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Chapitres

Juillet 2025. La Terre est victime d'une invasion extra-terrestre. Pour les Ă©tranges visiteurs, la planĂšte bleue n'est qu'une escale parmi d'autres. DĂ©jĂ  venus par le passĂ©, ils connaissent l'histoire humaine mieux que les humains. Énigmatiques pendant les premiers jours, les envahisseurs cloĂźtrĂ©s dans leurs immenses vaisseaux finissent par adresser un message glaçant aux terriens. Sur les tĂ©lĂ©visions de chaque pays et dans la langue respective de chacun, ils les informent qu'ils vont piller leur monde. Pourtant, une poignĂ©e de scientifiques ont des doutes sur les rĂ©elles intentions des visiteurs. À PROPOS DE L'AUTEUR FascinĂ© par l'Ă©trange, Samuel Rolland est un lecteur compulsif de romans et de bandes-dessinĂ©es de science-fiction. ParticuliĂšrement influencĂ© par Isaac Asimov, il se lance dans l'Ă©criture et signe avec La fin son premier roman.

Chapitre 1 No.1

1

« Ils sont comment ? »

Amusé, Felt regarde son fils. Les gamins s'interrogent sur plein de choses. Pablo, un peu plus que la moyenne. Et dans la vie des gens du voyage, les occasions ne manquent pas.

« Lesquels ? Il y a des millions d'espÚces...

- Bah, ceux qu'on va voir...

- Je m'en doutais, je te taquine. Ils sont petits par rapport à nous, mais leur planÚte est grande et belle. Ils sont trÚs créatifs et ont fait pas mal de choses en peu de temps. Ils n'existent que depuis sept millions d'années terrestres, tu te rends compte ?

- Heu... Pas trop...

- On existe depuis deux milliards d'années terrestres. Presque trois cents fois plus !

- Ah oui, quand mĂȘme ! C'est pour ça qu'ils sont bĂȘtes ?

- Qui t'a dit ça ? Des idiots de ta classe ?

- Heu... Oui...

- Dix-mille générations pour arriver à ça ! dit Felt en riant. »

Sa femme Li les rejoint dans le jardin et s'assoit prĂšs d'eux. Elle sourit Ă  son mari, compatissante. La curiositĂ© de leur enfant les ravit, mĂȘme quand ses questions deviennent un goutte-Ă -goutte agaçant. Aujourd'hui, il a l'air en forme. Devant sa mĂšre, il en rajoute.

« Il paraĂźt qu'ils ont seulement rĂ©ussi Ă  voyager sur leur satellite, la Lune, et qu'ils en sont trĂšs fiers ! C'est pas tordant ça, peut-ĂȘtre ?

- C'est vrai qu'on en a vu des plus évolués, mais nous aussi, nous sommes passés par là ! Et de toute façon, ce n'est pas pour ça qu'on y va... »

2

30 juin 2025

19 h 10

Pour la premiÚre fois depuis des semaines, une douceur relative caressait la cÎte bordelaise. Printemps de fournaise, pire que 2024, qui avait pourtant battu des records. Dans la cour poussiéreuse d'une ferme de Cardelin, deux petits vieux recommençaient à respirer. Finissant de refaire le monde avec une bonne bouteille, ils admiraient l'océan à travers les derniÚres fumerolles d'un barbecue. Entre deux phrases décousues, ils se laissaient bercer par le ressac des vagues porté par un vent d'ouest providentiel. En débarrassant, Raymonde n'entendait qu'une conversation laborieuse entre son mari et leur cinglé de voisin.

« Je vais me coucher, moi!

- C'est ça mémé, à demain !

- Bonne nuit, Raymonde.

- Bonne nuit, Gaspar! Et va pas me saouler mon homme, encore!

- Oui, bon, allez bonne nuit, dit Raoul. Voilà, la mégÚre est partie. Alors, ça s'arrose, ou bien ?

- Allez!... En plus demain c'est vendredi, le week-end approche.

- Qu'est-ce qu'on s'en fout, on est en retraite!

- Raison de plus! Allez, verse donc!

- Dis donc... C'est quoi ce truc lĂ -bas ?

- OĂč ça? Je vois pas.

- Mais là, bordel! Un truc énorme, au loin! »

Gaspar chercha ses lunettes dans les milliers de poches du bleu de travail qu'il ne quittait jamais. Ancien pilote de chasse, il passait son temps Ă  bricoler un vieux biplan. De partout, on le voyait faire l'idiot au-dessus des cultures cernant le bourg. Les villageois redoutaient de voir le fondu d'aviation s'Ă©craser dans un champ, ou sur leur tĂȘte. Ils voyaient dĂ©jĂ  le vieux partir en torche aprĂšs un looping de trop, par excĂšs de confiance en sa machine ou en lui-mĂȘme.

Gaspar trouva ses lunettes et vit ce qui intriguait son ami.

« Ben quoi, c'est un nuage ! ArrĂȘte l'alcool, gros ! »

3

19 h 25

AprĂšs une pause pipi au bord de la route, Richard regagna sa voiture. À peine installĂ© au volant, son regard fut attirĂ© par un nuage avançant Ă  contresens, compact et en forme d'assiette. Mais pas la petite assiette Ă  dessert. La chose s'Ă©tendait sur plusieurs kilomĂštres. Pourtant pas du genre craintif, Richard pĂąlit. L'objet qui venait vers lui le couvrirait bientĂŽt. Courant sur la route perdue du dĂ©sert espagnol telle une raie Manta sur les fonds marins, son ombre avala sa voiture. Le jeunehomme n'eut plus aucun doute sur l'origine du gĂ©ant. À moins d'ĂȘtre victime d'un mirage, l'engin qui glissait en silence vers Madrid n'Ă©tait pas terrien. Richard entra la clĂ© de contact en tremblant, priant pour que sa Ford Fiesta d'Ă©tudiant fauchĂ© rĂ©agisse. Il la savait capricieuse, mais il avait la manie de couper le contact inutilement. Naturellement, l'Ă©pave toussota sans dĂ©marrer. Perdant ses nerfs, le jeune touriste s'agita en essuyant son front ruisselant.

« Putain de putain de bagnole de merde ! » hurla-t-il, frappant le volant. « Tu me fais ça maintenant, salope ! »

Il tenta un dernier tour de clĂ© et miracle, le moteur ressuscita. Richard enclencha rageusement la premiĂšre, soulevant un nuage de poussiĂšre en rejoignant le bitume. Sans pitiĂ© pour sa monture, qu'il mĂ©nageait en gĂ©nĂ©ral, il poussa le moteur dans les tours. La relique atteignit les 150km/h en hurlant. Richard voulait Ă  tout prix dĂ©passer l'ombre du monstre, peu dĂ©cidĂ© Ă  partager sa route avec elle jusqu'Ă  Madrid. Comme si sa fuite lui confirmait la possibilitĂ© d'un danger, il avait de plus en plus peur. Sa panique le faisait... paniquer. AprĂšs une dizaine de minutes, il devança l'ombre du gĂ©ant. De retour sous le soleil espagnol, il analysa la situation avec un rictus nerveux. Parti seul en vacances pour tout oublier, il se retrouvait pris en chasse par un vaisseau spatial. Son rire crispĂ© s'effaça aprĂšs un coup d'Ɠil dans le rĂ©troviseur. Une machine immense et inconnue l'accompagnait vraiment dans la fournaise espagnole.

4

21 h 32

« Non, je ne pense pas que la restriction du nombre de réfugiés soit souhaitable sur le territoire, en tout cas cela ne me semble pas prioritaire.

- Madame la chanceliĂšre... Si je puis me permettre, et je le pense vu nos rapports cordiaux, ne pensez-vous pas ĂȘtre victime, dans cette dĂ©cision, d'une sorte de dette que l'Allemagne envers le monde entier ?

- Je pense que ça joue effectivement plus ou moins. Nous sommes pourtant tous conscients de n'y ĂȘtre pour rien personnellement, et qu'il s'agit de toute façon d'une dette insolvable. Mais il n'y a pas que ça. À quoi cela sert-il, mon cher Hoffmann, d'ĂȘtre un pays riche et peuplĂ© de quatre-vingtsmillions d'habitants, si nous ne sommes pas capables d'accueillir cent mille rĂ©fugiĂ©s de plus ?

- L'opinion publique, madame la chanceliĂšre...

- Excusez-moi, Hoffmann, j'ai encore un appel de mon secrétaire...

- Je vous en prie.

- Oui, Karl ! Je vous avais bien dit, aucun dĂ©rangement! Vous devriez ĂȘtre parti, d'ailleurs, vous dormez lĂ , ou quoi ?

- Madame, il s'agit d'un évÚnement tout à fait... spécial !

- Eh bien je vous Ă©coute !

- Une invasion extraterrestre.

- Heu... Karl... Je suis consciente qu'au fil du temps, une certaine complicitĂ© s'est installĂ©e dans notre relation, et je suis la premiĂšre Ă  partager de bon cƓur vos petites plaisanteries. Mais je pense que vous avez besoin d'ĂȘtre recadrĂ©. Vous ne pouvez pas interrompre un rendez-vous de la chanceliĂšre pour sortir une blague. Pourrie, en plus.

- Madame la chanceliÚre ! Je suis tout à fait sérieux ! Un engin volant parfaitement identifié, de la taille d'une grande ville, stationne en ce moment sur Munich. S'il vous plaßt, veuillez consulter internet, madame. Cela serait en effet une trÚs mauvaise blague... Pas mon genre ! »

5

23 h 48

«Allo !

- Rodolphe ?

- Oui ! Qui est-ce, Ă  cette heure ?

- C'est Éric ! C'est fou, professeur ! C'est fou ! Fou fou fou ! C'est fou !

- Que se passe-t-il, enfin ? J'espÚre bien que c'est fou ! Il est presque minuit ! »

Les yeux dans le vague et les cheveux en pĂ©tard, Rodolphe Caron ajusta ses lunettes par rĂ©flexe. Il se prit Ă  y croire. PrĂȘt Ă  entendre, enfin, «LA » rĂ©vĂ©lation. Si son assistant l'appelait du boulot Ă  cette heure, peut-ĂȘtre avait-il quelque chose. La dĂ©couverte espĂ©rĂ©e depuis qu'il avait assiĂ©gĂ© le radiotĂ©lescope d'Arecibo, Ă©norme oreille Ă  l'affĂ»t du cosmos. La nouvelle dont il rĂȘvait depuis sa plus tendre enfance.

« Vous avez vu la télé, professeur ? »

RatĂ©. Éric avait apparemment craquĂ©, le rĂ©veillant pour une peccadille. Un flash info pour un attentat ? Un tremblement de terre ? Guerre mondiale ? On pouvait voir ça demain, non ?

« Allumez la télé, professeur ! C'est fou !

- Mais quoi, enfin ? Accouchez, mon vieux ! Qu'y a-t-il, Ă  la fin ?

- Des extraterrestres ! Des soucoupes volantes ! Partout dans le monde ! Une invasion, professeur !

- Vous avez bu... Ou vous prenez de la drogue ? Ou bien vous vous foutez de ma gueule ? Les trois, peut-ĂȘtre ?

- Allez voir, professeur, faites-moi confiance ! Ce n'est pas une blague !

- OK. »

Rodolphe Caron raccrocha, agacé mais curieux. Il traßna sa carcasse vers le salon, pour allumer le téléviseur perdu dans un désordre de savant fou. Sa maison n'était qu'un dortoir, pas son logis. Son logis c'était le télescope et sa famille, ses écrans. Quant à son environnement, c'était l'univers tout entier. Le scientifique alluma l'antique télé en ronchonnant.

Des vaisseaux spatiaux. Sur toutes les chaĂźnes, dans tous les pays. Des soucoupes volantes parfaitement blanches et lisses, de la taille de Paris ou Rome, venues de nulle part. Cela ne pouvait ĂȘtre qu'un rĂȘve absurde. Son assistant lui avait dit que ce n'Ă©tait pas une blague, mais c'en Ă©tait une, et une mĂ©chante ! Des annĂ©es Ă  tendre l'oreille pour dĂ©tecter le plus petit signe de vie aux confins de l'univers, et ils dĂ©barquaient la bouche en cƓur dans des soucoupes volantes de sĂ©rie B. Pourquoi aucun tĂ©lescope ne les avait-il dĂ©tectĂ©s, pas mĂȘme notre bonne vieille loupe volante Hubble ? Rodolphe se sentit mal. Il se dirigea vers le bar, une mappemonde kitsch des annĂ©es80. Il farfouilla en tremblant pour sortir une bouteille de whisky Ă©ventĂ©, haussa le volume pour Ă©couter un journaliste montĂ© sur ressorts.

« Chers tĂ©lĂ©spectateurs, ce jour est un grand jour. En cet Ă©tĂ©2025, la question de la vie extraterrestre n'en est plus une. Si vous venez d'allumer votre tĂ©lĂ©, vous ne rĂȘvez pas ! Des dizaines de vaisseaux titanesques stationnent depuis quelques heures sur le monde entier ! Les autoritĂ©s appellent au calme. Je suis actuellement prĂšs de Nantes, totalement recouverte d'une de ces colossales et nĂ©anmoins splendides soucoupes volantes ! Personne ne comprend pourquoi nous ne les avons pas vues venir. Certains scientifiques avancent l'idĂ©e d'une façon de voyager de maniĂšre "dĂ©matĂ©rialisĂ©e", avec la capacitĂ© d'apparaĂźtre oĂč bon leur semble dans l'univers. ThĂšse folle pour nous, pauvres humains, mais imaginable vu l'avancement technologique sĂ»rement abyssal de ces visiteurs ! Nous ignorons cependant pourquoi ils apparaissent dans des zones isolĂ©es, pour glisser ensuite sur des rĂ©gions habitĂ©es ou des grandes villes. Certains pensent qu'ils souhaitent thĂ©Ăątraliser leur apparition, pour provoquer un effet de sidĂ©ration. Nous sommes tous absolument incapables de mesurer ce qui nous arrive, tant le spectacle est magistral et dĂ©passe tout ce que nous avons pu vivre jusqu'Ă  prĂ©sent !

-Merci Didier Malbert, en direct de Nantes. Nous allons maintenant du cÎté de l'Espagne, avec notre correspondante, Françoise Delsaut. Nous vous écoutons, Françoise... »

Caron rĂ©alisa. Oubliant le ridicule du scientifique pendu Ă  ses radars depuis des annĂ©es, une douce exaltation l'envahit, pour se transformer en dĂ©lire libĂ©rateur. En slip dans son salon, il poussa un hurlement d'aliĂ©nĂ©. Levant les mains, il renversa un peu de whisky sur sa tĂȘte de fou, puis sentit monter des larmes de joie. Nous n'Ă©tions pas seuls et c'Ă©tait magnifique.

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