« J’étais confiant. J’étais plein d’énergie. Je crois que j’étais assez heureux à cette époque de ma vie parce que même si je n’étais pas avec elle, je savais qu’elle existait. »
Anna Gavalda, Je l’aimais
Cloé
Toute existence est ponctuée de moments clefs. Un geste, une parole, une rencontre, chaque détail, aussi infime soit-il, possède le pouvoir extraordinaire de transformer la journée qu’il compose en un nouveau départ, un tournant de la vie.
Cloé essayait de se persuader que ce jour de printemps 2015 était un d’entre eux.
Les derniers mots échangés avec Lucio avaient chamboulé son esprit pour n’y laisser qu’un pêle-mêle d’interrogations et de déceptions. Assise sur le bord de son lit, les bras ballants, elle fixait le sol, comme si les réponses qu’elle cherchait pouvaient se trouver inscrites sur le parquet en chêne Stirling qui couvrait le sol de sa chambre.
Ces mots tant attendus, ceux qui allaient la libérer de la pesante situation qui la rongeait depuis bien trop d’années déjà, Lucio les avait enfin prononcés
La communication avait été coupée brusquement, en pleine conversation, juste après que tout ce dont elle avait besoin d’entendre eut été dit. Ces quelques minutes de discussion avaient suffi à rayer, d’un seul trait, la totalité des excuses qu’elle avait pu se trouver jusqu’à ce jour.
À deux reprises elle avait répété son prénom, sans réponse en retour, avant de comprendre qu’il n’était plus là. À l’écoute de sa propre voix lançant des « Lucio », similaires à des appels au secours, Cloé s’était remémoré leurs premiers échanges qui avaient eu lieu dix années plus tôt. Elle avait pleinement conscience que cet instant, où elle avait croisé sa route pour ne plus jamais s’en éloigner, n’avait tenu à rien. Lucio, ses yeux plissés, sa peau douce et son odeur fruitée, aurait pu qu’augmenter le compte de ces milliers de visages inconnus, photographiés par son regard, et oubliés presque instantanément. Mais une force mystérieuse en avait voulu autrement, amenant Cloé à lui accorder plus d’importance qu’aux autres, et par cela, lui octroyant un rôle majeur dans son histoire.
La jeune femme se souvenait comme au premier jour de sa présentation atypique, de ses quelques notes d’humour, et du voyage au soleil dans lequel l’avaient embarquée son accent espagnol et son prénom à consonance italienne. Bien qu’encore troublée, elle afficha un léger sourire en se remémorant l’énergie et les mimiques qu’il avait déployées pour lui apprendre à prononcer ce dernier correctement :
— Non, ce n’est pas « Lou-chio » c’est « Lou-tchio ». La première partie, tu la prononces très bien. C’est la deuxième syllabe qui est fausse. Regarde, tu dois taper ta langue sur ton palet et avancer tes lèvres. Écoute bien le son : « tchio ».
— C’est compris : « Lou-tchio » !