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Une chance sur des millions... de dollars

Une chance sur des millions... de dollars

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Chapitres

Georges et Marie, couple d'entrepreneurs indépendants, représentent, depuis presque vingt ans, une fructueuse entreprise américaine à Neuilly-sur-Seine. Lorsque cette société décide de se séparer de Georges qui vient de passer la cinquantaine, les choses se compliquent pour eux et les problèmes s'enchaînent. Pour y faire face, Marie propose à son époux une idée totalement loufoque. Quelle est cette proposition ? Cette bouée de sauvetage leur évitera-t-elle la faillite ? Leur amour résistera-t-il à ce flot d'adrénaline ? À PROPOS DE L'AUTEUR Dans Une chance sur des millions... de dollars, Robert Marfa s'inspire de son expérience et nous promène au cœur d'une histoire d'amour où s'entremêlent passion et intérêts.

Chapitre 1 No.1

Neuilly-sur-Seine, 28 août 1982, kiosque du métro, Sablons

Ce matin-là, dans les rues de Neuilly, un air de vacances flottait autour du kiosque situé en haut des marches du métro Sablons. Le soleil était déjà bien présent. Cette journée allait être chaude et marquait le début d'une aventure exceptionnelle.

Madeleine acheta le Figaro comme souvent et fit faire la promenade habituelle à son vieux chien. Dans la journée, en parcourant les petites annonces du journal, elle remarqua l'annonce d'une société américaine qui recherchait un agent indépendant afin de promotionner la vente de produits spéciaux pour l'industrie. Il faut dire que ma mère était une inconditionnelle de l'Amérique et que tout ce qui avait un rapport avec New York et l'art de vivre à l'américaine était pour elle béni des dieux. Elle mit soigneusement de côté cette petite annonce en attendant mon passage. Elle savait que j'avais envie de bouger et que j'avais quitté mi-mai ma position de commercial dans une boîte d'audiovisuel qui alimentait de nombreuses sociétés en mettant en cassettes des copies de films commerciaux. Des sex-shops de la rue Saint-Denis aux chaînes de bricolage, c'est fou le nombre de copies de films commerciaux qu'il fallait dupliquer à cette époque.

Le commercial qui travaillait à mes côtés était un ombrageux. Depuis 35 ans, il rangeait ses fiches de clients par ordre alphabétique. Sur un meuble, au moins dix-mille petites fiches cartonnées poussiéreuses, écrites à la main, illisibles. Les patrons de la boutique étaient deux frangins proches de la retraite qui ne foutaient rien de la journée à part parler de Saint-Tropez ou de leur villa dans le Midi.

Vers 16 h 00, je passai donc chez ma mère qui, à peine j'avais mis un pied dans son appartement, me dit qu'elle avait trouvé une petite annonce qui serait susceptible de me convenir.

Depuis ma plus tendre enfance, j'étais bercé par l'Amérique de ma mère. Cette femme célibataire avait eu vingt ans en 1943, et la mort de sa mère cette même année marqua la fin de ses études. Sa génération fut cruellement impactée par cette épouvantable guerre. Toute jeune fille de 20 ans, elle traversa seule cette horrible guerre jusqu'à se retrouver en Allemagne dans des aventures qui mériteraient à elles seules un livre entier. À son rapatriement d'Allemagne en 1946, elle trouva, grâce à une amie, une position comme assistante de gestion chez un célèbre salon de coiffure parisien. Madeleine maîtrisait parfaitement l'anglais, l'allemand et le français. En 1949, la direction de la maison mère, non loin de l'Élysée, lui proposa une position de gérante des salons de coiffure sur le paquebot Île-de-France, ainsi que la charge des ravitaillements en produits de soins et de beauté ainsi que les formalités de duty-free avec les douanes américaines. Nul besoin de dire son bonheur de courir de Paris à New York pour ravitailler ce majestueux transatlantique chez Macy's, Dior, Guerlain, Chanel, et j'en passe. Elle fit presque quatre cents traversées Le Havre-Southampton-New-York, gardant ensuite, sa vie durant, une peur incontrôlable des vagues, même en se baignant dans une piscine.

À cette époque, les gens voyageaient en paquebots et ces géants des mers étaient de luxueuses villes flottantes. Je naquis lors d'une escale en novembre 1951, à l'hôpital américain de Neuilly-sur-Seine, puis elle reprit le bateau, me laissant dans une crèche non loin du parc Monceau. Dommage que je ne sois pas né une semaine plus tôt, je serais né à New York.

Après la naissance de ma sœur en 1953, elle trouva un autre emploi de secrétaire de direction dans un tout nouveau garage de sept étages à Paris, vers le haut du boulevard Magenta.

En 1961, ma passion était de l'accompagner au travail pour suivre les activités des pompistes, des laveurs, des mécaniciens, des tôliers, des peintres. Mais ce qui me plaisait le plus était d'aller chercher, avec les chauffeurs Ali et Mouloud, les grosses voitures américaines dans les étages du garage. Ces deux experts descendaient les rampes de ce garage à une vitesse incroyable, dans un bruit de crissements de pneus sans fin. Les voitures américaines étaient belles, rutilantes, bourrées de technologies, avec boîtes automatiques, air conditionné, capotes automatiques... et des chromes partout. Quel bonheur de faire le plein de ces monstres, de s'enivrer des vapeurs d'essence et d'entendre le magnifique bruit des moteurs V12 ! Dehors, les voitures françaises étaient ridicules, du genre 2CV, DS, Ami 6, Dauphine, Simca Aronde et Peugeot 203.

En me rendant chez ma mère pour le dîner, ce soir-là, je ne pouvais pas imaginer que cette annonce allait changer le cours de ma vie. Je décidai alors d'envoyer dès le lendemain mon CV avec ma plus belle photo, enfin... presque !

Neuilly-sur-Seine, 16 septembre 1982, chez Madeleine

Deux semaines plus tard, je reçus un courrier me signifiant que ma candidature était retenue et me demandant de bien vouloir prendre un rendez-vous par téléphone pour un entretien. Le jour même, je décrochai donc le téléphone. L'interlocutrice qui répondit se présenta comme Patty, directrice du bureau de Paris. Elle parlait un peu français avec un fort accent américain de Californie et elle me proposa de passer au bureau début octobre, soit le samedi 2 octobre à 15 h 00, soit le dimanche 3 au matin à 10 h. Je pris donc la seconde option pour le dimanche 3 octobre à 10 h 00, dans les bureaux situés non loin du Trocadéro. Depuis quelques semaines que je recherchais un emploi, j'avais reçu des dizaines de lettres qui me remerciaient gentiment d'avoir envoyé mon beau CV. J'étais donc remonté à bloc pour ces entretiens avec les employeurs, ce que je détestais par-dessus tout.

Le papier à en-tête de la lettre était de très bonne qualité, avec le nom de la société en lettres d'or en relief. L'adresse du siège social était en Pennsylvanie.

Neuilly-sur-Seine, 16 septembre 1982, au restaurant, place des Victoires à Paris

Je relisais encore et encore l'annonce pleine de mystères dans laquelle les Américains écrivaient « gains illimités - territoire exclusif ». À cette époque où internet n'existait pas, pas d'information, pas de vision du monde, et seul le cerveau devait imaginer ce qui se cachait derrière cette annonce mystérieuse.

Le soir même, je retournai travailler chez mon cousin Alain qui tenait le Roi Gourmet, le restaurant à la mode de la place des Victoires à Paris, cantine de Kenzo et d'Alain Bernardin, patron du Crazy Horse.

Dans les périodes avec beaucoup de touristes, comme durant les mois de mai à octobre, le restaurant était plein à craquer, midi et soir, sans parler de la terrasse. Je préparais les meilleures salades de langoustes de Paris et quelques desserts dont les îles flottantes. Normalement, je travaillais le soir car les pourboires étaient toujours plus généreux.

Ce soir-là, nous avions ouvert une bouteille de champagne pour fêter cette lettre.

Paris, 3 octobre 1982, dans les bureaux de Universe Tooling Inc.

Devant l'entrée de ce bel immeuble classique du 16e arrondissement, une magnifique Cadillac Eldorado blanche, immatriculée à New York, était garée juste devant la porte. À cette seconde, j'avais comme une impression que cet entretien arrivait sous les meilleurs auspices. Il y avait deux autres candidats dans la salle d'attente. Ils avaient des tronches de bons thons, les classiques franchouillards, petite mallette d'écolier, cravate horrible, costume trop grand, genre Castex. L'un et l'autre ressortirent sans laisser transparaître quoi que ce soit.

C'était donc mon tour.

L'Américaine Patty m'invita à la suivre dans les bureaux ou deux Américains buvaient du Coca-Cola en fumant des cigares. Ils parlaient fort et rigolaient à gorge déployée. Celui que nous appellerons Helmut était le fondateur et le patron. C'était un Américain blond, dans un beau costume beige, bottes de cow-boy en peau d'autruche, cigare aux lèvres, allure germanique, tête de Bavarois et pour cause, il était né en Allemagne. À l'âge adulte, il était parti faire fortune aux USA. Immédiatement je vis qu'il se dégageait de lui une force impressionnante.

L'autre personnage se nommait Greg, très grand, très maigre, allure californienne. Il était calme, écoutait tout religieusement. Je saluai ces trois personnes et mes premiers mots furent pour dire que j'adorais la magnifique Cadillac qui était garée en bas.

Helmut me sourit et me dit dans un français impeccable :

- Georges, je pense que vous allez pouvoir vous en offrir une encore plus grande et plus chère.

Les Américains cherchaient des guerriers avec des rêves, et j'en étais un. Peut-être étais-je naïf, crédule, sans plan de carrière ? Je ne savais rien de l'industrie et les Américains le savaient. Ils comptaient justement sur ma candeur pour me formater. J'étais prêt à accepter n'importe quel travail avec des Américains. Le New-Yorkais et le Californien recherchaient des profils où les nouveaux agents commerciaux indépendants n'iraient pas à la messe le dimanche ou faire le jardin le samedi. En plus, j'ai appris par la suite que toutes les personnes ayant vendu des voitures étaient automatiquement exclues des castings. Il n'y avait pas pire agent commercial indépendant qu'un vendeur de véhicules, car ils attendent que les clients viennent à eux, alors que le poste proposé était tout le contraire : il fallait trouver des clients, forcer les portes, et convaincre. Un tout autre monde !

Je n'imaginais absolument pas, alors, que j'allais quitter définitivement ma condition d'employé pour entrer dans le monde des indépendants. Aucun retour en arrière ne serait plus envisageable.

Durant une demi-heure, Helmut parla en français et en anglais US, en faisant des gestes amples à l'italienne et en m'expliquant que les machines étaient comme ceci et comme cela, que les outils faisaient mieux que toute la concurrence, et qu'ils faisaient tout trembler dans les usines. Bref, vous l'avez compris, je n'y comprenais rien, mais il semblait tellement convaincu que ses outils étaient les meilleurs au monde que j'étais sûr d'avoir trouvé un bon cheval. Je ne posais aucune question, car s'il y avait une Cadillac en bas dans la rue et que cette voiture avait fait le voyage depuis New York juste pour son déplacement en Europe, c'était pour moi le signe du succès.

Mercredi 6 octobre 1982, Neuilly-sur-Seine

En prenant mon courrier, quelle ne fut pas ma joie de trouver une lettre me disant que j'étais sélectionné pour une période d'essai ! J'allais travailler pour une boîte américaine.

Levallois-Perret, 11 octobre 1982, dans un garage Renault

Il me fallait d'urgence une autre voiture plus économique que ma vieille Oldsmobile Cutlass Suprême 1974 avec son 350 Rocket V8 130kW qui engloutissait 12 litres aux 100 et faisait toujours son petit effet dans les rues de Paris. Si vous vouliez la démarrer sans attacher les ceintures, tout le monde devait lever ses fesses des sièges, engendrant de bonnes crises de rigolade. Dans la centrale des particuliers, je vis une Renault 5 d'occasion qui n'était pas jeune, mais comme je détestais toutes les voitures qui n'étaient pas américaines, celle-ci ou une autre c'était du pareil au même pour moi.

Ce véhicule était un peu inquiétant extérieurement, le garagiste encore pire, mais le moteur consommait raisonnablement et les pneus étaient quasiment neufs. J'allais donc pouvoir parcourir les routes de France et de Navarre à peu de frais.

Ma merveilleuse amie Marie, qui habitait avec son mari et ses enfants dans le 16e, allait être surprise par ma nouvelle voiture, mais je n'avais pas le choix.

Paris, fin octobre 1982, au siège parisien d'Universe Tooling Inc.

Greg, vice-président d'Universe Tooling Inc., était chargé de faire le training des nouveaux collaborateurs. Greg était un pur Californien. Paris, c'était très loin de sa Californie, et pour lui tout semblait archaïque en France, sauf les restaurants. Oui, mais voilà, il n'avait pas encore vu mon véhicule !

Greg m'expliqua qu'il fallait franchir une étape supplémentaire pour pouvoir signer le contrat. Un petit challenge qui paraissait facile pour des gens crédules comme moi, mais sacrément complexe pour les initiés. Greg me dit qu'il allait partir aux USA, puis revenir dans quinze jours. La règle du jeu pour signer le contrat était simple : prendre deux rendez-vous par jour dans des usines pour faire à chaque fois une démonstration avec l'outillage, et cela deux jours consécutifs, soit quatre rendez-vous en deux jours. La même chose était à refaire la semaine suivante, soit encore quatre rendez-vous en deux jours.

Je n'avais à ma disposition qu'une petite brochure commerciale américaine de dix pages, avec des photos d'applications de centrales électriques et une petite machine modèle 30 dont je n'avais absolument aucune idée de comment elle pouvait bien fonctionner. Mon premier réflexe fut de la démonter partiellement, puis de la remonter dans la cuisine en utilisant les couverts de ma mère (amusant !).

Neuilly-sur-Seine, à mon domicile

Je pris le bottin téléphonique chez moi et le téléphone (rappelons qu'en 1982, les GSM et l'internet n'existaient pas). J'utilisai aussi le téléphone des renseignements, le 12, afin d'obtenir les numéros de téléphone des usines en province. La jeunesse de 2021 ne peut même pas imaginer les difficultés de cette époque pour un commercial. Je n'avais aucune idée d'où trouver les clients pour effectuer une visite avec une démonstration.

J'ai donc commencé à téléphoner à la recherche de clients potentiels, comme des fabricants d'ascenseurs, mais en quelques jours je n'ai essuyé que des refus, car sans aucune information de la part des Américains, j'étais sur le point de me noyer après avoir sauté dans l'eau.

Durant sept jours, je passai une bonne centaine de coups de téléphone, et finalement je compris que je devais contacter en priorité les centrales électriques, les carrières, les usines chimiques, etc. Mon premier rendez-vous fut donc dans la vieille centrale électrique de Saint-Denis. Je réussis à prendre le quatrième rendez-vous le matin même de l'arrivée de Greg. Pour valider le rendez-vous, il était impératif de faire une démonstration, même de deux minutes.

Sur la route, 8 novembre 1982, en route vers la centrale nucléaire de Chooz

Le temps était horrible sous cette neige fondante. Partis très tôt de Paris vers les Ardennes, la météo s'aggravait au fur et à mesure de notre progression. Greg et moi-même nous dirigions vers la centrale nucléaire de Chooz, où j'avais eu un rendez-vous, ainsi que trois autres belles usines dans la même région. Soudain, dans un village au milieu de nulle part, un gendarme me fit signe de stopper mon véhicule. Mon Américain était paniqué. Le militaire me fit remarquer gentiment que l'un de mes phares avant ne fonctionnait pas. Il m'encouragea à le faire changer au plus vite. Greg était visiblement soulagé, mais il avait froid aux jambes malgré ses chaussures aux semelles épaisses. Lorsque je repris la route, il eut la mauvaise idée de soulever le tapis de sol sous ses pieds. C'est à cet instant que je compris que la R5 avait sans aucun doute un peu plus de bouteilles que ce que m'avait dit l'escroc du garage. Greg pouvait voir la route défiler sous ses pieds depuis son siège. De grands morceaux de tôle manquaient à l'appel. Mais malgré tout, les champignons californiens faisaient de lui quelqu'un de calme, très calme même, car sur le trajet aller-retour, il ne dit rien, pas le moindre mot.

Lors des deux premiers rendez-vous du jour, il me laissa gentiment me noyer et libre de raconter une belle histoire aux personnes visitées. Sa seule aide fut de me montrer comment faire fonctionner l'équipement. Greg ne parlait pas un mot de français et mon anglais était celui du français moyen, c'est-à-dire nul.

Le jour suivant, deux autres rendez-vous furent aussi rétrospectivement de petits désastres. Mais comme disait l'autre, seule la motivation était importante.

Même en improvisant mon argumentaire, je voyais clairement que ces nouveaux outils attiraient l'attention. J'aurais pu dire n'importe quoi, c'était pareil

Débriefing à Paris, le soir du 9 novembre, dans un petit bistro

Greg avait donné rendez-vous à Patty pour le débriefing. Il s'était vraiment amusé durant ces deux journées, même si je devais affiner ma méthode. Je me souviendrais qu'à partir du moment où vous avez capté l'intérêt de votre interlocuteur, même en improvisant depuis une simple brochure, vous pouvez en gros lui vendre n'importe quoi.

La semaine suivante, nous recommençâmes le lundi et le mardi, quatre autres visites. Cette fois, j'avais bien préparé un argumentaire technique simple et très facilement compréhensible pour les clients, mais surtout pour moi-même.

Le mercredi, Greg repartit à New York après avoir demandé à Patty de signer mon contrat avec Universe Tooling Inc. et m'avoir laissé un équipement composé de trois modèles de machines.

C'est ainsi que commença ma nouvelle vie. J'avais été sélectionné chez le leader américain ainsi que quatre autres agents.

Mais un événement allait changer mon destin.

Vendredi 17 décembre 1982, 17 h 00, Zone industrielle de Mantes-la-Jolie

Quelques jours plus tard, un peu avant Noël, j'avais pris rendez-vous vers dix-huit heures, avec la plus belle fille de la terre, Marie. Elle allait passer les fêtes de fin d'année avec son mari et ses deux enfants, chez ses parents qui possédaient une très grande et magnifique propriété près de Mantes-la-Jolie, à l'ouest de Paris. Je ne l'avais pas vue depuis plusieurs semaines. J'avais hâte de la revoir car elle était plus belle qu'un ange. J'avais été témoin à son mariage, j'étais le parrain de sa première fille et son meilleur ami. J'étais amoureux d'elle depuis des années, quand nos regards s'étaient croisés au café le Royal Bleu, où filles et garçons du cours Polles se retrouvaient pour un sandwich à l'heure de midi.

Marie était née à Béziers. Sa mère était la fille et la petite fille d'une famille de la bourgeoisie locale. Le grand-père et l'arrière-grand-père possédaient une clinique chirurgicale. La maison donnant sur le plateau des poètes avait vu la naissance de sa grand-mère. Sa mère avait épousé le plus bel homme de Béziers, le magnifique Serge, joueur de tennis professionnel. Le mariage fut célébré loin de Béziers car cette alliance était assez mal vue par les parents de sa mère qui auraient préféré un chirurgien. Après cette carrière de compétions, le couple dirigera des casinos puis gagna la capitale pour devenir propriétaire d'un tennis au cœur du très chic seizième arrondissement avant d'acquérir un énorme domaine de chasse vers Thoiry. À seize ans, Marie était devenue une jeune femme d'une rare beauté, ses parents recevant d'innombrables demandes pour que Marie soit mannequin, ou actrice de cinéma. Mais cela ne l'intéressait pas. Marie avait décidé de se marier très jeune afin de quitter le domicile familial de ses parents qui ne pensaient qu'à eux.

Je décidai d'aller rôder durant l'après-midi dans la zone industrielle de Mantes-la-Jolie, à trente minutes de la propriété, en attendant 18 h 00. En ce vendredi du mois de décembre, il faisait déjà nuit vers 17 h 00.

Sans GPS, et seulement avec une carte de la région parisienne sur mes genoux et une loupe, j'essayais de trouver sur le terrain les grosses usines.

Soudain, au détour de la route, je vis la grande usine de Sulzer se dresser devant moi. Dans cette rue, il faisait déjà bien sombre avec le brouillard qui tombait. Il y avait encore de la lumière dans les bureaux. Par un coup de chance, plus de gardien au portail, ce fainéant avait quitté son poste plus tôt... (ah non, c'est vrai, on ne peut plus écrire cela !). Bon on recommence. Cet employé modèle devait faire une demi-heure de rattrapage de formation cuisine à la maison et devait s'absenter plus tôt.

En un déclic, je décidai donc de m'engouffrer avec la voiture dans l'enceinte de l'usine. Je poussai alors la lourde porte en métal noir des bureaux et me retrouvai dans un long couloir lugubre sans voir âme qui vive.

Après trois minutes à essayer de trouver quelqu'un, on commence à trouver le temps long. Soudain, un homme vint à ma rencontre depuis le bout d'un autre couloir d'au moins 60 mètres de long. L'homme me demanda un peu sèchement ce que je faisais dans les locaux à cette heure tardive, sans badge et sans accompagnement. Je déclinai immédiatement mon identité, ainsi que la société que je représentais et les produits en lui tendant ma carte de visite.

Je lui dis que j'avais vu de la lumière et que sans gardien, j'essayais d'avoir une information, à savoir qui était le chef des montages afin de prendre rendez-vous pour faire une démonstration de machine de serrage. Soudain, l'homme en face de moi, qui était en réalité le grand chef des montages du hall pompe, changea de tête. Il me prit par les épaules et m'entraîna dans l'immense hall de l'atelier où une pompe à eau de la taille d'un autobus, destinée au grand barrage d'Itaipu au Brésil, était en cours de finition avant de pouvoir subir le test final durant le week-end.

Hélas, pour lui, heureusement pour moi, les outils qui devaient serrer les énormes boulons de cette pompe venaient de casser le matin même et il recherchait désespérément une solution depuis des heures. Il se trouvait que, par un hasard invraisemblable et sans doute divin, j'avais dans le coffre de ma splendide R5 le modèle 250, un équipement entièrement neuf capable de faire ce travail. Quelques minutes plus tard, l'équipement et moi-même faisions la démonstration que ce matériel était le meilleur du monde.

Voyez-vous, ce genre d'histoire est normalement impossible, sauf dans les romans, mais la chance était avec moi ! Vous devinez la suite, il me demanda de laisser mon équipement avec la promesse d'envoyer la commande à Universe Tooling Inc. dès le lundi matin.

Je venais de vendre mon premier équipement et de gagner une superbe commission, l'équivalent de 10 000 euros d'aujourd'hui, sur un seul coup de chance inouï en quelques minutes. Désormais, le ciel n'avait plus de limites. Durant cette période d'essai, le taux des commissions était maximum.

Cette vente fut un choc pour les Américains, qui ne pensaient jamais voir la première vente avant six mois ou même un an. Helmut avait déjà son favori dans le team.

Quelques minutes après, je me rendis à une vingtaine de kilomètres de là, fier de moi-même, pour rencontrer la merveilleuse Marie qui allait devenir ma femme en 1987. Mais cela est une autre histoire.

Ma vie allait enchaîner démonstrations et services, chaque jour, dans toutes les usines de la création. Helmut avait le pouvoir magique de faire avancer les gens, jour et nuit. Un gourou avec un charisme absolument exceptionnel, qui rendait la vie juste impossible.

Les produits étaient exceptionnels et nettement supérieurs à tous leurs concurrents.

Le système de commissions était juste addictif. Aucun fixe, mais plus vous vendiez, plus le taux des commissions augmentait passant de 11 % pour la première vente à 16 %, puis 22 %, puis 28 %, puis 30 % à partir de la cinquième commande de machines. Il y avait aussi cette maudite moyenne mensuelle glissante qui venait interférer dans le résultat final. Le nombre de machines vendues en fin de mois déterminait le pourcentage qui s'appliquerait rétroactivement sur toutes les ventes du mois.

Chaque samedi matin, tous les agents avaient déjà reçu un fax personnalisé d'Helmut, qui généralement vous traitait de tous les noms d'oiseaux car les ventes de votre territoire étaient trop faibles. Ce n'était jamais assez. Ainsi, votre week-end était déjà pourri dès le samedi matin à huit heures. L'argent était notre seule motivation, la seule drogue. Les commissions de 30 % faisaient que nous vivions sans jamais avoir à nous préoccuper de nos dépenses, à tel point que nos voisins se demandaient si nous étions dans le trafic de stupéfiants.

Mon plus gros chèque, la première année, fut d'environ 100 000 euros pour une seule commande chez le plus grand groupe d'engineering français, qui achetait pour un énorme site d'extraction de gaz naturel dans l'un de ces pays dont le nom se termine par « ...stan ». Nous remettions les compteurs à zéro tous les mois, cela ressemblait à la roulette du casino à chaque fois car il n'y avait aucun fixe. Comme disait les ricains : « No pain, No gain ! »

À l'époque, sans cette merveilleuse invention qu'est le téléphone mobile, Marie, mon épouse désormais, était l'actrice principale pour répondre aux clients depuis notre ligne fixe. Avec mon véhicule, je devais stopper toutes les deux heures pour lui téléphoner, puis me diriger selon les urgences des clients. Les journées à 700 ou même 1 000 kilomètres se suivaient sans relâche.

Avec le temps, Helmut savait que Marie et moi-même pouvions générer deux démonstrations sérieuses par jour. Au fur et à mesure, j'étais devenu le « destroyer » (destructeur) officiel.

Tous les nouveaux prototypes de son imagination débordante arrivaient à Bruxelles depuis Philadelphie et passaient entre mes mains à seule fin d'essayer de trouver les défauts et de les casser en démonstration. Les clients étaient au parfum et les essais se faisaient dans la plus grande sécurité. En moins d'une semaine, les nouveaux prototypes devaient casser ou bien résister au pire traitement. Autant dire que j'étais à l'avant-garde des nouveautés techniques. Ce programme était totalement secret, les autres agents ne savaient rien.

C'est ainsi que cette vie infernale se poursuivit jour après jour durant des années, sans prendre le temps de voir grandir les enfants et sans véritable repos, usant chaque année un nouveau véhicule.

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