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Les larmes d'Andromaque: Tome II — Promenades napolitaines

Les larmes d'Andromaque: Tome II - Promenades napolitaines

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Chapitres

CĂ©cile est trĂšs amoureuse d'Hisham. Leur relation dure depuis deux ans. CĂ©cile a proposĂ© Ă  ce dernier une escapade d'une dizaine de jours Ă  Naples. En Italie, le ciel est toujours bleu. Les rayons d'un soleil jeune et Ă©clatant offrent des ombres et des lumiĂšres qui se combinent avec une mer capricieuse qui ondule sous la brise et dĂ©roule ses flots bleus. Hisham est sensible au charme des belles Napolitaines, Ă  leur maintien fier et assurĂ©, Ă  leur sourire caressant et prometteur. Il aspire Ă  une vie nouvelle, mais avec les femmes, il se montre souvent indĂ©cis et hĂ©sitant. Dans le couple qu'il forme avec CĂ©cile, apparaissent dĂ©jĂ  les premiĂšres fĂȘlures. Hisham est rattrapĂ© par une ancienne nostalgie. L'Ă©vocation d'Andromaque entretient un Ă©trange souvenir. Celui d'une femme aux yeux verts, belle et mystĂ©rieuse...

Chapitre 1 No.1

Ma passion s'entoure de beaucoup de poésie et d'originalité.

J'arrange volontiers ma vie comme un roman.

GĂ©rard de Nerval

I

Paris, 7earrdt, avril 1976, 10 heures 30

Hisham ouvrit pĂ©niblement les paupiĂšres. À travers la grande fenĂȘtre qui lui faisait face se glissa un rai de soleil qui projeta un flot de clartĂ© brillant dans la chambre. Un jour nouveau entra, clair et joyeux. La pendulette, sur la table de chevet, marquait 10 heures 30.

Hisham ne rĂ©alisa pas tout de suite oĂč il se trouvait. Ses paupiĂšres Ă©taient lourdes et il avait du mal Ă  les garder ouvertes. Sa main tĂątonna maladroitement autour de lui. Il Ă©mergeait pĂ©niblement du sommeil profond dans lequel il avait sombrĂ© la veille. Enfin, ses yeux hĂ©sitants virent la grande poupĂ©e en porcelaine qui trĂŽnait sur l'Ă©tagĂšre du haut, puis une rangĂ©e de flacons de parfum aux formes variĂ©es sur l'Ă©tagĂšre du bas. Des pots de maquillage et de cosmĂ©tique Ă©taient Ă©parpillĂ©s sur la coiffeuse. Sur la table de chevet, il remarqua un poudrier en argent massif incrustĂ© de pierres prĂ©cieuses et un tube de rouge Ă  lĂšvres. Sur le bras du fauteuil en velours rouge traĂźnaient nĂ©gligemment un Ă©lĂ©gant peignoir en satin bleu et une paire de bas en soie noire. Sur le sol, des escarpins Ă  hauts talons. Il vit lĂ  tout l'attirail nĂ©cessaire et indispensable Ă  la femme pour asseoir et affirmer sa beautĂ©.

La chambre baignait dans une atmosphÚre de douceur et de sensualité trÚs féminine. Hisham était sensible à cet univers fait de soie et de satin. Un univers ouaté et feutré qui respirait la femme dans ce qu'elle avait de plus intime et de plus fragile.

Il n'avait pas encore les idĂ©es claires. Il restait indĂ©cis. Ce qu'il ressentait Ă©tait trĂšs grisant, mais il avait toujours cette impression dĂ©sagrĂ©able de n'ĂȘtre pas vraiment tout Ă  fait Ă  sa place dans cet univers trop fĂ©minin. L'impression dĂ©rangeante de s'y ĂȘtre introduit comme un voleur, par effraction.

Pénétrer dans la chambre à coucher d'une jeune femme, c'est découvrir ses artifices, ses ruses, ses tromperies. C'est un peu comme s'introduire dans l'intimité de la loge d'une grande comédienne, ou bien dans la cuisine d'un grand chef étoilé. La découverte est toujours une surprise, bonne ou mauvaise. Elle peut provoquer aussi une grande émotion.

Hisham tourna la tĂȘte vers CĂ©cile.

CoulĂ©e gentiment dans l'oreiller, la jeune fille dormait sur le ventre, la tĂȘte enfouie au creux de son bras gauche, en chien de fusil. Elle dormait d'un sommeil calme et lĂ©ger comme celui des enfants.

Le regard d'Hisham courait sur le joli corps de CĂ©cile qui se soulevait et s'abaissait au rythme d'une respiration rĂ©guliĂšre et profonde. Il pensa que c'Ă©tait vraiment une trĂšs jolie fille, terriblement dĂ©sirable avec son corps Ă  demi engourdi, revĂȘtu d'un dĂ©shabillĂ© en satin rose pĂąle. Le petit rayon de soleil qui filtrait Ă  travers les persiennes jouait sur sa nuque et dans ses cheveux blonds. Lorsqu'elle se retourna un moment, aucune trace de l'agitation de la nuit n'apparaissait sur son visage doux au teint frais et jeune.

ÉnervĂ© par la mollesse du corps Ă©tendu prĂšs de lui, Hisham se pencha doucement en avant pour le caresser. Le contact du tissu doux et brillant sous sa main frĂ©missante le troubla Ă©trangement. De lĂ  oĂč il Ă©tait, il pouvait respirer encore mieux le parfum entĂȘtant de ses cheveux. Il continua d'effleurer du bout des doigts le corps endormi. Une vague brĂ»lante de dĂ©sir le submergea aussitĂŽt. Ce n'Ă©tait pas uniquement un dĂ©sir charnel.

Ce qu'il éprouvait était plus profond, plus mystérieux. Un mélange subtil de désir et d'affection. Une relation vraie qui ne se résumait pas à une simple attirance physique. Pour aimer véritablement, Hisham avait besoin de respecter sa partenaire. Avec Cécile, il se sentait en parfaite harmonie. Cependant, quelque chose gùchait son plaisir, freinait son élan. Quelque chose qui étouffait sa spontanéité. Sans comprendre pourquoi, il ressentait parfois un curieux sentiment de culpabilité qui engendrait inévitablement une mélancolie sombre et confuse.

Dans ces moments-lĂ , il ne pouvait pas se dĂ©partir de ce sentiment pĂ©nible qu'il sentait blotti au plus profond de lui-mĂȘme, comme un animal sauvage qui s'amuserait Ă  lui grignoter le ventre avec ses dents acĂ©rĂ©es. Cette voluptĂ© plaisante dans laquelle il se complaisait lui semblait si contraire Ă  son Ă©ducation shiite, si Ă©loignĂ©e des principes droits et rigides que ses parents lui avaient enseignĂ©s.

Hisham n'Ă©tait pas encore tout Ă  fait rĂ©veillĂ©. Son esprit engourdi s'Ă©parpillait dans tous les sens. L'araignĂ©e fileuse qui logeait dans son crĂąne tissait immanquablement sa toile invisible faite de bribes de souvenirs anciens. Il songea aux rĂȘves ambitieux de son adolescence et il rĂ©alisa subitement qu'il avait toujours vĂ©cu dans la crainte de dĂ©cevoir, de ne pas ĂȘtre Ă  la hauteur. À la hauteur de quoi ? DĂ©cevoir qui ? Son pĂšre l'avait toujours dominĂ©. Il lui avait toujours imposĂ© sa volontĂ©. Il lui avait dictĂ© sa morale rigide sans se soucier de ses dĂ©sirs et de sa sensibilitĂ©.

Son pĂšre Ă©tait un croyant pratiquant qui rĂ©citait le Coran par cƓur. Il avait Ă©tudiĂ© l'Ɠuvre d'Al Ghazali qu'il considĂ©rait comme le plus grand penseur de l'islam. Il Ă©tait un peu plus rĂ©servĂ© sur RĂ»mi et il nourrissait une vĂ©ritable dĂ©fiance vis-Ă -vis des poĂštes, et notamment d'Omar Khayyam qu'il jugeait licencieux.

Selon son pĂšre, il fallait toujours suivre la voie droite, toujours marcher dans la lumiĂšre. Ne pas suivre les sentiers obscurs oĂč l'on risque de s'Ă©garer facilement. Et surtout, se mĂ©fier toujours des femmes. De leurs beautĂ©s mensongĂšres. De leurs ruses insidieuses qui conduisent toujours l'homme Ă  sa perte.

Hisham avait subi l'autoritĂ© de son pĂšre sans rechigner. Pour lire Omar Khayyam, pour lequel il avait une grande admiration, il devait le faire en cachette. Son pĂšre, comme tous les Arabes, reportait toute sa fiertĂ© sur l'aĂźnĂ© qui faisait des Ă©tudes brillantes, qui avait de nombreux amis, qui avait un rĂ©el don pour l'Ă©criture et qui promettait d'ĂȘtre un grand Ă©crivain. Son pĂšre ne comprenait pas ce cadet taciturne qui apprenait par cƓur les poĂšmes de GĂ©rard de Nerval et qui Ă©prouvait un besoin maladif de ne sortir qu'Ă  la tombĂ©e de la nuit.

Mais maintenant, Hisham n'était plus un enfant. Il était devenu un adulte. Il avait le droit d'avoir ses propres pensées. Il avait le droit de se forger sa propre opinion et son propre jugement sur les gens et sur les évÚnements. Non ! Il n'avait plus à se justifier. Il n'avait plus à demander une autorisation pour agir.

Parfois, il avait envie de crier :

- Je ne fais rien de mal, pÚre... Je ne commets aucun péché. J'aime simplement une fille belle et gentille, et je crois qu'elle m'aime aussi...

Un peu abattu et dĂ©sorientĂ©, Hisham tenta de secouer les pensĂ©es maussades qui le tourmentaient et qui finissaient au bout du compte par le plonger dans un dĂ©sarroi moral oĂč il ne voyait pas d'issue. Pourtant, il ne pouvait nier ce dĂ©sir obscur qui lui rĂ©vĂ©lait un aspect de lui-mĂȘme qui le dĂ©rangeait et le perturbait. À plusieurs reprises, il avait essayĂ© de s'analyser objectivement. Comme d'habitude, il avait notĂ© de nombreux dĂ©tails intĂ©ressants sur son carnet noir.

Il n'aimait pas l'expression franche de la sexualitĂ© ni la nuditĂ© des corps. La provocation des seins ne le troublait vraiment qu'Ă  travers l'Ă©toffe lĂ©gĂšre et fluide d'une robe dĂ©colletĂ©e. Son dĂ©sir ne s'Ă©mouvait qu'au contact de vĂȘtements fluides et satinĂ©s qui Ă©pousaient dĂ©licatement le contour des hanches.

Il Ă©tait sensible au regard des femmes, Ă  leurs voix, Ă  l'Ă©lĂ©gance de leurs gestes, Ă  leur beautĂ© habilement rehaussĂ©e par des fards, des crĂšmes, des poudres et des parfums suaves et entĂȘtants.

Hisham manquait d'honnĂȘtetĂ©. Il trichait avec lui-mĂȘme, n'osant pas s'avouer la vĂ©ritĂ©. Il se croyait fort et intelligent, mais toujours, l'appel trouble et mystĂ©rieux de la chair l'avait jetĂ© dans la crainte et la confusion.

Alors, il s'inventait des excuses pour justifier son comportement.

Il se disait :

- La rĂ©alitĂ© quotidienne est vraiment trop affligeante ! Elle est trop plate, trop grise. Elle a besoin d'ĂȘtre fardĂ©e, maquillĂ©e, pour ĂȘtre un peu acceptable.

Oui, Hisham se mentait Ă  lui-mĂȘme. Il sentait bien que son esprit Ă©tait en dĂ©sordre et qu'il devait faire le mĂ©nage. Cela ne pouvait pas toujours continuer ainsi. Il voulait se dĂ©barrasser de cette lassitude pesante qui l'entraĂźnait toujours dans le passĂ©. Il ne voulait plus passer son temps Ă  fuir. À fuir quoi ? Il ne le savait sans doute pas. Il Ă©tait Ă©puisĂ© Ă  force de masquer ses vrais sentiments. Mais quels sentiments ? Il voulait arracher ce masque d'imposture et ĂȘtre enfin lui-mĂȘme. Il ne voulait plus employer des phrases volĂ©es Ă  des gens de talent, mais pouvoir s'exprimer librement en toute sincĂ©ritĂ© avec ses propres mots. Rester toujours soi-mĂȘme en toute circonstance, mĂȘme au risque de dĂ©plaire. ArrĂȘter de tricher inutilement. Être franc, honnĂȘte. Se montrer comprĂ©hensif et s'ouvrir aux autres. ArrĂȘter de prendre les gens de haut et s'exprimer avec sincĂ©ritĂ© et sans dĂ©tour. ArrĂȘter enfin d'endosser ce costume trop grand pour lui.

Mais non ! Hisham Ă©tait trop fier. Trop orgueilleux. Trop imbu de sa personne. Il voulait se comporter comme les personnages de roman du dix-neuviĂšme siĂšcle. Surtout avec les femmes, en pensant les Ă©blouir. Pour lui, une femme digne d'intĂ©rĂȘt devait ĂȘtre forcĂ©ment une courtisane, une comĂ©dienne ou une marquise.

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