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Le destin de Thorolf - L'ßle boréale

Le destin de Thorolf - L'ßle boréale

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Chapitres

Les Ă©vĂ©nements de la fin du IXe siĂšcle au Danemark ont conduit Thorolf Sveinson, Ă  la tĂȘte du clan de Snorri, en Islande. ImplantĂ©s depuis vingt-cinq ans sur l'Ăźle, les premiers colons les accueillent. NĂ©anmoins, l'installation dĂ©finitive de la communautĂ© sera Ă©maillĂ©e de nombreuses pĂ©ripĂ©ties reflĂ©tant les mƓurs de l'Ă©poque. Elles marqueront Ă  jamais le destin de son chef. Le clan de Snorri apportera ensuite sa pierre Ă  l'Ă©difice de la future nation islandaise. L'influence des dieux et des ĂȘtres des mondes invisibles pĂšse sur la destinĂ©e de celles et ceux qui participent Ă  sa construction. EncadrĂ©s par des figures et des rĂ©fĂ©rences historiques, ces personnages romanesques nous font dĂ©couvrir une partie du Landnamsöld, la colonisation de l'Islande par les Scandinaves. Les chemins des uns et des autres s'entremĂȘlent comme dans le premier opus du destin de Thorolf. Des gestes du quotidien aux actes hĂ©roĂŻques, tous les aspects de la vie de cette Ă©poque sont abordĂ©s au cours des pages du prĂ©sent roman. À PROPOS DE L'AUTEUR NĂ© en Lorraine, JoĂ«l Torzuoli vit aujourd'hui prĂšs de LunĂ©ville, la ville du ChĂąteau des LumiĂšres. Partageant sa passion du haut moyen-Ăąge europĂ©en, il anime un petit groupe d'Ă©vocation viking fĂ©ru de manifestations historiques et amateur de repas mĂ©diĂ©vaux organisĂ©s chaque trimestre depuis plus de cinq ans. L'Ăźle borĂ©ale est son deuxiĂšme roman. On y retrouve les personnages principaux du premier, Le destin de Thorolf, entraĂźnant le lecteur dans une nouvelle sĂ©rie d'aventures.

Chapitre 1 Adieu Hedeby

Alors que la menace suédoise se précisait en ce début de siÚcle, la reine Reinhild d'Hedeby réunit le conseil de la cité. Elle y invita le jarl du comté voisin, Knut le Jeune, et les chefs de clan les plus influents. J'y fus convié à ce titre. Nos relations amicales, bien que connues de tous, passÚrent au second plan, en la circonstance.

Björn III le Vieux, peu enclin aux guerres fratricides, devança les ambitions d'Olof 1er. Ce dernier régnait encore de façon indépendante sur une petite partie de la SuÚde et ne faisait pas mystÚre de ses vues sur le grand port danois. Il ne manquait ni de partisans ni d'alliés et pouvait compter rapidement sur une armée impressionnante. De son cÎté, l'aßné estimait que le sang scandinave ne devait plus couler. L'expérience lui fournissait de nouvelles armes. Le vieux roi envoya alors une délégation pacifique au Danemark à la rencontre des multiples roitelets et jarls qui se partageaient le pays.

Les Ă©missaires suĂ©dois terminĂšrent leur pĂ©riple par le sud de la pĂ©ninsule. Knut puis Reinhild les reçurent. Les propositions de Björn s'avĂ©raient simples et directes. Les gouvernants qui lui prĂȘteraient allĂ©geance seraient maintenus en place et ne subiraient, dĂšs lors, aucune incursion suĂ©doise. Le nouveau souverain n'exigerait que des taxes et un service militaire de chaque homme libre. Les dirigeants qui n'accepteraient pas se verraient probablement confrontĂ©s Ă  des rĂ©voltes internes ou des guerres menĂ©es par leurs voisins, dĂ©sormais alliĂ©s. En cas de refus global des diffĂ©rents chefs danois, le vieux roi retirerait ses offres et ne s'opposerait plus, alors, Ă  son rival Olof. À la tĂȘte d'une puissante force composĂ©e de jarls ambitieux, de Vikings, de mercenaires et d'esclaves affranchis sans foi ni loi, le jeune arriviste se comportait comme Harald Belle Chevelure en NorvĂšge. Celui-ci plaçait ses propres vassaux aux commandes des comtĂ©s. Il rĂ©quisitionnait partout armes, bateaux, nourriture ainsi que deux hommes sur dix pour servir dans ses troupes. Les responsables de clan qui rĂ©sistaient Ă©taient dĂ©capitĂ©s, leurs femmes et tous leurs biens devenaient possession du tyran.

Incapables de se fédérer et d'organiser une réplique digne de ce nom, les Danois se trouvaient pris à la gorge. La ruse de Björn pour annexer le pays paraissait, sans conteste, la plus raisonnable des solutions. Certes, sans honneur pour les Vikings du Jutland, mais la plus sûre pour la population. C'était aussi celle qui laissait un petit espoir de retourner un jour la situation.

Ainsi, la majoritĂ© des rois et des jarls avait-elle acceptĂ©, sans mĂȘme nĂ©gocier, les conditions de fĂ©odalitĂ© proposĂ©es par le souverain suĂ©dois. On connaissait, par ailleurs, ce dernier pour ses grandes valeurs humaines et le respect qu'il exprimait pour ses sujets. Cela minimiserait quelque peu l'impact de la capitulation des dirigeants sur leurs peuples.

Reinhild nous avait pourtant réservé une surprise de taille. Celle de la reddition de la ville et du comté de Knut n'en était déjà plus une quand nous fûmes tous installés dans la halle royale.

Sortie pour un temps de sa retraite religieuse, Gisela de Lotharingie se tenait toujours informĂ©e de la situation d'Hedeby et de celle de sa fille. Elle Ă©tait intervenue auprĂšs de l'Ă©vĂȘque de BrĂȘme, Adalgar, afin d'envisager une solution de repli pour la jeune souveraine, au cas oĂč les choses tourneraient mal dans sa citĂ©. Trop heureux de pouvoir manigancer quelque affaire politique dans le plus strict secret, l'ecclĂ©siastique mit tous ses espions sur le coup, aux quatre coins de la Saxe. Et cela paya, au grand soulagement de Gisela qui avait dĂ©jĂ  repris ses mĂ©ditations dans son couvent toulois, en Lotharingie.

Rapidement, un des hommes du chef religieux Ă©tait entrĂ© en contact avec ThĂ©odoric de Ringelheim. Le Comte saxon, qui venait de rĂ©pudier son Ă©pouse infertile, se trouvait, Ă  plus de trente ans, Ă  la recherche d'une nouvelle union qui lui donnerait une descendance. Adalgar connaissait bien sa famille, Ă  la gĂ©nĂ©alogie impressionnante, ainsi que ThĂ©odoric lui-mĂȘme, fervent chrĂ©tien et personnage cultivĂ©. On le disait beau garçon, grand et de corpulence fine. PlutĂŽt rĂ©servĂ©, il n'avait jamais abusĂ© de son charme naturel et son entourage craignait qu'il se montre incapable de dĂ©couvrir lui-mĂȘme sa future femme. Fort de ses renseignements, l'Ă©vĂȘque pensa que Reinhild d'Hedeby serait la candidate idĂ©ale. L'existence de son fils prouvait sa fertilitĂ© et l'on ne pouvait douter de sa fortune. Il ne lui manquait que le baptĂȘme qu'Adalgar aurait plaisir Ă  concrĂ©tiser en personne. De surcroĂźt, cette union entre un noble saxon et une reine danoise, d'origine franque, conforterait la paix entre leurs deux pays.

ConvoquĂ© Ă  l'Ă©vĂȘchĂ©, le gentilhomme s'en remit totalement Ă  l'atypique maĂźtre des lieux. Pour l'inconditionnel croyant, le Seigneur s'exprimait dans cette entremise. Tout Ă©tait rĂ©glĂ© du cĂŽtĂ© saxon, il ne manquait plus que l'accord de l'hypothĂ©tique prĂ©tendante.

Intrigant de la plus haute espĂšce, Adalgar soudoya des mercenaires suĂ©dois et les envoya Ă  Hedeby. Leur mission consistait Ă  convaincre Reinhild que Björn le Vieux ne respecterait pas sa parole. Selon eux, les activitĂ©s du port, bien trop lucratives, ne pouvaient pas ĂȘtre laissĂ©es en gestion libre, aux mains d'un conseil, dirigĂ©, qui plus est, par une femme. Quant Ă  l'Ă©ventualitĂ© de la prise de la citĂ© par Olof, elle impliquerait, de toute Ă©vidence, la mort de sa souveraine. ParticuliĂšrement talentueux, les agents de l'Ă©vĂȘque rĂ©ussirent Ă  semer le doute dans son esprit. Ils repartirent aussi discrĂštement qu'ils Ă©taient arrivĂ©s, l'abandonnant en plein dĂ©sarroi. Leurs arguments s'avĂ©raient solides et ils prĂ©tendirent agir dans son intĂ©rĂȘt. Ils auraient Ă©tĂ© eux-mĂȘmes, assuraient-ils, spoliĂ©s par le jeune tyran avant que son aĂźnĂ© les trahisse Ă  son tour. Le tribut d'Adalgar remplit, sans conteste, bien leurs bourses pour qu'ils se montrent si persuasifs !

Reinhild reçut la missive du comte ThĂ©odoric de Ringelheim dans cette pĂ©riode d'inquiĂ©tude. L'avait-il Ă©crite de sa propre main, dictĂ©e Ă  un clerc ou juste apposĂ© son sceau ? Il semblait toutefois Ă©vident qu'un auteur habile la rĂ©digea. Tout y figurait, la diplomatie, la politique, un soupçon de poĂ©sie ainsi que ce qui aurait pu ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme une dĂ©claration d'amour. La rĂ©fĂ©rence Ă  la beautĂ© de Reinhild et Ă  son caractĂšre affable, connus bien au-delĂ  de la Scandinavie, montrait l'intĂ©rĂȘt que ThĂ©odoric portait dĂ©jĂ  Ă  la personne mĂȘme de la reine. Il n'y vantait pas ses propres charmes, mais ceux de son comtĂ© et de sa prospĂ©ritĂ©. Il y mentionnait son imposante gĂ©nĂ©alogie qui comportait plusieurs ducs de Saxe, ainsi que Widukind le Grand, celui qui fut le principal opposant de l'empereur Charlemagne et un temps, alliĂ© des Danois. Cela faisait pour lui, la Saxe et l'Ă©vĂȘque Adalgar autant d'atouts qui lui permettaient de demander la main d'une reine riche, mais sans rĂ©el pouvoir et Ă  l'avenir plus que compromis. Le comte saxon lui offrait, de toute Ă©vidence, une porte de sortie que la souveraine danoise aurait bien du mal Ă  refuser.

Quelques semaines auparavant, elle avait rencontré Knut le Jeune dans le plus grand secret pour réfléchir, de concert, à la menace suédoise. Ils avaient convenu que le maintien de l'indépendance d'Hedeby desservirait la cité. Reinhild devait alors persuader le conseil qu'un rapprochement avec le comté devenait urgent. Un éventuel mariage avec le jarl apparut d'emblée inconcevable tant son couple ne souffrait d'aucun trouble. La reine devait donc imaginer une autre solution. Elle refusait, par ailleurs, toute idée d'exil outre-mer.

La proposition de ThĂ©odoric s'imposa comme un signe de la providence. Le dieu d'Adalgar lui montrait le chemin. Elle voulut y trouver le premier acte de sa future existence au sein de l'Église chrĂ©tienne. Avait-elle eu alors la vision que, de son union avec le noble saxon, naĂźtrait Sainte Mathilde qui donnerait la vie Ă  Otton Ier, fondateur du Saint Empire germanique ? S'Ă©tait-elle vue devenir, avec son Ă©poux, les arriĂšre-grands-parents d'Hugues Capet, qui sera le premier roi des francs de la dynastie capĂ©tienne ? Nul ne sut tout cela ! Les voies du ciel demeuraient bien impĂ©nĂ©trables.

Plus prosaĂŻquement, Reinhild comprit vite qu'une telle opportunitĂ© ne se prĂ©senterait pas une seconde fois. Elle rencontra donc Ă  nouveau Knut avant d'annoncer sa dĂ©cision Ă  toutes et Ă  tous. Outre son titre plus ou moins honorifique de reine, sa fortune restait la plus importante de la ville. Terres, forĂȘts, fermes, maisons, bateaux et esclaves constituaient un patrimoine difficilement chiffrable.

La souveraine proposa un arrangement au jarl. Elle lui vendait la moitiĂ© de ses possessions, la seconde revenant Ă  son fils Grim Olavson, alors ĂągĂ© de dix-sept ans. Knut deviendrait son tuteur, comme elle-mĂȘme le fut pour Vighild. L'argent ainsi obtenu lui assurerait son indĂ©pendance en Saxe. Elle prĂ©voyait, par ailleurs, fidĂšle Ă  sa bontĂ© lĂ©gendaire, d'offrir Ă  ses amis une grande partie de ce qu'elle ne pourrait emporter ou qui ne prĂ©senterait plus d'utilitĂ© pour elle Ă  l'avenir.

C'est ainsi que la plupart des habitants d'Hedeby, de simples hommes libres aux plus influents notables, apprirent, de la bouche de leur reine, l'orientation qu'elle voulait donner Ă  son destin face aux mutations politiques annoncĂ©es. Le conseil n'avait eu d'autre choix que de valider ses dĂ©cisions et celles de leur futur jarl. La vie de la citĂ©, dont certains aspects Ă©taient liĂ©s Ă  celle de la souveraine, allait aussi Ă©voluer. Les activitĂ©s courantes ne changeraient guĂšre, mais les taxes dues aux nouveaux maĂźtres suĂ©dois risquaient d'accentuer considĂ©rablement les diffĂ©rences sociales. Bon nombre de femmes et d'hommes libres, jusque-lĂ  indĂ©pendants, deviendraient de plus en plus assujettis aux plus riches. Knut placerait un puissant et fidĂšle notable de sa cour pour contrĂŽler le conseil. Ce dernier vivrait dans la maison royale en son absence. À sa majoritĂ©, Grim occuperait ce poste. Pour le reste, les traditions demeureraient, pour longtemps encore, solidement ancrĂ©es, tant pour les fĂȘtes qui rythmaient le cours des annĂ©es, que pour toutes les cĂ©rĂ©monies de la vie des Danois. Des coutumes que partageaient, au demeurant, tous les peuples scandinaves.

Bien entendu, en toute discrĂ©tion, la reine informait Thorolf Sveinson et son Ă©pouse Vighild Helgisdottir de l'avancĂ©e de son projet. Comment aurait-elle pu nous en tenir Ă©loignĂ©s ? Vighild et moi Ă©tions devenus, au fil des ans, plus que des amis pour Reinhild. Nous Ă©tions sa famille ! Depuis plusieurs semaines, nous nous voyions pour parler de nos avenirs respectifs. Le dĂ©chirement qui s'annonçait crĂ©erait, dans le cƓur des uns et des autres, des blessures irrĂ©versibles, mais, hĂ©las, nĂ©cessaires pour la survie de tous. FidĂšle Ă  l'enseignement de ses parents, Gorm et Gisela, Reinhild, guidĂ©e par les dieux, ne laissait rien au hasard et pensait toujours au moindre dĂ©tail. Elle rĂ©gla ses propres affaires, aprĂšs avoir envisagĂ© tous les scĂ©narios possibles, sur le plan personnel, comme pour la citĂ©. Elle avait tout prĂ©vu Ă©galement, pour le bien de son ancienne protĂ©gĂ©e qui Ă©tait maintenant la mienne. Notre devenir lui importait plus que tout.

D'autres prĂ©paratifs battaient leur plein, sans attirer l'attention de ceux qu'ils ne concernaient pas. Le clan de Snorri quittait lui aussi Hedeby. Hrolff, fils du cĂ©lĂšbre marchand norvĂ©gien Ottar, et Egil, hĂ©ritier de Gaspard le Rouge, le souverain norvĂ©gien exilĂ© en Islande, nous persuadĂšrent que l'avenir du groupe se situait sur ces terres lointaines. Le nouveau pays des Vikings oĂč l'Ă©levage des chevaux se dĂ©velopperait avec succĂšs, affirmĂšrent-ils. La volontĂ© de Thor s'exprimait, le destin de Thorolf en dĂ©pendait !

La reine possĂ©dait la moitiĂ© des vaisseaux que l'on pouvait voir amarrĂ©s aux pontons du port. La communautĂ© disposait dĂ©jĂ  de deux knörrir et d'un langskip. Reihnild nous offrit un troisiĂšme bateau de marchandises, de fort tonnage, qui serait parfait pour transporter des animaux. Elle y joignit un snekkar qui permettrait, avec le premier navire guerrier, d'assurer la protection de la flotte. Pour faire bonne mesure, notre bienfaitrice ferait charger les bĂątiments de tout ce qui s'avĂ©rerait nĂ©cessaire dĂšs notre arrivĂ©e en Islande. Nourriture, vĂȘtements, fourrures, lainages, petits meubles Ă©taient prĂ©vus, en plus de ce que les membres du clan prĂ©parĂšrent. Elle y ajouterait une trentaine d'esclaves qui complĂ©terait les Ă©quipages Ă  bord, et nous aiderait Ă  nous installer plus aisĂ©ment.

Vuk assumait, depuis quelque temps, la vente des chevaux que nous ne voulions pas ou ne pouvions pas embarquer. Il les tria avec rigueur pour s'assurer que nous n'emporterions que les plus rĂ©sistants. Les qualitĂ©s de ces animaux facilitaient leur nĂ©goce. Le jarl Knut en rĂ©serva plusieurs dizaines, dĂ©sireux de former un nombre supĂ©rieur de guerriers Ă  cheval, s'il devait un jour faire face Ă  des tentatives d'invasion. À l'approche du grand dĂ©part, ces affaires Ă©taient rĂ©glĂ©es. Tova et leurs trois enfants avaient surveillĂ© tout cela de prĂšs, de trĂšs prĂšs mĂȘme, tant la petite famille vivait en vĂ©ritable symbiose avec ses Ă©quidĂ©s. Le bonheur des anciens esclaves, Ă  ce jour, Ă©galait le mien.

De leur cĂŽtĂ©, Arnulf Thorleifson et Oda Haabjonsdottir prĂ©paraient des colonies d'abeilles, importĂ©es de la lointaine Finlande. Ils espĂ©raient que leur rĂ©sistance lĂ©gendaire suffirait pour qu'elles s'acclimatent aux rudes conditions islandaises. D'aprĂšs Hrolff, les premiĂšres tentatives d'apiculture avaient Ă©chouĂ©. Le miel et ses dĂ©rivĂ©s, en particulier l'hydromel, faisaient partie des produits qui ne manquaient jamais dans les chargements qu'il convoyait vers l'Ăźle de glace. En cas d'Ă©chec, il leur resterait le nĂ©goce du vin, dont ils Ă©taient devenus, au fil des ans, de grands spĂ©cialistes. Le divin breuvage pourrait transiter par l'Irlande, son prix en subirait certes les consĂ©quences, mais les clients, issus souvent de hautes lignĂ©es scandinaves, semblaient prĂȘts Ă  dĂ©lier leurs bourses pour ce genre de marchandise.

Haaken Arnvaldson et son Ă©pouse Solveig Gislisdottir avaient, Ă  l'image de Vuk, sĂ©lectionnĂ© les meilleures bĂȘtes de leurs troupeaux. Ils isolĂšrent des reproducteurs robustes, de solides brebis de pure race et les agneaux qui prĂ©sentaient d'Ă©videntes aptitudes de survie. La vente des tĂȘtes restantes ne posa pas de problĂšmes. Leurs esclaves, excellents ouvriers de la filiĂšre de la laine, voyageraient aussi, ainsi que les mĂ©tiers Ă  tisser dont Solveig n'aurait jamais voulu se sĂ©parer ! De l'Ă©levage des moutons Ă  la production des plus belles Ă©toffes, la rĂ©putation du couple avait dĂ©passĂ© les frontiĂšres du pays. Ces activitĂ©s ne les avaient pourtant pas empĂȘchĂ©s d'apporter au clan huit enfants. Trois d'entre eux n'avaient pas rĂ©sistĂ© aux nombreuses maladies qui touchaient les petits, sans que les guĂ©risseurs puissent s'y opposer. Les nornes dĂ©tenaient le fil de leur vie qu'elles coupaient bien trop tĂŽt, obĂ©issant en cela Ă  la destinĂ©e de chaque ĂȘtre humain. GrĂące aux dieux, les cinq survivants dĂ©bordaient de santĂ©. Les tablettes de bois gravĂ©es par les dĂ©esses Ă  leur naissance contenaient bien plus de runes que celles de leurs malheureux frĂšres ainsi que celle de leur sƓur.

Osulf le Brun, le charpentier, avait bĂ©nĂ©ficiĂ©, pendant plusieurs annĂ©es, des conseils de mon fidĂšle ami Magni. Le vieil artisan nous avait quittĂ© l'hiver prĂ©cĂ©dent, un an aprĂšs sa femme Olrun. L'Ăąge et le dĂ©sespoir eurent raison de ses derniĂšres forces. Quant au jeune sĂ©ducteur au passĂ© sulfureux, il s'Ă©tait bien calmĂ© depuis son mariage avec la trĂšs sĂ©rieuse Brynhild. Trois enfants animaient dĂ©jĂ  leur foyer. TrĂšs entreprenant, Osulf s'Ă©tait imposĂ© comme l'un des meilleurs dans son art. Cinq hommes libres travaillaient dĂ©sormais pour lui, avec l'aide de quelques esclaves. Leurs bateaux Ă©taient rĂ©putĂ©s, et seul le feu pouvait dĂ©truire les maisons qu'ils construisaient. Ainsi que tous les membres du clan, ils avaient passĂ© les derniĂšres semaines Ă  organiser le grand dĂ©part. Ils vĂ©rifiaient les coques des navires, les gouvernails, les rames et tous les Ă©quipements nĂ©cessaires Ă  la navigation afin qu'aucun incident ne puisse ĂȘtre Ă  dĂ©plorer de ce cĂŽtĂ©-lĂ .

AprĂšs la rĂ©ussite de leur intĂ©gration dans la citĂ© et la reconnaissance de leur science, Unnrdis, la cousine de Vighild, et Mördospark, son mari, se prĂ©paraient Ă©galement Ă  partir vers un monde diffĂ©rent et une nouvelle vie. La population avait bĂ©nĂ©ficiĂ© de leur pratique de la mĂ©decine arabe qu'ils n'hĂ©sitaient jamais Ă  partager. Ainsi avaient-ils Ă©duquĂ© plusieurs jeunes disciples qui prendraient leur succession Ă  Hedeby et dans tout le comtĂ©. MalgrĂ© cela, ils feraient sans doute partie des personnes les plus regrettĂ©es. La sƓur aĂźnĂ©e d'Unnrdis, Heidrun, vivait avec le couple et les aidait en Ă©laborant les mĂ©dications dont ils avaient besoin. Elle ne prodiguait elle-mĂȘme aucun autre soin que ceux que toute femme scandinave maĂźtrisait dĂšs l'adolescence. Elle resterait Ă  leurs cĂŽtĂ©s aussi longtemps que les dieux le lui permettraient.

Haabjorn le forgeron, maintenant assistĂ© de ses deux fils, Floki et Gunnar, finissait de mettre toutes ses affaires en ordre avant le grand jour. Avec son Ă©pouse Hilda, ils avaient recueilli deux jeunes gens venus d'une ferme Ă©loignĂ©e. Les inconscients avaient fui leurs terres pour Ă©chapper aux foudres du pĂšre de la demoiselle qu'il avait promise Ă  un autre. Leurs fils ne souhaitaient pas rester au Danemark. FidĂšles Ă  leur altruisme, les artisans laisseraient leur maison et la forge, du moins ce qu'ils ne pourraient pas emporter, aux amoureux en quĂȘte, eux aussi, d'une nouvelle vie.

Mon destin, une fois de plus, provoquerait un profond dĂ©chirement. Je ne pouvais pas m'y soustraire. Les autres dieux me faisaient-ils ainsi payer la protection de Thor ? Mon frĂšre Bard, usĂ© par l'Ăąge et par son handicap, ne pouvait envisager de quitter le pays. À bout de force, il n'aurait sans doute pas vu les cĂŽtes islandaises. Liv, sa fidĂšle Ă©pouse, tenterait d'apaiser sa peine, comme toujours dans les moments difficiles. Son soutien, sa patience et son amour le sauvĂšrent aprĂšs son grave accident de pĂȘche. La rĂ©ussite de son entreprise de verrier lui permit de se mettre Ă  l'abri de besoins financiers. Je m'assurai, par ailleurs, auprĂšs du jarl Knut, que tout se passerait bien jusqu'Ă  la fin de ses jours. Pour autant, cette ultime sĂ©paration nous laissait un goĂ»t bien amer Ă  tous deux. Dans un dernier sacrifice, il persuada son fils Rolf, qu'il avait formĂ© Ă  son art, de partir aussi, sĂ»r que lĂ -bas un maĂźtre-verrier de son talent ferait fortune. Sa jeune Ă©pouse Jorunn et leurs deux petits l'accompagneraient bien Ă©videmment.

Sigvald le bourrelier, autre artisan remarquable du clan de Snorri, sa femme Eldrid, leurs quatre enfants et les trois couples qu'ils employaient embarqueraient Ă©galement. Des manteaux de pluie, fort utiles aux marins, aux chaussures, en passant par les ceintures ou les bourses, ils maĂźtrisaient tout ce qui touchait au travail du cuir. Du tannage aux plus fines coutures, ils excellaient dans chaque Ă©tape de la filiĂšre.

Inglaud la godja, dont personne ne connaissait l'Ăąge, Ă  commencer par elle-mĂȘme, ne serait pas du voyage. Elle s'adjoignait, depuis quelques annĂ©es, l'aide d'une assistante qu'on appelait Norgunn l'Ardente. Ce surnom faisait rĂ©fĂ©rence Ă  son impressionnante chevelure rousse autant qu'Ă  son caractĂšre souvent enflammĂ©. BĂ©rulf resterait notre godi. Une voie diffĂ©rente existait-elle, tant nos destins semblaient si solidement liĂ©s ? Qui, mieux que lui, pouvait rĂ©soudre les conflits que cette aventure ne manquerait pas d'engendrer ? Sa prĂ©sence s'imposait autant que celle de Jorik Langue Pendue qui rĂȘvait, depuis longtemps dĂ©jĂ , de voyager et de ne plus se contenter des rĂ©cits des autres pour composer ses poĂšmes. L'Islande, la Terre des dieux serait, pour lui, crĂ©atrice d'une inspiration sans limites.

Ainsi, les membres du clan de Snorri avaient-ils choisi de suivre leur chef dans une forme d'exil volontaire, fuyant une soumission qui ne leur aurait pas convenue. L'aventure se dessinait au bout du chemin et excitait tout un chacun, y compris les moins tĂ©mĂ©raires. Deux individus manifestaient le surplus de courage qui manquait Ă  d'autres. Trop le pensaient certains. Ce n'est pourtant pas moi qui pouvais les blĂąmer. Il s'agissait d'Haalfred et d'HaaldorĂ . Le caractĂšre de viking de la jeune femme avait dĂ©tint sur celui de son mari qui atteignait maintenant le mĂȘme niveau. Thorgrim jouait plus souvent dans les robes d'Heidrun, au foyer des guĂ©risseurs, que dans les braies de sa mĂšre. HaaldorĂ  s'assurait les services d'Unnrdis pour ne pas lui donner, pour l'instant, de frĂšres ou de sƓurs. Le couple s'Ă©tait rapprochĂ© d'Egil, le fils de Gaspard le Rouge, lorsqu'il sĂ©journa Ă  Hedeby, Ă  l'abri des persĂ©cutions d'Harald Belle Chevelure. Le jeune hĂ©ritier du roi dĂ©chu avait un temps occupĂ© le trĂŽne sous la coupe du rĂ©cent homme fort de la NorvĂšge, jusqu'Ă  ce que celui-ci devienne trop menaçant. Cette nouvelle situation le contraignit alors, comme son pĂšre, Ă  l'exil.

Ne souhaitant pas s'installer définitivement dans un autre pays, il avait choisi une vie aventureuse et sillonnait les mers. Avec ses comparses, ils alternaient les raids dans de riches régions de Francie ou d'Angleterre, commerçant ici ou là lorsque l'occasion se présentait. Quelques prisonniers assuraient toujours un gain substantiel sur différents marchés aux esclaves, et c'est bourse pleine qu'il retournait, avec son équipage de pirates, se reposer en Islande. J'avais connu cette vie-là avec Siegfried et je ressentais encore, à l'évocation de certains souvenirs, l'exaltation qui en découlait. C'est sans doute pourquoi, au grand dam de Vighild et de quelques autres membres du clan, je ne retins pas nos deux baroudeurs quand ils choisirent de s'embarquer avec le Norvégien. Ils voyageraient néanmoins avec nous, comme convenu avec Egil. Ils participeraient ainsi à la sécurité de notre expédition sur les océans.

Le dĂ©but du mois de mai approchait. Nous avions dĂ©cidĂ© de partir Ă  cette pĂ©riode pour Ă©viter les tempĂȘtes et arriver avant l'Ă©tĂ©, afin de pouvoir nous installer pendant la saison la moins froide. Hrolff et Egil nous guideraient jusqu'aux cĂŽtes sud-est de l'Islande. Gaspard, qui prĂ©sentait envers nous une dette d'honneur, eu Ă©gard Ă  la protection que nous avions offerte Ă  son fils, nous y attendait. Il avait, Ă  partir d'une simple ferme, bĂąti en quelques annĂ©es une petite bourgade portuaire oĂč il nous accueillerait le temps nĂ©cessaire Ă  la crĂ©ation de notre propre village.

Avant le banquet qui symboliserait l'Ă©pilogue de notre passage Ă  Hedeby, il restait Ă  finaliser la cession des propriĂ©tĂ©s de Vighild. Avec l'assentiment de la reine et du jarl, elles furent vendues aux clans des contrĂ©es limitrophes. Knut proposa de prĂȘter de l'argent Ă  ceux qui en manquaient, dans un souci d'Ă©quitĂ©. Quatre communautĂ©s voyaient ainsi leur territoire s'agrandir et s'enrichir de domaines, terres agricoles et forĂȘts, qui ne seraient pas de trop pour compenser les taxes que rĂ©clamerait bientĂŽt le souverain suĂ©dois

Une fois ces affaires rĂ©glĂ©es, une courte pĂ©riode d'adieux dĂ©buta. Reinhild, Vighild et Tova passĂšrent un maximum de ce temps ensemble. Des liens indissociables unissaient ces trois femmes aux destins si diffĂ©rents. Nul autre qu'elles ne pouvait les comprendre. La princesse, l'orpheline et l'esclave avaient vĂ©cu tant d'annĂ©es sous le mĂȘme toit. Elles y bĂ©nĂ©ficiaient, chacune Ă  son niveau, de la bienveillance du roi Gorm et de Gisela, son Ă©pouse. Elles partageaient tellement de souvenirs communs et probablement autant de pensĂ©es personnelles qui resteraient d'Ă©ternels secrets. Tout cela avait forgĂ© trois caractĂšres si puissants aujourd'hui. Cette force leur avait permis de rĂ©sister Ă  toutes les difficultĂ©s de la vie. C'est cela, aussi, qui allait leur faire accepter cette douloureuse sĂ©paration. Dans quelques semaines, Reinhild Ă©pouserait ThĂ©odoric. Elle abandonnerait son existence de reine pour un destin qu'elle ignorait encore, mais qui ne la dĂ©cevrait pas. En serait-il de mĂȘme pour ma femme et son amie ? Elles ne pouvaient pas l'imaginer. Ce qu'elles savaient, c'est qu'elles ne laisseraient pas, comme toujours, le divin dĂ©cider seul de leur avenir.

Je consacrai l'essentiel du temps qui me restait ici Ă  mon frĂšre Bard et Ă  Liv, dĂšs que les navires furent prĂȘts. De son cĂŽtĂ©, Rolf s'activait le plus possible Ă  l'extĂ©rieur, pour leur Ă©viter une rupture trop brutale. Il Ă©tait dĂ©jĂ  un peu parti. Conscients que les nornes ne tarderaient pas Ă  couper le fil de leur existence, ils exprimaient la sĂ©rĂ©nitĂ© des ĂȘtres qui se sentent fiers des annĂ©es passĂ©es sur Midgard. Ils n'aspiraient plus qu'au repos que leur offriraient les dieux quand leurs yeux se fermeraient. Ils savaient que de dignes funĂ©railles leur Ă©taient promises et que rien ne leur manquerait dans l'au-delĂ . Cela suffisait Ă  leur bonheur. C'est, de toute Ă©vidence, Ă  leur fils et Ă  moi que la sĂ©paration coĂ»terait le plus.

Les visites à celles et ceux qui étaient, à divers niveaux, intervenus dans nos vies ces derniÚres années conclurent ces adieux. Leurs destins et les nÎtres chemineraient désormais sur d'autres routes et chacun l'acceptait, ainsi en allait-il depuis la nuit des temps, quels que soient les liens qui existaient entre les individus.

Plus que tous ceux que nous avions partagés, depuis plus de dix ans maintenant, le banquet de ce soir éblouit l'assistance et resterait gravé dans les mémoires à jamais. La halle royale n'aurait pu accueillir une personne de plus. AprÚs les traditionnels mots de bienvenue de Reinhild, c'est Jorik Langue Pendue qui prit la parole dans un silence total. Aucun convive n'aurait voulu manquer la moindre syllabe du poÚme épique qu'il avait peaufiné pour la circonstance. Il fut consacré à l'histoire du clan de Snorri, de sa fondation, il y a plus d'un siÚcle, à ce jour. Il conta les actes qui jalonnÚrent ce long périple, citant les différents chefs, aïeux de Vighild, qui permirent au groupe de compter parmi les plus puissants du comté.

Snorri, son héritier Magnu et son petit-fils Helgi se succédÚrent jusqu'à la disparition prématurée de ce dernier, le pÚre de l'ultime représentante de la lignée. Mineure, celle-ci fut placée sous la tutelle de Gorm. Le clan, dÚs lors, fut mis en sommeil. Ses biens, gérés par le roi puis par Reinhild, restaient, toutefois, la propriété de Vighild. Durant cette période, Thorolf Gunaldsson, le régisseur des terres seigneuriales, s'occupa de celles de la jeune fille. Il assurait le maintien de leur prospérité. Jorik Langue Pendue expliqua alors, avec lyrisme, comment mon mariage avec l'héritiÚre leva sa tutelle et nous permit de relancer la vie et toutes les activités de la communauté de Snorri. Il détailla ensuite les dix années passées, s'appliquant à n'oublier aucun membre, du plus modeste au plus influent. Chacun eut droit à sa citation et à son anecdote afin que tous le reconnaissent. Une tournée générale de biÚre marqua la fin de l'allocution du scalde avant que n'interviennent à leurs tours Bérulf, Inglaud et sa disciple Norgunn l'Ardente.

En se relayant, les godar implorĂšrent la pitiĂ© de toutes les divinitĂ©s, la clĂ©mence des ĂȘtres des mondes invisibles et la protection des ancĂȘtres, souhaitant que les changements Ă  venir n'engendrent pas de cataclysmes. Ils priĂšrent pour que la nouvelle vie de Reinhild la comble. Ils invoquĂšrent Njörd afin que ceux qui hisseraient demain les voiles arrivent Ă  bon port et connaissent la prospĂ©ritĂ© au-delĂ  de l'ocĂ©an. Ils demandĂšrent enfin aux hĂ©ros disparus de veiller sur les habitants d'Hedeby.

À l'issue de ces interminables litanies, ils procĂ©dĂšrent Ă  la bĂ©nĂ©diction des mets et des boissons qui seraient consommĂ©s durant la nuit. Cela aussi prit un certain temps au vu des quantitĂ©s de victuailles qu'une foule de plus en plus excitĂ©e s'apprĂȘtait Ă  engloutir. Quand ils eurent conclu leur office, les godar retournĂšrent s'asseoir Ă  la table d'honneur que prĂ©sidaient Reinhild et Knut le Jeune. Ceux-ci se levĂšrent de concert et, portant haut leur corne de cĂ©rĂ©monie, lancĂšrent le banquet, pour le plus grand plaisir des convives qui avaient patientĂ© si calmement jusque-lĂ . Cette libĂ©ration s'exprima par un brouhaha qui rendait, pour l'heure, toute discussion impossible. Vighild et moi nous tenions auprĂšs de la reine, alors que les notables de la citĂ©, dont les membres du conseil, prirent place de part et d'autre. Dans la longueur de la salle, sur quatre rangs, des plateaux de bois posĂ©s sur des trĂ©teaux formaient d'imposantes tablĂ©es. Assis sur de grands bancs, des hommes et des femmes se mĂȘlaient dans une joyeuse ambiance que la biĂšre et l'hydromel entretenaient. Je n'avais jamais participĂ© Ă  un banquet offert par Reinhild oĂč il manqua le moindre mets, mais pour cette soirĂ©e si particuliĂšre, chaque dĂ©tail fut prĂ©parĂ© avec encore plus d'attention.

Avec la coopération de Rurik, le VarÚgue, la souveraine avait fait venir cuisiniers et produits alimentaires de Byzance. J'avais déjà eu l'occasion de goûter à ces plats trÚs épicés à Rodemack, quand Siegfried dirigeait la ville, responsable de sa gestion et de sa sécurité. Mon ancien complice viking avait acheté un lot d'esclaves que sa nouvelle religion lui imposait d'affranchir, mais qu'il avait gardé à son service. Plusieurs d'entre eux connurent la cour de l'empereur byzantin et nous révélÚrent cette façon, si différente, de préparer des aliments somme toute assez courants. Poivre, piment, clou de girofle ou encore gingembre relevaient le goût des viandes, poissons, crustacés ou légumes, que le miel, les feuilles de menthe ou l'ajout de fruits venaient adoucir. Beaucoup découvrirent à cette occasion un drÎle de produit sec en forme de bourse rabougrie que les Orientaux appelaient figue. Ils la consommaient telle quelle ou introduite dans des plats cuisinés. De petits raisins blonds déshydratés agrémentaient aussi certaines préparations. Tous les convives se régalÚrent de ces victuailles. Beaucoup ne reverraient jamais pareilles agapes.

Le temps des derniers saluts arriva. Les sonores, les discrets, les secrets, tous les modes d'expression avaient la mĂȘme finalitĂ©. Des « au revoir » pleins de promesses aux « adieux» mĂ©lancoliques souvent accompagnĂ©s d'un « bon vent »qui prenaitlĂ  tout son sens, chacun choisissait sa formule pour cacher parfois un profond dĂ©sarroi. Les plus rĂ©servĂ©s se retirĂšrent afin de dissimuler leur tristesse. Que ce soient avec des parents, des amis, des partenaires ou bien encore des concurrents, tous ceux qui s'en allaient possĂ©daient des liens Ă  Hedeby. Les rompre n'Ă©tait pas chose aisĂ©e. C'est pourquoi j'exigeai un dĂ©part immĂ©diat aux premiĂšres lueurs du soleil, malgrĂ© la fatigue et les brumes, celles qui recouvraient la mer comme celles qui embrouillaient les esprits en ce lendemain de fĂȘte.

Les Ă©quipages d'Egil et de Hrolff se tenaient prĂȘts depuis la veille. Marchandises, bĂ©tail, nourritures et boissons Ă©taient dĂ©jĂ  chargĂ©s et dĂšs la fin de l'embarquement des femmes et des hommes, les amarres larguĂ©es, les navires quittĂšrent doucement les quais. La foule qui s'y Ă©tait amassĂ©e nous regardait nous Ă©loigner dans un silence abyssal qui contrastait dramatiquement avec l'ambiance tonitruante des retours de campagnes.

Le destin de Thorolf devenait celui de tout un clan.

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Romance

4.8

Sept ans auparavant, Emerald Hutton avait laissĂ© sa famille et ses amis pour le lycĂ©e Ă  New York, berçant son cƓur brisĂ© dans ses mains, pour Ă©chapper Ă  une seule personne. Le meilleur ami de son frĂšre, qu'elle aimait depuis le jour oĂč il l'avait sauvĂ©e des petites brutes quand elle avait sept ans. BrisĂ©e par le garçon de son rĂȘve et trahie par ses proches, Emerald avait appris Ă  enterrer les dĂ©bris de son cƓur au plus profond de ses souvenirs. Jusqu'Ă  sept ans plus tard, elle doit revenir dans sa ville natale aprĂšs avoir terminĂ© ses Ă©tudes universitaires. La ville oĂč rĂ©side maintenant un milliardaire au cƓur froid, pour qui son cƓur mort battait autrefois. TraumatisĂ© par son passĂ©, Achille Valencian Ă©tait devenu l'homme que tout le monde craignait. La brĂ»lure de sa vie avait rempli son cƓur de tĂ©nĂšbres. Et la seule lumiĂšre qui l'avait gardĂ© sain d'esprit Ă©tait une fille aux taches de rousseur et aux yeux turquoise qu'il avait adorĂ©e toute sa vie. La petite sƓur de son meilleur ami. AprĂšs des annĂ©es de sĂ©paration, lorsque le moment est enfin venu de capter sa lumiĂšre sur son territoire, Achille Valencian va jouer Ă  son jeu. Un jeu pour rĂ©clamer ce qui lui appartient. Emerald sera-t-elle capable de distinguer les flammes de l'amour et du dĂ©sir, et les charmes de la vague qui l'avait autrefois inondĂ©e pour protĂ©ger son cƓur ? Ou laissera-t-elle le diable l'attirer dans son piĂšge ? Car personne n'a jamais pu Ă©chapper Ă  ses jeux. Il obtient ce qu'il veut. Et ce jeu s'appelle... Le piĂšge d'Ace.

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