après avoir bien analysé sa réponse, il lui a demandé quel est le type de travail qu'il fait. Sans arrière pensée, elle a répondu qu'il était apprenti de " car rapide" au garage du quartier et qu'en parallèle, il apprend pour devenir mécanicien. Là, il s'est énervé en lui disant qu'elle ne sait pas ce qu'elle vaut, qu'une femme comme elle doit sortir avec un homme plus important qu'un apprenti qui ne saura l'entretenir, que si elle souhaite devenir sa femme, qu'il ne compte pas sur lui pour lui offrir sa main. Bref, tant de choses surprenantes que Khar s'est enfuie en pleurs.
Avec tout ce que Omar fait pour elle, tout ce qu'ils s'étaient promis de faire, elle ne peut pas sortir de cette relation même si son père n'est pas du même avis qu'elle. Elle a promis de le convaincre et peut-être qu'un jour prochain, il verra plus que les métiers de son amoureux, il verra les qualités d'un homme bon, pieux, sociable et digne.
Le lendemain, par chance, elle n'a pas vu Omar et puisque le soir dernier, il lui a dit qu'il restera chez lui jusqu'au retour de son père, ils ne se sont pas vu non plus. Apres le diner, elle est allée voir sa mère à qui elle a exposé le probleme. Très compréhensive, la vieille dame a accepté d'en parler à son mari.
Très remonté a cause du soutien de la mère de Khar, il les a convoqué toutes les deux. Il criait qu'il renierait Khar si elle le voyait encore avec ce bon à rien.
De son côté, Omar s'inquiétait. Il n'avait plus de nouvelles de sa chérie et on dirait qu'elle fuyait quand il essayait de discuter avec elle au garage. A plusieurs reprises, il lui a demandé ce qui ne va pas, ce qu'il lui a fait pour qu'elle ne le regarde plus dans les yeux, elle fuyait un quelconque contact avec lui.
A l'improviste donc, un soir, il s'est présenté chez lui sachant pertinemment que le pater n'est pas à Thiès. Alors qu'il finissait de faire ses ablutions, Omar est parti lui tendre la main, une poigne qu'il n'a même pas regardé. Un peu déçu Omar a demandé à Khar de lui montrer où il peut faire aussi ses ablutions. Surprise, Khar a fait ce qu'il lui a demandé. Après tout cela, comme le vieux fait sa prière dans la cour, il a saisi la natte que Khar lui a tendu et tous les deux ils ont prié. Après la prière et une assez longue récitation du Coran, Omar lui a serré la main et comme c'était fait par force, cette fois il l'a salué. Il a plié les deux nattes avant d'aller s'asseoir à côté de sa copine. Khar répondait très vaguement aux questions de son amoureux. Elle était plus occupée à surveiller son père à travers la fenêtre, s'attendant sûrement au fait qu'il vienne congédier son invité.
Omar parlait et pendant un moment il s'est tu, fixant sa bien aimé. Il ne comprenait pas à quoi est dû ce changement soudain. Elle qui riait tout le temps, animait la discussion. Ne sachant plus quoi faire, il a demandé à s'en aller. Khar en était quelque peu soulagé et elle s'est levée au même moment que lui. En traversant la porte du salon, le père de Khar l'a appelé. C'est avec un coeur qui donne l'impression d'avoir couru le marathon que Khar est entrée pour voir ce que voulait son père. Il lui a juste dit de faire venir l'homme qui vient la voir ici. Khar a obéi et Omar l'a suivi. Une fois dans le salon, elle voulait s'en aller pour les laisser discuter entre eux mais son père l'en a empêché. Elle a donc repris sa place. Papa a pris la parole sur un ton très dur, il lui a dit en gros de ne plus jamais revenir dans cette maison et de mettre une croix sur sa relation avec sa fille. Omar cachait sa surprise. Ah ça non, il ne s'y attendait pas. Pour lui, c'est inimaginable de perdre Khar. Pas après 6 mois de relation et une promesse de mariage. Gâcher cet amour qui prend forme et gagne du terrain, plutôt mourir. Calmement donc il a pris la parole.
-Tonton, pardonnez-moi mais ce n'est pas ce à quoi je m'attendais. Khar m'a dit tellement de bien vous concernant que j'étais certain que vous me considérerez comme un fils. Elle vous admire tant qu'on consacre la plupart de nos discussions à parler de tout ce que vous faites pour sa mère et elle. Vous avez parlé de mon métier. C'est vrai, je ne suis qu'un apprenti et j'en suis fier. J'aurai pu vous cacher mon métier, prétendre être quelqu'un d'autre. Mais j'ai préféré être franc, qu'elle m'aime avec le travail que je fais, que notre relation se base sur la vérité. Il est vrai que Khar est très belle et que n'importe quel homme pourrait tomber à ses pieds, des hommes très importants dans ce pays. Sauf qu'il est vrai aussi que notre relation n'est que la volonté de Dieu. C'est lui qui a dit qu'Omar et Khar vont s'aimer. Et s'il plait à Dieu, elle sera mon épouse. Je ne peux pas lui offrir cette maison car je ne suis pas plein aux as. Dara kheuyoul soti*. Un jour, tout sera normal et elle aura cette vie que vous souhaitez pour elle et même plus. En attendant, je peux juste lui offrir ma protection, mon amour et sauver son honneur. Khar ne manquera de rien. Je ne suis pas fainéant tonton, je sais ce que je veux et j'ai confiance en moi. Nous sommes deux jeunes qui s'aiment, si demain vous le voulez j'amène la dot et nous concrétiserons cette union.