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Un décembre assassin

Un décembre assassin

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Chapitres

À la suite de la mort violente de ses parents, Morwenna Alviti est adoptĂ©e par une famille bretonne au passĂ© obscur. Dans sa quĂȘte de vĂ©ritĂ© et de bonheur, elle rencontre l'Ă©nigmatique commandant ArsĂšne Dubreuil, un homme torturĂ© et obsessionnel. Ensemble parviendront-ils Ă  Ă©claircir les mystĂšres qui les entourent ? Quel sera le prix Ă  payer pour atteindre cet objectif ? Entre aventure, crime, amour et trahison, laissez-vous immerger dans cet univers Ă  nul autre pareil. À PROPOS DE L'AUTEURE À la faveur de sa nouvelle vie en Bretagne, Ă  l'Ăąge de 11 ans, Caroline Lucet obtient un prix grĂące Ă  l'Ă©criture d'une nouvelle. Elle s'inspire donc de cette magnifique rĂ©gion afin de continuer Ă  faire vivre sa passion. Un dĂ©cembre assassin est son deuxiĂšme roman publiĂ©.

Chapitre 1 No.1

De la mĂȘme auteure

Du sang dans la neige, Les Ă©ditions Sydney Laurent, 2020.La vengeance est boiteuse, elle vient Ă  pas lent, mais elle vient...

Victor Hugo

Chapitre 1Une vieille vengeance

Hameau de Ty Goarch, village de Plouray, Morbihan, Bretagne, 10 dĂ©cembre 2016, 23 h 12, par une nuit glaciale et enneigĂ©e, maison des Bocklesky, lieu-dit Ty Goarch, entre forĂȘt et montagne

AccolĂ©e la forĂȘt de Plumargoar'ch se tenait une grande bĂątisse rĂ©novĂ©e datant du 18esiĂšcle, aux impressionnantes pierres de taille et aux baies vitrĂ©es aussi larges qu'indiscrĂštes. Celle-ci, du haut de sa bute, dominait un terrain vallonnĂ© et en partie boisĂ© sur plusieurs hectares. Cette propriĂ©tĂ© Ă©tait enclavĂ©e par un mur ancien de plus de deux mĂštres de hauteur, aboutissant Ă  un vieux portail en fer forgĂ© quelque peu rouillĂ©. Une partie du terrain Ă©tait limitĂ©e par la forĂȘt elle-mĂȘme sur le flanc ouest, ainsi que plus bas par une riviĂšre. Le terrain Ă©tait lui-mĂȘme entourĂ© de la chaĂźne des montagnes noires propres Ă  cette rĂ©gion du centre Bretagne.

Cette maison, isolĂ©e de tout, faisait corps avec la nature vivace de cet environnement oĂč tout paraissait respirer encore plus fort que l'homme : la brise fraĂźche fouettant les joues, le bruit des pas dans la dense neige, les chants des oiseaux du coin qui n'avaient pas migrĂ©, le bruit des clapotis de l'eau du ruisseau en contrebas, et le craquement des vieilles branches se battant avec le souffle puissant du vent.

L'environnement Ă©tait restĂ© trĂšs sauvage, voire hostile ; la maison aussi grande soit-elle, n'Ă©tait qu'un grain de sable entre montagnes noires, landes touffues, collines et forĂȘts verdoyantes. C'Ă©tait au cƓur de cette forĂȘt qu'il y avait de cela trente ans le clan des Gitans Bockleskyavait posĂ© valises, caravanes et paniers en osiers. Cette trĂšs ancienne famille avait tout de suite essayĂ© de s'intĂ©grer dans ce qui Ă©tait un petit village breton, plutĂŽt dĂ©sert et reculĂ©, mais n'Ă©tait-ce pas ce que leur chef de clan, Jean Bocklesky n'avait pas toujours souhaitĂ© ? S'isoler ? Peut-ĂȘtre, mais la raison n'avait pas Ă©tĂ© divulguĂ©e.

Aux abords du jardin, Ă  une bonne centaine de mĂštres au-delĂ  de la vieille maison se dressait le terrain de la famille, oĂč quelques caravanes et maisons en bois plus rĂ©centes avaient Ă©tĂ© installĂ©es, c'Ă©tait le « camp ». Toutes ces habitations, roulantes et non roulantes Ă©taient installĂ©es au centre du terrain, en arc de cercle. C'Ă©tait un peu un village dans un autre village.

Tout ce terrain accueillait hommes, femmes et enfants du clan Bocklesky, les terres étaient vastes, et sur des hectares le clan pouvait prospérer et se développer, vivant essentiellement du commerce, de l'agriculture, des marchés et de certains trocs et arrangements divers.

Depuis trente ans cette famille Ă©tait ancrĂ©e dans le cƓur de la Bretagne, eux qui Ă©taient originaires de Pologne. Ils avaient historiquement migrĂ© en France pendant la guerre 39/45, au sud dans un premier temps ; puis Ă  la fin des annĂ©es 80 ils Ă©taient arrivĂ©s sur la terre bretonne, et avaient fini par se sĂ©dentariser dans le Morbihan, au milieu de cette immensitĂ© de nature et de montagnes intimidantes.

Ce soir d'hiver 2016, quelques vieux et hauts sapins autour de la maison remuaient sous la force du vent. Sur les terres gelĂ©es et assombries des Bocklesky, la neige avait cessĂ© de tomber depuis une heure environ ; mais en y regardant par la fenĂȘtre, Jean, le maĂźtre des lieux, ne voyait dans son terrain et vers l'orĂ©e du bois qu'un tapis grisonnant et froid. En ce soir de dĂ©cembre, l'ambiance n'Ă©tait pas Ă  la dĂ©tente. Jean, le patriarche de la famille Bocklesky n'en menait pas large. Lui qui n'avait jamais craint personne depuis soixante ans savait que cette fois il ne serait peut-ĂȘtre pas Ă©pargnĂ© par sa bonne Ă©toile. D'ailleurs des Ă©toiles, il n'en voyait aucune de sa baie, c'Ă©tait un vrai ciel d'encre et la lune Ă©tait quant Ă  elle aussi fine qu'un croissant dĂ©vorĂ©.

Ce soir-lĂ , il savait qu'il Ă©tait au crĂ©puscule de sa vie. Le grand brun aux tempes grisonnantes se questionna un instant sur celle-ci, son nez proĂ©minent collĂ© Ă  la vitre de sa fenĂȘtre. Qu'avait-il fait Ă  part mener toute sa famille d'une main de fer, et avoir fait au mieux pour assurer les intĂ©rĂȘts de tous les membres de son clan ? Peut-ĂȘtre pas assez...

Et quelqu'un allait d'ici peu venir lui rappeler les erreurs de son passé. Un passé violent et regretté depuis prÚs de quinze ans...

Il avait appris que la jeune Morwenna Alviti viendrait le voir ce soir pour l'assassiner. Morwenna, il ne la voyait pas comme les autres du clan la voyaient. Il ne voyait pas ses vingt-deux printemps, mais bien la petite fille qu'il avait connue jadis : la petite tĂȘte blonde qui courait avec son fils Luka dans le camp gitan ; Ă  se cacher avec fougue et malice entre les larges et longues caravanes blanches qui envahissaient les lieux Ă  cette Ă©poque. Il ferma les yeux, et crut un instant entendre de nouveau ses petits souliers s'Ă©craser sur les gravillons du terrain, ses rires et cris de surprise lorsque son fils Luka arrivait Ă  l'attraper par la taille, l'air conquĂ©rant en cet instant.

Jean ouvrit les yeux. Les enfants de ses souvenirs n'Ă©taient plus lĂ . Il venait bien d'entendre frapper ; c'Ă©tait la petite blonde aux yeux bleus, presque turquoise, qui avait bien grandi depuis, et qui se tenait certainement devant sa porte, dans le froid, dans la nuit, dans l'esprit de vengeance qu'Ă©tait certainement le sien...

Il prit un cigare dans son Ă©lĂ©gante boĂźte en bois exotique posĂ©e sur le rebord de sa cheminĂ©e en pierres, manipula l'objet quelques secondes entre ses doigts rugueux puis le reposa sur celle-ci. Il leva les yeux au-dessus de la cheminĂ©e et observa la grosse tĂȘte du sanglier taxidermisĂ©, pensant « ce soir c'est moi la proie ». Il tourna les talons et traversa son grand salon sobrement agencĂ©, passant sans s'en rendre compte sa main rugueuse sur le rebord de son canapĂ© en cuir marron qui trĂŽnait au centre de la piĂšce. Il n'avait rien entre les mains, pas mĂȘme un objet quelconque pris Ă  la hĂąte pour se dĂ©fendre. Il Ă©tait comme rĂ©signĂ© en cet instant, et repensait aux fantĂŽmes de son passĂ©. Et des fantĂŽmes il en avait eu Ă  l'esprit durant ces quinze derniĂšres annĂ©es, Jean opina du chef en acceptant le fait qu'il allait ouvrir Ă  la fille d'un de ces fantĂŽmes. Mais il le ferait, il assumerait ses choix, aussi difficiles qu'ils eussent pu ĂȘtre. Il arriva dans son entrĂ©e aux murs blancs et lumineux, foula le sol de celle-ci et tourna la clĂ© dans la serrure de la lourde porte en bois taillĂ©e en arc de cercle.

La porte s'ouvrit, il aperçut Morwenna, emplie de neige, frigorifiĂ©e, portant son long manteau blanc en laine, la capuche sur la tĂȘte, ses yeux croisĂšrent le bleu des siens. Il se racla la gorge et passa la main dans sa barbe grisonnante.

- Morwenna...

- Jean...

- Entre un instant. Ne reste pas dans le froid.

La jeune et grande femme blonde entra et se secoua avec autant de classe qu'un chien en aurait eu pour s'Ă©brouer, afin d'ĂŽter les restes de flocons sur son manteau.

Jean l'observa, tendu. Il sentit sa gorge se serrer. Elle n'Ă©tait pas une inconnue, et il n'avait pas envie de la traiter comme telle.

Il tendit la main gauche en direction de son salon.

- Tu veux entrer ? Je peux te débarrasser de ton manteau ?

- Oui. Merci... murmura-t-elle les dents serrées.

Morwenna Îta son épais manteau, quelques gouttes de flocons fondus tombÚrent sur le parquet ancien du séjour. Jean l'attrapa et le posa, avec la main quelque peu tremblante sur le porte-manteau en fer forgé qui trÎnait dans cette entrée vide de tout.

Elle avait gardé son vieux gilet noir en crochet qui tombait sans grùce aucune sur son jean.

Il savait que Morwenna était trÚs élégante, malgré sa tenue aussi simple qu'elle était, il la trouva trÚs belle, sa chevelure blonde et ondulée lui flottait librement le long de sa taille finement marquée. Son visage fin et pùle aux traits purs et frÎlant la perfection se tourna vers le vieux gitan. Il ne décela pas de haine dans son regard, mais de la détermination, ainsi qu'un air profondément empli de désarroi. C'était encore plus effrayant. Mais par affection pour cette petite et par respect pour les sentiments que Luka son fils avait pour elle, il ne souhaitait pas se défendre. Il se tourna, au risque de se faire poignarder dans le dos et retourna prÚs de la cheminée, prit son cigare qu'il alluma sans hésiter cette fois-ci et se posa sur l'un des deux siÚges en rotin prÚs de la cheminée, tout en agrippant le pic en fer qu'il avait prÚs de lui afin de remuer les bûches embrasées.

- Il y a un deuxiĂšme siĂšge en face de moi Morwenna, je t'en prie assieds-toi...

La jeune femme mit sa main droite dans la large poche de son gilet en crochet. Elle sentit entre ses doigts la lame du couteau qu'elle avait pris avec elle. Il allait bientĂŽt sentir le froid de celle-ci traverser sa poitrine. Elle le tuerait, ce soir, dans ce salon. Elle attendait cette vengeance depuis quinze ans, depuis cette effroyable nuit oĂč elle l'avait vu enfant sortir de leur maison voisine du campement Bocklesky, aprĂšs la mort de ses parents. AprĂšs qu'elle et son frĂšre Stuart s'Ă©taient rĂ©fugiĂ©s dans l'une des chambres Ă  l'Ă©tage, pour Ă©chapper au vacarme, aux hurlements et aux bruits sourds des coups assĂ©nĂ©s Ă  leurs parents.

Une vĂ©ritable bagarre sanglante avait dĂ©butĂ© dans le hall de leur maison cette nuit d'hiver 2001. Morwenna, alors ĂągĂ©e de sept ans et son frĂšre Stuart, neuf ans, avaient grimpĂ© sur ordre de leur mĂšre Elena les escaliers de leur maison quatre Ă  quatre. Stuart avait eu trĂšs peur ce soir-lĂ , Morwenna aussi. Son frĂšre, ayant un dĂ©ficit mental, ne pouvait qu'ĂȘtre une victime aux yeux de Morwenna, elle l'avait agrippĂ© aussi fort qu'on attrape la derniĂšre liane avant de tomber dans le vide. Les yeux transpirant la peur elle avait fermĂ© la porte de leur chambre, Ă  clĂ©...

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