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Le chant des moineaux

Le chant des moineaux

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Chapitres

Dix ans aprĂšs une catastrophe nuclĂ©aire sans prĂ©cĂ©dent, un homme casanier croit ĂȘtre seul au monde. Seulement, un jour une adolescente vient perturber sa routine dans son quartier populaire. Le monde est plongĂ© dans une sorte d'hiver oĂč le jour n'existe plus et oĂč la seule source de lumiĂšre existante est Ă©mise par de petites fleurs parasites bioluminescentes. Vivre et mourir dans le souvenir et l'imaginaire ou explorer un monde hostile en se battant pour la survie des hommes et pour revoir un jour le bleu du ciel ? À PROPOS DE L'AUTEUR DĂšs son jeune Ăąge, Nicolas LĂ©tĂ© a Ă©tĂ© influencĂ© par les textes d'Henry-RenĂ©-Albert-Guy de Maupassant. L'essence de cet ouvrage repose sur une interrogation relative Ă  l'isolement : est-il une forme de bonheur que seuls les solitaires savent apprĂ©cier ou une erreur qui Ă©loigne l'homme de ses pairs ? Cette rĂ©flexion a abouti Ă  l'Ă©criture du roman Le chant des moineaux.

Chapitre 1 No.1

Chapitre 1Mon chez-moi, ma réalité

Fallait-il en arriver lĂ  ? Fallait-il vraiment aller toujours plus loin ? Et puis surtout, fallait-il que dans leur folie, ils emportent Sonia, mes voisins, mon chat, mais aussi mon hier ? Ils m'ont privĂ© Ă  jamais de ma lumiĂšre, de ma famille, de mon tout. Ils m'ont privĂ© de moi-mĂȘme, de mon bonheur. On m'a toujours appris que la seule chose dont on avait rĂ©ellement le choix, c'Ă©tait l'amour, libre d'aimer, d'apprendre Ă  aimer ou non, mĂȘme pour un homme tel que moi. Alors pourquoi ? Pourquoi m'ont-ils arrachĂ© Sonia ? Pourquoi ont-ils arrachĂ© mon cƓur ?

Je m'accrochais Ă  ces derniĂšres bouffĂ©es de tabac, comme un ultime souffle, un dernier plaisir bien trop long et fade. Je m'accrochais Ă  la lumiĂšre de ces maudites fleurs, comme Ă  celle que ma fille apportait, seul phare Ăąpre de ma longue nuit. Je m'accrochais Ă  son souvenir, Ă  ce qui restait d'elle et comme Ă  ces fleurs, auparavant dĂ©pendantes de lumiĂšre et qui en Ă©manent aujourd'hui, comme Ă  cette nuit qui ne veut pas du jour Ă  sa suite, comme Ă  ce monde qui n'a plus de sens, j'Ă©tais une boussole dansant follement sans nord, comme une trotteuse qui peine Ă  atteindre minuit, et puis comme Ă  ce papier glacĂ©, terne et livide, oĂč le temps n'a plus d'emprise Ă  y croire, cachant un souvenir affreusement chaleureux, j'Ă©tais figĂ© dans mon prĂ©sent. Comment pouvais-je atteindre la fin de mon temps, quand celle de cette nuit n'existait pas ? J'appelais cette fin de tous mes vƓux, voulant m'Ă©teindre avec son souvenir au fond des yeux, les poumons noirs de m'ĂȘtre trop Ă©garĂ© dans mes songes.

Je suis un homme bedonnant, les rides bouffant le visage, les cheveux rares, habillĂ© de mon habit du dimanche, une chemise blanche qui me serre, surmontĂ©e d'une jaquette noire du plus bel effet. J'ai toujours aimĂ© m'habiller de façon classieuse, pour Ă©voquer une certaine bourgeoisie inenvisageable, bien que mes charentaises miteuses trahissent vite ma condition. Assis sur ma chaise devant ce qu'il reste de mon immeuble, je brĂ»le l'une de mes derniĂšres cigarettes, de vieilles Jackson's Garden sĂšches, le regard perdu au plus loin qu'il peut dans cette obscuritĂ©. C'est dans cette noirceur que dansent les formes de mon imaginaire et de mes souvenirs. Le souvenir mĂšne la danse, l'imaginaire marche sur les pieds et fait mal. Le souvenir chuchote au creux de l'oreille de l'imaginaire de doux mots d'un passĂ© joyeux, oĂč ma femme lit sous le porche de l'immeuble, pendant que Sonia joue avec BĂ©ina, notre chatte europĂ©enne, et Grabouille, son doudou meurtri de tant d'aventures Ă  ses cĂŽtĂ©s. L'imaginaire se laisse sĂ©duire par ses louanges et rit fort, Ă  en dĂ©chirer ce silence froid et sombre, Ă  en dĂ©chirer le ciel tel un Ă©clair, se crĂ©e alors la forme des miens, face Ă  moi. Le fait que j'aimerais les toucher fait d'autant plus rire l'imaginaire et dans leur folle danse, leurs Ă©bats macabres marchent sur mon ĂȘtre. Je suis Ă  y croire la derniĂšre personne dans ce monde Ă  me faire mal Ă  ce point. Non. En rĂ©alitĂ©, cela a toujours Ă©tĂ© le cas. Ma cendre tombe sur mon pantalon et creuse un nouveau trou.

« Et merde, c'est pas comme si le tailleur existait encore. »

Je passai ma main sur ma jambe pour faire chuter cette poussiĂšre grisĂątre sur le sol. Je levais ma tĂȘte et regardais les fleurs des plantes qui couvraient maintenant le monde. Des fleurs qui avaient Ă©clos le long de lianes d'un vert putride, des fleurs s'apparentant Ă  ce qui me semblait ĂȘtre des astĂ©racĂ©es par leur forme, munies de cinq pĂ©tales, surplombant des sĂ©pales d'une noirceur dĂ©notant cette particularitĂ© que je n'avais encore jamais vue, elles brillaient dans la nuit. Ces organes dĂ©gageaient une rĂ©elle lumiĂšre pouvant Ă©clairer Ă  quelques mĂštres, d'une lumiĂšre aux tons proches de celle d'un feu de camp. Cette plante grimpe comme le lierre, pousse comme la mousse, parasite comme le gui blanc, Ă  tel point que mon quartier en comporte bien des spĂ©cimens. Je me levai de ma chaise et empruntai la ruelle juste Ă  gauche de chez moi, donnant sur un parc de quartier entourĂ© de murs de briques, lui donnant un cĂŽtĂ© trĂšs intime et calme. Il y avait avant des balançoires, des toboggans, des bacs Ă  sable maintenant ruinĂ©s, Ă©crasĂ©s par les tonnes de dĂ©combres des immeubles environnants. Seul y trĂŽne, encore fier, le saule pleureur, plantĂ© lors de l'inauguration de la citĂ©, suintant aujourd'hui une sĂšve lumineuse, qui contient les exsudats atroces de ces plantes parasites. Les lianes avaient colonisĂ© l'arbre, Ă  tel point que les fleurs Ă©taient par milliers, comme les ampoules des guirlandes d'un sapin lors des fĂȘtes de fin d'annĂ©e, confĂ©rant une beautĂ© inquiĂ©tante Ă  cet individu. Il brillait, mais mourait, impuissant, se laissant drainer ses forces, au profit d'un ĂȘtre opportuniste qui n'aurait jamais dĂ» exister.

« Seul au monde », cela faisait des annĂ©es que je me le disais, me remĂ©morant les jours d'avant, marchant comme un pauvre hĂšre, explorant çà et lĂ  les diffĂ©rents bĂątiments de ma ville, sans jamais trop quitter les rues que les lianes avaient Ă©pargnĂ©es. Les tĂ©nĂšbres Ă©taient Ă©paisses, me disais-je, mais comme Ă  mon habitude, c'Ă©tait de l'inconnu que j'avais peur, je ne quittais jamais ma ville. J'y suis nĂ©, j'y ai grandi, j'y ai Ă©tudiĂ©, y ai cassĂ© des carreaux avec des cailloux, j'y suis allĂ© Ă  la messe, fait les quatre cents coups, rencontrĂ© mon amour, y ai eu ma Sonia, y ai trouvĂ© ma chatte BĂ©ina, j'ai habitĂ© ici et j'y suis toujours restĂ©. Au final, je me dis que, peut-ĂȘtre, ces tĂ©nĂšbres ont toujours existĂ©. Paradoxalement, ces fleurs que je maudissais, pourrissant mes chĂšres plantes, guidaient confortablement un chemin rassurant que j'ai arpentĂ© un million de fois, bien qu'aprĂšs la tragĂ©die, je distinguais difficilement les contours de ce qui Ă©tait avant la silhouette de ma ville.

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