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— Tu es certaine de ne pas vouloir venir avec moi, Kathlyn?
Un soupir agacé me répond, puis un regard insistant pèse en ma direction. Je comprends tout de suite que ma coloc, une petite rousse grassouillette aux grandes billes noisette, n'a plus envie d'entendre cette question... Devant son air sévère, je souris faiblement en baissant les yeux, désolé. Ça arrive souvent. J'ai quelques années de moins qu'elle et ma personnalité toujours anxieuse, dépendante lui tape parfois sur les nerfs. En l'occurrence, j'ai un peu peur de rejoindre ma voiture pour faire une heure de route, seul... vers un trou perdu où je rencontrerai un étranger, d'autant plus.
— Jamie, déjà que je n'ai pas envie d'accueillir ce cabot dans notre appartement... Je n'ai pas du tout envie de rater ma soirée avec des copines pour aller le chercher! Je suis désolée mon chou, mais ce soir, il va falloir que tu te débrouilles.
— D'accord, ne t'en fais pas. Ce n'est pas grave.
Je murmure à travers ma jeune voix masculine toujours douce et compréhensive. C'est vrai, Kathlyn n'aime pas les chiens alors que moi, j'en suis amoureux depuis toujours... Et pourtant, c'est la toute première fois dans ma vie que je peux en adopter un! Mes grands-parents très stricts ne m'ont jamais laissé cette chance. Or aujourd'hui, maintenant que j'ai vingt ans et que je vis ailleurs par mes propres moyens, mon rêve va enfin devenir réalité! Certes, convaincre ma bonne amie avec qui j'habite n'a pas été facile, mais j'ai bel et bien réussi à l'attendrir au bout d'une éternité. Elle pénètre d'ailleurs la cuisine en cet instant même, contournant le comptoir derrière lequel je me trouve. Ses légers talons hauts claquent sur le parquet brièvement, jusqu'à ce qu'elle vienne se planter juste à côté de moi. Maquillée et habillée avec grâce, les cheveux bien bouclés, elle s'est de toute évidence faite belle... Elle ne fait qu'un mètre soixante et pourtant, je suis à peine plus grand qu'elle! Tout en me couvrant d'un sourire taquin, la voici en train de glisser sa main au creux de ma courte tignasse brune et soyeuse. Je sens ses ongles longs et soignés gratouiller mon cuir chevelu quelques secondes, avant qu'elle reprenne la parole moins sérieusement :
— Toi, ne t'en fais pas. Tout se passera à merveille – comme d'habitude. Et tu sais quoi? Dans moins de trois heures, tu seras déjà de retour à la maison avec ton fameux sac à puces. Pars donc le cœur léger!
Tout à coup, l'anxiété qui serre mes poumons s'envole pour laisser une joie, une excitation sans pareil les gonfler. Kathlyn sait vraiment choisir les bons mots pour me rassurer et surtout, me remonter le moral... ce que ma propre mère n'a jamais su ou juste voulu faire. À mon tour, mon sourire devient beaucoup plus large et sincère. Mes dents bien blanches et droites se dévoilent ainsi, entre mes lèvres pulpeuses à l'arc de cupidon prononcé.
— Tu as raison.
— Comme toujours! Et la prochaine fois, si c'est un mec canon dont tu as envie à la place d'un cabot, fais-moi signe... Je conduirai avec plaisir!
— Kathlyn!
Bon sang. Un brin mal à l'aise malgré notre amitié de très longue date et la confiance absolue qui règne entre nous, je la réprimande sur-le-champ d'un ton vif. Toute espiègle, elle pouffe d'abord de rire avant de s'excuser, me tournant désormais le dos pour retourner à l'entrée. Je la suis de mes yeux émeraude et en amande, alors un peu écarquillés. C'est vrai, je préfère les hommes... Ma coloc et confidente est l'unique personne à qui je l'ai avoué, il y a quelques semaines seulement. Les plaisanteries à ce sujet me gênent donc encore un peu, mais je m'esclaffe quand même bassement. Nos regards si familiers se croisent une dernière fois avant qu'elle ne quitte l'appartement. Direction : l'un de ses énièmes partys auxquels elle m'a trop souvent invité, avec la promesse de me dénicher de séduisants prétendants... Ça n'arrivera pas de sitôt! Les doigts déjà enroulés autour de la poignée, elle me salue finalement et je lui souhaite une superbe soirée en retour. Lorsque la porte se referme, je remets en ordre mes cheveux ébouriffés par son geste affectueux. Ma main attrape ensuite mon smartphone qui traîne sur le comptoir. Me voici seul au milieu du logement vide, silencieux. Le trac me prend de nouveau. Aucun doute, une adorable boule de poils qui me tiendra toujours compagnie me fera un bien énorme... J'ai tellement hâte de serrer cette petite créature dans mes bras, c'est indescriptible! Mon rythme cardiaque en palpite tandis que je tapote rapidement mon écran. J'écris un texto au propriétaire des chiots qui m'intéressent, lui confirmant que je viens bel et bien lui rende visite ce soir et que je suis sur le point de partir.
On ne tarde pas à me répondre d'un simple « OK ». Le type en question est Lincoln Blackburn, mais je ne connais pas son visage ni même sa voix. Un éleveur tout à fait réglo selon l'annonce en ligne, avec qui je n'ai communiqué que par SMS jusque-là... Avant de prévoir cette rencontre, je lui ai bien sûr posé quelques questions essentielles, en plus de demander d'autres photos de ses chiens. Il a l'air sympa, même si tout ce que j'ai de lui, c'est un numéro de cellulaire, une petite conversation virtuelle et une adresse. Sur ce, un coup d'œil à la fenêtre m'indique qu'une pluie toute légère s'abat à l'extérieur. Le soleil est cependant encore bien présent et je devine que la chaleur aussi. Nous sommes en plein mois de juillet, après tout. D'un geste déterminé, j'enfouis donc mon téléphone dans l'une des poches de mon jean. Quant à mon portefeuille, rempli d'une jolie liasse de billets et traînant lui aussi sur le plan de travail, je le range au fond de l'autre. Puis je tourne sur moi-même pour faire face au frigo, dans lequel je m'empare de mes friandises préférées : une boisson énergisante bien froide accompagnée d'une barre de chocolat aux amandes... De quoi rendre le long trajet en voiture beaucoup plus agréable! Je me retrouve à mon tour dans l'entrée, où j'enfile un très fin manteau noir et imperméable par-dessus ma chemise marine. J'attrape ensuite mes clés également pendues à la patère, tout en me glissant dans mes baskets sur le tapis. Et, une fois la capuche tirée sur ma tête, je sors finalement de l'appartement en laissant verrouillé derrière moi.
Mes pas vifs résonnent tandis que je descends l'escalier métallique du petit duplex, dont nous louons l'étage supérieur. Nous avons d'ailleurs un terrain assez spacieux, vert à souhait et encadré d'une haie. Le chiot pourra y courir et s'y amuser comme bon lui semble. À cette pensée, un rictus attendri étire déjà le coin de ma bouche... Mes semelles atteignent désormais l'asphalte humide et je marche vers mon auto, stationnée juste là pour pas changer. Celle-ci, bleue et de modèle modeste, bouge rarement de la cour. En effet, la plupart du temps, c'est plutôt à vélo que je me déplace. Je parcoure au moins une trentaine de kilomètres par jour, pour me rendre au boulot et rentrer au bercail. Pas de doute, je suis du genre sportif! L'oxygène qui embrasse ma figure et remplit mes poumons pendant que je pédale, toujours à vive allure... La sueur qui perle ma peau d'ailleurs bronzée par le soleil... L'effort qui durcit mes jambes... C'est un besoin vital pour moi, quelque chose me permettant d'évacuer l'intense stress social auquel je suis soumis presque en permanence. Le weekend, je m'attaque parfois à de superbes monts, que ce soit encore sur deux roues ou à pied. Il n'y a pas de plus belles aventures – tout ce qu'il me manque, c'est un fidèle toutou à mes côtés! Il m'arrive même d'aller au gym malgré ma timidité maladive, dans l'espoir de développer un minimum de masse musculaire. Je suis ainsi svelte et bien découplé... mais très loin d'être bâti en hercule, hein! C'est tout de même pas mal, ça me permet d'oublier un peu ma petite taille embarrassante.
Le crépitement des gouttes, qui fouettent doucement ma capuche, stoppe net alors que j'entre dans l'auto d'une traite. La seconde suivante, le bruit sourd de la portière vite refermée se fait entendre. Je dépose ma canette et le chocolat dans le porte-gobelet, avant de me débarrasser de mon manteau sur le siège passager. Derrière, la cage de transport du chiot est déjà installée et prête à l'accueillir; j'ai soigneusement placé une couverture douillette au fond et une gamelle d'eau fraîche est accrochée au grillage. Une fois mes fesses confortablement assises et ma ceinture bouclée, j'appuie sur le frein et démarre le moteur. Avant d'enfin quitter la cour, j'attrape mon smartphone pour d'abord activer le GPS. Je le connecte ensuite à la radio, histoire d'écouter ma playlist à tue-tête tout en roulant. La musique... Voilà autre chose que j'adore et qui sait me détendre! C'est donc à l'aide d'une vieille chanson de rock alternatif, d'une bonne gorgée de ma boisson énergisante désormais décapsulée et d'une profonde inspiration que je rassemble mon courage. Allez, je n'ai qu'à conduire et qu'à socialiser un peu avec cet homme pour réaliser mon rêve d'enfance... et vite revenir à la maison, retrouver ma rassurante routine solitaire. Je déteste vraiment quitter ma zone de confort, c'est plus fort que moi. Mais je me souviens des paroles de Kathlyn et tâche de partir le cœur léger, comme elle me l'a si chaleureusement ordonné.
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