Charnelle
Je franchis la porte de l'imposant bâtiment avec une certaine routine, comme chaque matin. Le hall était toujours aussi lumineux, tout en marbre et en verre, avec des touches de métal poli qui reflétaient la lumière du jour. Les bruits de mes talons résonnaient sur le sol, amplifiant le rythme de mes pas. Je traversai rapidement la pièce, saluant de la tête quelques collègues qui se pressaient déjà sur leurs ordinateurs, absorbés dans leurs tâches. Comme tous les jours, je n'étais qu'une silhouette parmi tant d'autres. Une secrétaire, discrète et efficace, qui ne se faisait jamais remarquer.
Il y avait une certaine tranquillité dans cette obscurité que j'entretenais autour de moi, un confort à être invisible. Mais ce matin, quelque chose me perturbait. Un frisson, presque imperceptible, m'envahit dès que je mis les pieds dans le hall. C'était une sensation étrange, une vibration dans l'air qui me donna l'impression que cette journée serait différente des autres. Mais je chassai rapidement cette pensée. Ce n'était probablement rien, juste le fruit d'une nuit agitée ou de pensées vagues qui me traversaient.
Je me dirigeai vers mon bureau, situé dans l'angle de l'espace ouvert où je pouvais observer tout le monde sans jamais être au centre de l'attention. Je déposai mon sac, allumai mon ordinateur et commencai à parcourir la pile de dossiers qui m'attendait. Les appels, les messages et les courriels s'enchaînèrent rapidement, mais mes pensées étaient ailleurs. Depuis quelques jours, un détail commençait à m'obséder. Depuis quelques semaines, pour être plus précise.
Le regard d'Adrien.
Adrien Moreau, mon patron. L'homme qui dirigeait l'entreprise d'une main de fer et dont la présence dominait chaque recoin du bureau. Il était respecté, admiré, et quelque peu redouté. Je n'avais jamais eu de véritable interaction avec lui, si ce n'était pour lui transmettre des documents, organiser ses rendez-vous ou gérer son emploi du temps. Je n'étais qu'une secrétaire parmi d'autres, invisible et ponctuelle. Mais ces derniers temps, tout semblait changer.
Il arrivait parfois à son bureau et me jetait un regard plus long, plus profond que nécessaire, un regard qui semblait me scruter d'une manière qui m'intimidait sans que je puisse en comprendre la raison. Il n'était pas un homme qui se perdait dans des détails. Il était direct, efficace. Et pourtant, il y avait quelque chose dans ses yeux, une lueur particulière, qui me faisait perdre mes repères. À chaque fois que nos regards se croisaient, mon cœur battait un peu plus vite, mais je m'efforçais de ne rien laisser transparaître.
Aujourd'hui encore, je le sentais. Une pression dans l'air. J'étais peut-être en train de m'imaginer des choses. Peut-être que tout ça n'était que le fruit de mon imagination. Mais chaque regard qu'il m'adressait me semblait plus lourd, comme si un sous-entendu flottait dans chaque mot qu'il prononçait.
Alors que je m'enfonçais dans un rapport, j'entendis soudain la porte de mon bureau s'ouvrir dans un silence presque parfait. Je levai les yeux, et là, je le vis. Il se tenait dans l'encadrement de la porte, une silhouette imposante, son regard plongé dans le mien. Adrien. Pour un instant, tout sembla se figer autour de nous. Je sentis mes mains se figer sur le clavier, mon cœur se serrer dans ma poitrine.
"Charnelle," dit-il simplement, et son ton, habituellement direct, avait cette nuance qu'il ne prenait jamais avec les autres. Ce léger changement de cadence, ce murmure presque intime, fit naître un frisson dans ma nuque. Il prononça mon prénom d'une manière si fluide, si parfaite, que cela sembla suspendre le temps. "J'ai besoin de toi pour une tâche un peu plus... délicate aujourd'hui."
Je sentis mon estomac se nouer instantanément. Une tâche délicate ? Cela n'avait rien à voir avec les demandes habituelles qu'il me confiait. D'habitude, c'était du standard, du pratique. Rien de risqué, rien de susceptible de changer quoi que ce soit. Mais aujourd'hui, tout semblait plus lourd, plus engageant.