# Fin du veuvage.
Vous vous étonnez sûrement comme moi que je sois encore présente dans ce village. Bah moi aussi !!!! Quatre mois et demi se sont écoulés après le décès de mon mari. Nous les veuves avons été trop sous les projecteurs ce qui a inhibé plans de fuite. Ce n'est pourtant que partie remise. Il y a une semaine, j'ai été autorisé à enlever la robe blanche que je portais depuis l'enterrement. Apparemment cela fait partie aussi de leurs traditions de faire porter du blanc aux veuves pendant toute la période de veuvage. Ensuite, les hommes de la maison se sont réunis et ont décidé que le moment pour chacune de nous de rejoindre son mari est venu.
J’ai vu des hommes de la famille venir récupérer une à une mes coépouses mais personne n’est venue pour moi. Je me réjouis de la situation qui va en ma faveur. En silence, je fais des plans pour m’enfuir loin de ce village. Peut-être que je trouverais du travail en chemin, n’importe quoi plutôt que de rester ici. Il est à peine six heures du matin mais je suis déjà debout depuis plus de deux heures de temps. Ma belle-mère m’a pratiquement obligée à continuer à labourer le champ familial seule.
Quand je me réveille je fais le ménage rapidement. Je balaie ma case et la cour pour lui donner un aspect présentable. Mais malheureusement c’est chose impossible. La maison tombe en ruine. De part et d’autre, on voit les ordures accumulées un peu partout comme si c’était de la décoration. Les moutons, poules, pintades se promènent partout déféquant sans cesse ce qui explique cette odeur pestilente qui flotte dans l’air. Il y a neuf cases en terre battue et pas de latrines. Dans un coin, une douche de fortune faite en bois est dressée. Ce qui fait que de l’eau de ruissellement stagne dans la cour et a pris une couleur verdâtre. C’est tout simplement dégoûtant.
Il y a encore quelques jours, les rejetons de mon feu époux trainaient partout avec des ventres ballonnés et tous sales. Chacun d’eux est parti avec sa mère pour une destination inconnue. Donc après le ménage, je mange rapidement et je vais aux champs. Ce sont mes coépouses qui m’ont appris à manier la houe. Je regarde mes mains qui étaient toutes belles et qui sont aujourd’hui couvertes de plaies. Ce n’est pas l’avenir auquel me destinaient mes parents. Je n’ai pas eu cette éducation pour finir comme esclave dans un coin reculé du pays obligée de labourer un champ pour survivre. Je vaux mieux que cela.
Mes rêves sont intacts. Malgré tout, ils n’ont pas réussi à m’enlever cela et c’est ce qui me donne la force de me lever chaque jour. Mais me basant sur mon expérience, je vois encore plus loin. Je me rends compte que le nombre de jeunes filles enlevées à leurs familles est élevé. Les mariages précoces aussi et contre leurs avis. Depuis un an que je suis ici, j’ai vu plein de gamines être données en mariage à des vieux pouvant être leur grand-père. Après quelques semaines, elles tombent enceintes et c’est parti pour une longue vie ou elles ne feront que cela. Mettre au monde des bébés qui grandissent sans aucun suivi médical et juste nourris au lait de leur mère. Certaines de ces filles meurent même en accouchant parce que l’époux refuse de les emmener à l’hôpital. Dites-moi c’est une vie cela ? Mais je jure de m’en sortir. Ils me le payeront tous autant qu’ils sont.
Le soleil tape fort. Je me retourne et vois la tête de mon gardien. Celui-là n’est jamais fatigué. Je ne sais pas comment le distraire pour m’échapper. Je me remets au boulot. Si je ne défriche pas une grande partie, ma belle-mère va encore me tomber dessus. C’est une femme détestable et acariâtre. Elle m’a prise en grippe depuis mon arrivée et m’a souvent rouée de coups pour un oui ou un non. Mon corps est plein de cicatrices pouvant en témoigner. Elle a commencé avec son combat le lendemain de ma première nuit avec son fils.
C’était deux semaines après le mariage. Un matin, je suis allée puiser l’eau à la rivière et j’ai vu une jeune fille de mon âge couchée à même le sol baignant dans une mare de sang. Je me suis précipitée vers elle pour l’aider. Je me rappelle comme si c’était hier de la scène.
Flashback (en yoruba)
Quand je me suis approchée d’elle, j’ai vu qu’elle saignait beaucoup et que le sang venait surtout du bas. Elle a aussi le visage lacéré et des marques de coups sur tout le corps. Sa robe ne cachait pas grand-chose de son anatomie. Je me suis baissée à son niveau et je lui ai parlé.
Moi : Comment tu t’appelles ?
Elle (pleurant) : Mounia
Moi : Mounia ok. Tu sais pourquoi tu saignes autant ? On t’a battu ?
Elle (hochant la tête) : Mon mari m’a battu ce matin parce que j’ai perdu l’argent du marché. Je suis enceinte de sept mois. Et je crois que je perds le bébé.
Moi : Je peux t’emmener à l’hôpital. Ce n’est pas loin d’ici.
Elle (agrippant ma main) : Non !!! Mon mari ne voudra jamais régler les frais de l’hôpital et me battra encore plus. De toute façon le bébé ne survivra pas. Je vais accoucher ici et je vais ramener le bébé chez moi. Je sens la tête déjà.
Le bon sens aurait voulu que je ne me mêle pas de cette histoire mais je ne sais pas pourquoi je suis restée à ses côtés. Je l’ai soutenu et j’ai même retiré le fœtus de son vagin. Il était déjà mort avant de sortir. Elle pleurait sans cesse. J’ai pris l’eau de la rivière dans ma bassine et je l’ai aidé à se rendre présentable. On a enroulé le corps du bébé dans un pagne et on l’a déposé dans la bassine.
Elle m’a expliqué un peu sa vie. Elle est venue ici il y a trois ans de cela. Des hommes l’ont enlevé à sa famille et l’ont vendu à son mari. Elle s’appelle en réalité Belmonde ou Bel mais ici on l’a rebaptisé Mounia. En trois ans elle a appris un peu le Yoruba et se débrouille avec. Son histoire m’a rappelé la mienne et je me suis sentie connectée à elle. Je lui ai également parlé de mon parcours dans leur village et elle m’a donné beaucoup de conseils. Je lui ai demandé avant de la raccompagner chez elle de ne dire à personne que je parle le yoruba.
Une fois chez elle, les choses se sont envenimées. Dès qu’elle a montré le pagne contenant le cadavre de son fils, son mari a foncé sur elle et s’est mis à la battre. Je me rappelle avoir saisi un bâton quo trainait au sol et avoir foncé sur lui. Je lui ai asséné des coups si violents qu’il fut surpris. Il a lâché Mounia et s’est attaqué à moi. Finalement il nous a bien battu avant de me ramener dans ma concession.
Une femme ne lève jamais la main sur un homme chez eux. J’avais commis un sacrilège. Ma belle-mère à partir de ce jour s’est donnée comme mission de me faire regretter le jour de ma naissance. Elle m’a tellement battu que j’ai eu du mal à marcher pendant deux semaines. Ensuite ce fut au tour de mon feu mari de me régler mon compte.
Mais je n’ai pas coupé les ponts avec Mounia. Les soirs quand tout le monde dort, elle vient dans ma case et on passe des heures à se parler. Je lui ai raconté tout mon passé et mes plans de fuite. Elle m’a appris beaucoup de choses sur la vie en communauté dans ce village et également l’effet de certaines plantes sur l’organisme. C’est grâce à elle que je suis toujours vierge aujourd’hui huit mois après mon mariage. Il y a une plante qu’elle m’a donné que j’écrasais et versais dans le repas de mon mari tous les jours ou c’était à moi de partager sa couche. Elle m’avait expliqué que cela empêchait leur érection et donc pas de sexe. C’était avec un plaisir évident que je voyais Ousmane palper son entre jambe les nuits ou je dormais avec lui.
Il ne me touchait pas et n’en a jamais parlé autour de lui car cela voudrait dire qu’il est devenu impuissant et il tenait à son image. Personne à part Mounia, Ousmane et moi ne sait que ce mariage n’a jamais été consommé.
Fin du flashback
Je fais une pause et me dirige vers le seul arbre présent dans le champ histoire de boire de l’eau. Je me suis assise et je crois même que je me suis assoupie. Je fus réveillée par Mounia qui me secoua. J’ai émergé lentement de mon sommeil et mon regard est tombé sur son doux visage. Mounia est le genre de fille que personne ne déteste car elle dégage une aura magnifique. Elle est vraiment belle. Ses cheveux aussi coupés court dégagent son visage fin et son cou gracile. Elle est de teint noir et mince. On a pratiquement le même âge toutes les deux. Elle m’a expliqué qu’elle avait fréquenté jusqu’en classe de troisième avant d’être kidnappé par ces hommes. Elle parle pourtant bien le français et écris aussi bien. Elle m’aide à garder pieds avec la réalité. Quand je partirais d’ici, je l’emmène avec moi. Il n’y a rien ici pour nous à part une vie de perpétuelles misères.
Moi : Je me suis endormie
Elle : Ne Parle pas si fort en français. Ton gardien pourrait t’entendre.
Moi : Il m’énerve franchement lui. Je vais lui jouer un sale tour qu’il ne sera pas prêt d’oublier.
Elle : Non. Il n’est qu’une victime au même titre que nous. Ta belle-mère le paye pour te surveiller et c’est avec cet argent qu’il nourrit sa famille. Ne t’en prends pas à lui.
Moi (exaspérée) : Bel, il faut qu’on parte d’ici aujourd’hui. Je ne peux pas supporter de passer une nuit de plus dans ce taudis. Ousmane est mort maintenant et ses frères sont déjà venus prendre mes trois coépouses. Je ne sais pas quand mon futur époux qui n’est rien d’autre que mon beau-frère viendra pour moi. On sera séparées pour toujours. Qui sait ce qu’il me réserve.
Elle : Et si on t’attrape ?
Moi : On m’attrape ? Je ne pars pas d’ici sans toi. Il y a sûrement mieux ailleurs que cette vie de merde.
Elle (soupirant) : J’admire ton courage Nev. Tu es tellement forte et rien ne fait fléchir tes convictions. Tu n’es là que depuis huit mois et déjà tu veux t’enfuir. En trois ans ; je n’ai fait que subir leurs méchancetés sans jamais me rebeller.
Moi : Je suis là maintenant et je serais courageuse pour nous deux. Si on se fait prendre, on nous frappera et puis cela passera. Ensuite, on réessayera jusqu’à réussir à quitter ce village.
Elle : Tu as quoi en tête ?
Moi : On se lève et on avance dans le champ comme si on allait déchiffrer de ce côté-là. Je sais qu’il y a une grande voie qui passe par là et souvent des voitures l’empruntent. Donc quand on sera un peu loin de lui, on se met à courir très vite ! Je sais que ce n’est pas génial mais c’est moins que rien. Et je préfère y aller de jour. La nuit trop de serpent venimeux sortent.
Elle : Je n’ai rien gardé comme habits sur moi.
Moi : Ce n’est pas un problème. De toute façon, si tu prends des effets, on le remarquera aussitôt. On avisera une fois sur le chemin.
Deux heures plus tard
Comme convenu, on a continué le déchiffrage du champ tout en surveillant notre gardien. Je dois avouer que je ne connais même pas son nom. Depuis huit mois, je le vois chaque jour et tout ce que je ressens est de la haine à son endroit. Mais Mounia a raison. Il ne fait que son travail. Je l’ai vu piquer une somme de loin. Je dois dire que j’ai une bonne vision. Je crois que le moment de détaler est venir.
Moi : Regarde-le ! On dirait qu’il s’est endormi. Vérifie avant qu’on parte.
Elle (regardant par-dessus mon épaule) : C’est exact mais Aicha j’ai peur dit-elle d’une voix tremblante.
Moi (lui prenant les mains) : N’aie pas peur ! Dis-toi que tu essaies de t’offrir une vie meilleure et pourquoi pas retrouver ta famille. Cette vie n’est pas celle que tes parents voulaient pour toi. Imagine-les assis quelque part en pleurant et se demandant s’ils reverront un jour leur fille.
Elle (prenant une grande inspiration) : Allons-y !!!
On a encore jeté un coup d’œil derrière pour s’assurer qu’il dormait bien avant de commencer à nous faufiler parmi les hautes herbes. On n’a pas pu aller loin car notre fugue a dérangé une bande d’oiseaux qui se reposaient. Ils se sont brusquement envolés en faisant beaucoup de bruit ce qui a dû alerter le gardien puisque quand je me suis retournée, je l’ai vu debout nous regardant. Je sais qu’il a compris ce qui se passe c’est pourquoi j’ai tiré la main de Mounia et on s’est mise à courir plus vite. Les grandes feuilles nous griffent le visage et les bras mais je ne ressens rien. Rien à part cette peur d’être rattraper.
On a couru pendant près d’une heure avant de ralentir essoufflées. J’ai décroché la gourde que je garde avec moi et j’ai bu une gorgée avant de le tendre à Mounia. Son visage reflète mes sentiments : La peur face à l’inconnu. Je me suis adossée à un arbre et j’ai nettoyé la sueur qui perle à mon front. On s’est aventurées dans ce qui ressemble à une forêt. D’après mes calculs, on devait déjà atteindre la grande route mais je ne vois rien de tel. Si j’étais seule, j’aurais continué tout droit sans réfléchir pourvu de leur échapper mais là j’ai convaincue Mounia de me suivre et je n’ai pas envie de lui faire prendre des risques inutiles. J’essaie de m’orienter encore en utilisant mes souvenirs mais la peur me paralyse.
Je suis sur le point de prendre la parole quand j’ai entendu pas loin derrière nous des oiseaux s’envoler en groupe. Quelque chose a dû les effrayer. Mounia et moi avions eu la même idée. Et si c’est lui qui nous pistais ? Cela nous a redonné la force de recommencer à courir tout en surveillant nos arrières.
Un peu plus loin, Mounia a trébuché brusquement sur une branche et s’est étalée au sol en laissant échapper un cri de douleur. Je me suis rapprochée d’elle aussi vite que j’ai pu.
Elle tient sa cheville qui s’enfle à vue d’œil. J’examine rapidement le pied. Rien de cassé mais elle a franchement mal.
Moi(découragée) : Mince !!! Tu as dû te faire une entorse. On ne peut pas continuer.
Elle (pleurant) : On peut essayer Aicha
Moi : Non. Hors de question. On risque d’aggraver les lésions. On va juste rester ici et attendre qu’il nous trouve. Dans le meilleur des cas, il ne retrouve pas notre trace et Dieu nous enverra de l’aide. Ou il nous retrouve et nous ramène. Mais quel que soit la situation, on s’en sortira dis-je en m’asseyant près d’elle sur le sol.