Zeleph a longtemps refoulé qui il était, ce qu'il était. Préférant ignorer ses origines que de les affronter. Mais même en fermant les yeux, on ne peut échapper à son passé, à ce qui sommeille en nous depuis le jour de notre naissance. Il a suffit d'une fois, d'une nuit pour que tout dérape et que son monde bascule. Il ne cherchait qu'à aider avant que ça ne se retourne contre lui. Bien décidé à tourner la page, muni d'un simple sac à dos, il est parti pour des contrés sauvages où la survie est une lutte de chaque instant. Nadia n'en pouvait plus de vivre dans cette région si isolée, si sauvage. Avant même sa majorité, elle est partie en plaquant tout pour côtoyer la ville et découvrir tout ce dont elle avait été privée depuis sa naissance. Mais voilà, une seule mauvaise rencontre l'a plongé dans un enfer empli de souffrance et de violence. N'écoutant que son courage, elle retourne chez elle, dans sa région natale. Deux êtres différents dont les chemins se croisent. Ils pensaient avoir abandonné tout espoir pourtant la vie aime nous jouer des tours. Un hivers suffira-t-il a réparer ses deux êtres brisés ?
Prologue
Il n'y a que deux types de personnes qui viennent s'installer dans cette région de façon permanente. Ceux qui en ont marre de la société, de cette hypocrisie que nous dépeint le monde. De cette course au pouvoir, à l'argent, bien loin de la simple image du bonheur. Puis il y a ceux qui veulent oublier, qui pensent que dans ces grands espaces, même la douleur peut se perdre, à moins qu'ils ne se perdent eux même.
On ne vient pas vivre ici par hasard. Personne ne peut dire qu'il s'est simplement perdu, qu'il a atterrit là, comme ça, par hasard, du jour au lendemain en suivant une petite route quelconque. Aucun habitant de la région n'y croirait car on sait tous, que lorsqu'on arrive ici, nos plus gros bagages ne sont pas visibles. Mais ça n'a pas d'importance, car on ne pose pas de questions, on ne demande pas les raisons de leur venu à ceux qui débarquent au fin fond du monde.
La vie n'est pas tous les jours facile dans cette région. La neige recouvre tout une bonne partie de l'année et quand elle disparaît, ça n'est que pour révéler la beauté de la nature qui a sommeillé en dessous durant ces longs mois. J'aime cet endroit, depuis la première fois ou mon regard s'est posé sur ces montagnes, mon cœur s'est ancré dans ces roches, m'attachant, m'emprisonnant sans me laisser le désir de repartir.
J'ai appris à vivre dans cette région hostile où on doit tout faire par soit même. Se débrouiller, survivre dans cette nature sauvage, se battre contre les éléments. Ça n'a pas été simple même si j'ai quelques facilités. J'ai dû m'improviser mécanicien, jardinier, plombier, électricien, charpentier, chasseur mais je ne regrette pas mon choix. Ici, je me sens plus libre que je ne l'ai jamais été. Libre et en paix, bien que certains démons viennent encore me hanter par moment.
Je crois que je n'ai jamais été fait pour vivre au milieu de la société. Je m'emporte trop vite face aux inégalités, face aux injustices. Je suis incapable de rester sans bouger à simplement être spectateur quand je vois quelque chose qui ne devrait pas se produire. Au moins ici, je ne croise pour ainsi dire jamais personne et quand ça se produit, c'est à peine si on m'adresse la parole ce qui est loin de me déranger. J'aime ma solitude. J'aime cette vie que je me suis choisi où le superflu n'a pas sa place.
Ça fait presque cinq ans maintenant que j'ai débarqué avec un simple sac à dos. Je n'avais pas la moindre idée de ce que j'allais faire, ni même d'où j'allais vivre, mais j'ai croisé la route d'un vieux Loup solitaire qui a su lire en moi sans que je ne prononce le moindre mot. Il m'a offert un travail. Retaper sa grange qui n'allait sûrement pas passer un hiver de plus. Il m'a appris à poser des pièges, à travailler dans le froid et sous le vent. Il m'a en quelque sorte pris sous son aile. C'est lui qui m'a donné ce lopin de terre. Ce petit morceau du monde qui n'appartient dorénavant qu'à moi. J'ai posé chaque pilier de ma maison. J'ai assemblé chaque planche jusqu'à ce que ça ressemble vraiment à une habitation et je dois dire que je suis assez fier de mon travail. Je me doute que pour beaucoup, c'est loin d'être parfait, mais l'avis des autres n'a que peu d'importance à mes yeux.
Ce vieux Loup est mort avant de m'avoir vu terminer. Une mauvaise chute dont il ne s'est pas remis. Ici, il n'y a pas de médecin et le premier hôpital est à des centaines de kilomètres, encore, quand on a un hélicoptère a porté de main. C'est moi qui l'ai trouvé, étendu dans son lit. C'est moi qui l'est enterré, face à sa maison, là où il aimait s'installer pour regarder la nature et le temps passer. J'y ai passé des heures, pour simplement creuser sa tombe. La terre elle-même n'était pas prête à l'accueillir, dur comme du béton. Il m'a fallu redoubler d'effort pour parvenir à mes fins. Mais j'y suis arrivé, j'ai sculpté une croix en bois où j'ai gravé son prénom, « Henry », puis j'ai récupéré ces poules qui auraient été incapable de survivre plus de deux jours sans finir dans la gueule d'un prédateur. Et je suis partis, sans me retourner, laissant son corps et son esprit dans les mains de cette montagne qui avait déjà capturé son âme.
Par moment, je me surprends à repenser à lui, à sa longue barbe grise qu'il adorait caresser, à son regard perçant auquel rien ne pouvait échapper, à sa manière d'écouter même les plus lourds silences. Je dois avouer qu'il me manque parfois, bien qu'on parlait à peine. Mais au moins, il me reste l'essentiel, il m'a appris à survivre et c'est son plus bel enseignement.
Chapitre 1
De gros flocons tombent sans discontinuer depuis deux jours maintenant. L'hivers est en avance cette année et il s'annonce rude. Le temps joue contre moi. Chaque minute compte maintenant et il me reste beaucoup de travail à faire. Des pièges à relever. Les poules à protéger du froid. Du bois à rentrer en grosse quantité sans parler de ce que j'apprécie le moins, me rendre au village pour aller acheter ce qu'il va me manquer.
Il ne me faut pas grand-chose, mais dans quelques jours, je serais bloqué, sans possibilité d'y retourner. Sans allumettes, pas de feu, sans parler des quelques extras que je m'offre. Histoire de me réchauffer un peu durant les longues soirées devant le poêle. Si je veux pouvoir acheter ce dont j'ai besoin, je ne dois pas traîner. Ici la règle est simple. Premier arrivé, premier servit. Pas de réservations, pas de commandes sur Amazon ou n'importe quel site en ligne. On entre dans cette période où la région se fige, ne laissant une chance qu'aux plus endurants.
Je préférerais éviter d'aller là-bas, mais on ne trouve pas de bonnes bouteilles sous trente centimètres de neiges et de glace. Pas le choix, je dois sortir la moto neige pour un de ces rares trajets de l'année. Il y a bien longtemps que je ne me fie plus aux horloges, je vis au rythme du soleil. D'un rapide coup d'œil par la fenêtre, j'en déduis qu'il me reste environ six heures de luminosité. Je pourrais reporter cette corvée à demain pourtant, en voyant la cime des arbres onduler, je sais qu'il vaut mieux le faire aujourd'hui. La météo va encore se gâter. Il est préférable de se concentrer sur cette tâche sans essayer de la reporter.
Comme à chaque fois que je dois partir, je fais le tour des placards tout en préparant une liste griffonner sur un morceau de papier. Je ne pourrais sûrement pas y retourner avant le printemps alors autant ne rien oublier.
Café, sucre, papier toilettes, quelques produits d'hygiènes sans oublier le sel, le poivre, des épices et plusieurs bouteilles. Un fois à peu près sûr de ne rien avoir oublié, ne reste plus qu'à se préparer, à se couvrir afin d'affronter ce vent glacial. Un petit tour dans le hangar ou j'accroche le traîneau que j'ai fabriqué et qui m'aidera à transporter mes vivres et c'est partis. Il est temps d'affronter l'espèce humaine et de parler à des êtres vivants.
Le froid est saisissant même si j'en ai l'habitude. Je remonte un peu plus mon cache nez pour ne laisser qu'un mince espace pour mes yeux. La neige tourbillonne, brouillant ma vision si bien qu'au bout d'à peine vingt minutes de route, je me dis que définitivement, j'ai bien fait de ne pas repousser cette corvée. Je connais le terrain par cœur ce qui est un avantage. Depuis le temps, j'ai appris à décrypter le crissement de la neige, l'angle de certaines branches incapables de soutenir un tel fardeau et qui cèdent après avoir trop longtemps lutées. Je ralentis quand le chemin est plus vallonné avant d'accélérer quand il redevient plat. La précipitation ne sert à rien ici, la nature est plus forte que tout et on apprend très vite à la respecter.
Dès que je m'approche, des semblants de routes se dessinent. Preuve qu'il y a des maisons et donc des habitants dans le coin. Ceux qui vivent là, sont ce que j'appelle « les indécis ». Ils voulaient s'éloigner de la civilisation, partir loin des grandes villes mais sont incapables de rester complètement seuls et de clairement couper les ponts avec le reste du monde. Pour autant, on ne peut pas dire qu'il y ait foule, du moins à l'extérieur. À mesure que je me rapproche, je distingue plusieurs véhicules du même type que le mien, garés les uns derrière les autres. Je ne suis pas le seul à avoir estimé que c'était le moment ou jamais.
C'est loin de me réjouir, néanmoins, quand il faut y aller, faut y aller. Je suis les cillions des autres, jusqu'à arriver à leur hauteur avant de couper le contact. En descendant, j'imagine déjà que la boutique de Marie doit être bombée. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour rien. Autant en finir, même si ça me bouffe une bonne partie de la journée.
Mes pas crissent sur ce manteau de neige. Même cette agitation soudaine ne l'a pas effacée. Preuve s'il le fallait, qu'elle va tenir et que ça va même s'amplifier. Je remonte mon col encore plus haut si c'est possible tout en ignorant, ceux que je peux croiser. Du coin de l'œil, je distingue des formes, des êtres qui évoluent, qui retournent à leur moto neige avant de s'immerger, de s'enfermer dans leur solitude pour se confronter avec leurs propres démons. On le fait tous, quand les nuits sont plus longues que les jours. Quand le froid est si mordant qu'il pénètre les chaires et les os. Quand même les animaux se cachent pour survivre à ces températures hivernales. Quand le silence est juste brisé par le son du vent qui s'engouffre dans chaque interniste d'une bâtisse en allant jusqu'à la faire trembler dans ces fondations. Alors le sommeil ne vient pas, mais les souvenirs eux, n'hésitent pas à se profiler, d'abord doucement, comme une légère brise avant de devenir constant, de ne faire qu'amplifier, grossir jusqu'à devenir une obsession. Alors les rêves peuvent se confondre avec la réalité, ces souvenirs si vivaces qu'ils semblent presque palpable, assez pour lâcher prise, assez pour y perdre la raison et ne plus jamais revenir à la réalité.
Car je le sais, dans ceux que je croise sans même les voir, certains ne reviendront pas. Certains perdront leurs âmes sous cet amas de neige. Certains fermeront définitivement les yeux pour ne plus jamais les ouvrir. Ils s'abandonneront à ce qui les a conduits ici, au bout du monde.
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