Léa serra le volant de sa petite voiture, ses doigts blanchissant sous la pression. La route sinueuse qui menait à sa ville natale se déroulait devant elle, bordée de champs verdoyants et de collines familières. Le paysage n'avait pas changé, mais Léa, elle, n'était plus la même. Sept ans. Sept longues années loin de ces routes, loin de tout ce qui avait forgé ses souvenirs. Elle soupira, essayant de calmer les battements frénétiques de son cœur.
Chaque kilomètre la rapprochait de cet endroit qu'elle avait fui avec tant de détermination, et pourtant, elle ne pouvait échapper à cette sensation d'inéluctabilité.
Les souvenirs affluaient, imprévisibles. Elle se souvenait des étés passés à courir dans les champs avec son frère Hugo, de la chaleur de la maison familiale, mais surtout, de lui. Gabriel. Une image floue surgit, celle de ses yeux sombres la regardant à travers des mèches de cheveux décoiffées après une longue journée d'aventures. Ces mêmes yeux qui l'avaient fait chavirer, pour finalement la briser. Léa sentit une vague de colère monter en elle, suivie d'une tristesse sourde. Elle secoua la tête, comme pour chasser l'image.
« Ce n'est qu'une ville, ce ne sont que des souvenirs. Tu as changé, Léa », murmura-t-elle, tentant de se convaincre.
Le panneau indiquant l'entrée de la ville se dressait devant elle. **Saint-Aurélie**, lisait-elle en silence. Ce nom résonnait en elle comme une mélodie ancienne, à la fois rassurante et pleine de douleurs enfouies. Ses yeux balayèrent les rues bordées de vieilles maisons en pierre. Les mêmes boutiques, le même air tranquille. Rien n'avait vraiment changé ici. C'était comme si le temps s'était arrêté, tandis que le monde extérieur continuait à avancer.
Le cœur battant, elle s'aventura plus profondément dans le centre de la ville. Les odeurs familières, le bruit léger des conversations entre voisins, tout semblait la ramener à une époque révolue. Léa ralentit en passant devant la boulangerie où elle s'arrêtait tous les matins avec Hugo. La vitrine affichait toujours les mêmes pâtisseries bien dorées, et une vague de nostalgie l'envahit malgré elle.
Alors qu'elle tournait dans une rue plus isolée, une station-service attira son attention. Elle se rappela vaguement cet endroit. Peut-être s'y était-elle arrêtée une ou deux fois avant de partir pour New York. Son regard fut soudain attiré par une silhouette masculine près de l'une des pompes à essence. Grande, robuste, le dos légèrement voûté, comme sous le poids de pensées lourdes. Le visage caché par un chapeau sombre, il semblait concentré sur la pompe.
Léa ralentit, incapable de détacher son regard de cet homme. Quelque chose dans sa posture, dans la façon dont il bougeait, semblait étrangement familier. C'est alors qu'il leva la tête, et leurs regards se croisèrent.
Gabriel.
L'impact fut instantané. Elle sentit une décharge d'adrénaline la parcourir, un mélange de choc et de malaise. Son cœur accéléra à une vitesse folle, comme s'il tentait de rattraper tout ce temps perdu. Ses yeux, aussi perçants qu'autrefois, plongèrent dans les siens, et pendant un instant, tout autour d'eux sembla s'arrêter.
Léa sentit sa gorge se serrer, incapable de détourner le regard. Gabriel resta figé, surpris, mais l'émotion derrière ses yeux était difficile à déchiffrer. Il n'était plus le garçon qu'elle avait connu. Son visage, plus marqué, plus dur, trahissait les années qui les séparaient. Il avait changé, tout comme elle. Mais dans ce bref échange silencieux, Léa retrouva l'écho de tout ce qu'ils avaient partagé, tout ce qu'elle avait fui.
Sans s'en rendre compte, elle appuya brusquement sur l'accélérateur, son instinct de survie prenant le dessus. La voiture bondit en avant, mettant rapidement de la distance entre elle et Gabriel. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, ses mains tremblantes sur le volant.
« Pas maintenant... » murmura-t-elle, comme une prière. Elle ne pouvait pas affronter cela, pas encore.
Elle jeta un dernier coup d'œil dans le rétroviseur. Gabriel la regardait partir, immobile, ses traits fermés. Elle ne savait pas s'il l'avait reconnue ou s'il avait simplement ressenti la même tension inexpliquée que lorsqu'on croise un fantôme du passé. Mais elle savait que ce ne serait pas la dernière fois qu'ils se reverraient.
La maison familiale apparut bientôt au détour d'une rue bordée d'arbres. Ses parents avaient conservé le vieux porche, les volets bleus délavés, et le jardin entretenu avec soin. Léa prit une profonde inspiration et descendit de la voiture, ressentant le poids du passé sur ses épaules.
Alors qu'elle montait les marches du porche, la porte s'ouvrit brusquement.
« Léa ! » Sa mère, les bras ouverts, s'avança pour l'accueillir. Ses yeux brillaient d'une joie sincère, mais Léa remarqua les quelques rides nouvelles qui marquaient son visage, le temps ayant laissé ses traces ici aussi.
« Maman... » Léa se força à sourire et la serra dans ses bras. Le parfum familier de sa mère la submergea d'émotions contradictoires. Un sentiment de sécurité mêlé à la peur de tout ce qui l'attendait.
« Tu es enfin là, ma chérie. Hugo t'attend dans le salon, il est tellement impatient de te voir. »
Hugo. Léa se raidit à l'évocation de son frère. Leur relation avait toujours été proche, mais elle ne pouvait s'empêcher de se demander comment il allait réagir à son retour. Ils ne s'étaient pas vraiment parlé depuis son départ précipité pour New York.
Elle pénétra dans la maison, et les souvenirs revinrent en cascade. Les rires partagés dans la cuisine, les soirées passées devant la cheminée, et surtout, les moments où Gabriel était là, faisant partie de la famille. Elle chassa cette pensée, se concentrant sur le moment présent.
Hugo était là, assis sur le vieux canapé du salon, un sourire chaleureux sur les lèvres. « Hé, petite sœur. »
« Hugo... » Léa sentit ses yeux s'humidifier malgré elle. Voir son frère après tant d'années lui fit réaliser à quel point il lui avait manqué, malgré les tensions et la distance.
Il se leva pour la prendre dans ses bras, la serrant avec une force qui montrait à quel point son absence l'avait affecté. « Tu es de retour, enfin. »
« Oui, je suis là. » Léa s'efforça de rester forte, de ne pas laisser les émotions la submerger. Elle ne voulait pas montrer à quel point ce retour était difficile.
« Ça va ? » demanda Hugo en se reculant légèrement, son regard scrutant son visage pour y déceler des réponses qu'elle n'était pas encore prête à donner.
« Ça ira... » répondit-elle d'une voix douce, mais incertaine.
Le silence s'installa un moment entre eux, chacun mesurant le poids du passé et ce que l'avenir réservait. Hugo finit par rompre le silence.
« Tu sais que Gabriel est revenu en ville il y a quelques années, non ? »