Quand vient l'amour 5
e plaisent, ils attisent ma soif de violence. J'ai besoin de démolir des trucs, de faire mal à quelque chose, même si ce n'est qu'un objet. Et c'est ce que je fais. Des cris s'élèvent, me sortan
ée et à mémoriser les pages de vieux romans qui ne deviendraient jamais mon quotidien. Je n'avais aucun projet, pas d'argent, et elle avait besoin des deux. Il soupire pour essayer d'échapper à son souvenir. Des idées surprenantes me viennent à l'esprit et je me sens obligé de les lui dire. Je serre mon poing, puis le relâche, essayant de résister. Je ne reconnais pas ma voix qui lui demande : – En fait, ma mère s'est servie de toi pour s'amuser et t'a dégagé parce que tu n'avais pas de fric ? Vance lâche un gros soupir avant de répondre en me jetant un coup d'œil : – Non, elle ne s'est pas servie de moi. Je sais que ça y ressemble un peu, mais la situation était vraiment pourrie, et elle devait penser à toi et à ton avenir. J'étais un raté dans tous les sens du terme, une vraie merde. Rien ne jouait en ma faveur. – Et maintenant, tu es millionnaire. Comment peut-il défendre ma mère après toutes ces conneries ? Qu'est-ce qui ne va pas chez lui ? Mais, soudain, un truc change en moi et je repense à ma mère qui a perdu deux hommes devenus riches par la suite, tandis qu'elle se crevait à la tâche dans son job et qu'elle rentrait seule dans sa pauvre petite maison. Vance hoche la tête et répond : – Oui, mais il n'y avait aucun moyen de savoir comment j'allais tourner. Ken filait droit et moi pas. Un point c'est tout. – Jusqu'à ce qu'il se mette à se bourrer la gueule tous les soirs. Je recommence à m'échauffer. J'ai l'impression que je ne pourrai jamais échapper à cette colère que me provoque la douleur de la trahison. J'ai passé mon enfance avec un connard d'alcoolique en guise de père pendant que Vance vivait la belle vie. J'étais sûr de le connaître, de vraiment le connaître depuis si longtemps. – C'est à cause d'une autre de mes conneries. J'ai traversé une sale période après ta naissance, mais je me suis inscrit à la fac et j'ai aimé ta mère à distance... – Jusqu'à ? – Jusqu'à ce que tu aies cinq ans. C'était ton anniversaire et nous étions tous là pour la fête. Tu es entré en courant dans la cuisine, réclamant ton père en hurlant... (La voix de Vance se brise et je serre les poings.) Tu serrais un bouquin contre ton cœur et, l'espace d'un instant, j'ai oublié que tu ne t'adressais pas à moi. Mon poing s'écrase contre le tableau de bord. – Laisse-moi sortir de la caisse. Je ne peux plus écouter ça. C'est trop barré. C'est trop pour moi d'apprendre tout ça d'un seul coup. Vance ignore mon accès de violence et continue de conduire dans ce quartier résidentiel. – J'ai pété les plombs ce jour-là. J'ai exigé que ta mère révèle la vérité à Ken. Ça me rendait malade de ne pas te voir grandir et, à cette époque-là, j'avais déjà tout organisé pour partir en Amérique. Je l'ai suppliée de venir avec moi, avec toi, mon fils. Mon fils. Mon estomac se retourne. Qu'elle roule ou pas, je ferais mieux de sauter de la voiture. Je regarde les jolies petites maisons devant lesquelles nous passons et je me dis que je préférerai toujours une douleur physique plutôt que de ressentir ça. – Mais elle a refusé et elle m'a dit qu'elle avait fait faire des tests et... et que, finalement, tu n'étais pas mon fils. – Quoi ? Je me masse les tempes du bout des doigts. Je m'éclaterais bien le crâne sur le tableau de bord si je pensais que ça pouvait m'aider. Je fixe mon attention sur lui alors qu'il regarde vite à droite et à gauche. Puis, je remarque la vitesse à laquelle il conduit et je me rends compte qu'il grille tous les feux et les stops, histoire de s'assurer que je ne saute pas en route. – Elle a paniqué, probablement. Je n'en sais rien. (Il me regarde.) Je savais qu'elle mentait, elle l'a admis des années plus tard, elle n'a jamais fait faire de test. À l'époque, elle était catégorique. Elle m'avait demandé de laisser tomber et m'avait présenté ses excuses pour m'avoir fait croire que tu étais mon enfant. Je me concentre sur mon poing. Le serrer, le relâcher. Serrer, relâcher... – Une année est passée avant que nous recommencions à nous parler... Il y a un truc bizarre dans sa voix. – Tu veux dire que vous vous êtes remis à baiser. Un autre gros soupir s'échappe de ses lèvres. – Oui... À chaque rapprochement géographique, nous faisions la même erreur. Ken travaillait beaucoup à l'époque, il bossait sur son master et elle restait à la maison avec toi. Tu m'as toujours beaucoup ressemblé ; quand je venais chez vous, tu avais toujours le nez plongé dans un bouquin. Je ne sais pas si tu t'en souviens, mais je t'apportais toujours des livres. Je t'ai donné mon exemplaire de Gatsby le Magnifi... – Stop ! L'adoration que j'entends dans sa voix me hérisse, et des souvenirs déformés embrouillent mon esprit. – Nous avons poursuivi notre relation en pointillé pendant des années en pensant que personne ne s'en doutait. C'est ma faute, je n'ai jamais cessé de l'aimer, je n'ai jamais pu. Quoi que je fasse, elle me hantait. J'ai déménagé près de chez eux, sur le trottoir d'en face. Ton père savait. Je ne sais pas comment il l'a découvert, mais c'est vite devenu évident qu'il était au courant. Après un instant de silence et un virage, il ajoute : – C'est à cette époque-là qu'il s'est mis à boire. Je me redresse et me mets à frapper le tableau de bord, les mains à plat. Il ne sourcille même pas. – Alors, tu m'as laissé avec un père alcoolique qui ne l'est devenu qu'à cause de ta relation avec ma mère ? Ma colère résonne dans l'habitacle et j'ai du mal à respirer. – J'ai essayé de la convaincre, Hardin. Je ne veux pas que tu lui en veuilles. J'ai essayé de la faire venir vivre avec moi, mais elle a refusé. Il passe sa main dans ses cheveux avant de poursuivre : – Son problème avec l'alcool s'est aggravé de semaine en semaine, mais elle ne voulait toujours pas admettre que tu étais mon fils, pas même à moi. Alors je suis parti. Je devais le faire. Il s'arrête de parler. Quand je le regarde de nouveau, je le vois cligner des yeux rapidement. Je tends la main vers la poignée de la porte, mais il accélère et enclenche plusieurs fois le verrouillage automatique des portes. Le clic clic clic retentit dans la voiture. Vance reprend d'une voix sans timbre : – Je suis parti aux États-Unis et je n'ai plus eu de nouvelles de ta mère pendant des années, aucune, jusqu'à ce que Ken la quitte enfin. Elle n'avait pas d'argent et se tuait au travail. J'avais déjà commencé à gagner pas mal d'argent, rien par rapport à maintenant, mais assez pour épargner. Je suis revenu ici et je nous ai trouvé une maison, pour nous trois. Je me suis occupé d'elle en l'absence de Ken, mais elle est devenue de plus en plus distante avec moi. Il lui a envoyé les papiers du divorce depuis l'endroit où il se cachait, mais elle ne voulait toujours pas s'engager avec moi. Malgré tout ce que j'avais fait, je ne suffisais pas. Je me rappelle qu'il nous avait accueillis lorsque mon père est parti, mais je n'y avais jamais vraiment réfléchi. Je n'aurais jamais pensé que c'était parce qu'il avait une relation avec ma mère ou que je pouvais être son fils. Mon opinion sur ma mère, déjà bien malmenée, est en lambeaux. Je viens de perdre le peu de respect que j'avais encore pour elle. – Quand elle est retournée vivre dans cette maison, j'ai continué à assumer financièrement la responsabilité de