Maviesanstoi
Ecrit par Emmanuelle SILVANO
I
Ma mère
— Humm, qu’est-ce que tu veux, Laura ? J’dors là.
— Ma mère est morte.
Ce vendredi printanier promettait pourtant à Marion une douce et agréable grasse matinée. Les rayons du soleil, traversant les persiennes de sa chambre, venaient lui caresser les pieds, légèrement découverts de la fine couette fleurie sous laquelle elle dormait paisiblement. Elle venait tout juste d’entamer sa dernière phase de sommeil, la meilleure phase – tu sais, celle des rêves « genre un peu chelous » mais « grave trop bien en fait ». Et, par ce simple geste spontané, par ce glissement de pouce de gauche à droite sur l’écran de son smartphone pour répondre à l’appel de sa meilleure amie, la voilà brutalement sortie de cette bulle confortable de paix, pour basculer dans un tourbillon d’effroi, d’incompréhension, d’injustice, de souffrance et de souvenirs, hélas, encore trop récents.
— Quoi ?
— Viens de suite… j’ai besoin de toi là, maintenant ! sanglote Laura.
À présent, les yeux grands ouverts et le cœur tapant aussi fort qu’un batteur de rock percute sa grosse caisse de sa double pédale, Marion se redresse sur son lit. Figée, l’air abasourdi, elle est partagée entre la précipitation de rassembler toutes ses affaires pour rejoindre au plus vite Laura, son amie de toujours, et cette rafale d’émotions négatives qui la paralyse.
Quelques secondes se passent, puis, une fois un pied à terre, le mental prend le dessus. Après un coup de brosse à dents passée rapidement sous l’eau froide, sa chevelure blonde et bouclée grossièrement démêlée à l’aide de ses doigts, et des aisselles rafraîchies par un gant de toilette encore humide ayant servi à son démaquillage de la veille, Marion enfile, par-dessus son ensemble débardeur-shorty de nuit, un short en jean et un sweat crop top oversize nonchalamment déposés au sol. Et hop, elle rassemble, en cinq minutes, quelques affaires, utiles ou pas, et les entasse en vrac dans son grand sac à main fourre-tout puis descend dans la cuisine.
Et voilà c’est tout son père ça ! Elle trouve, sur le plan de travail de la cuisine, du café, un sac de viennoiseries et un mot disant : « Je suis parti plus tôt que prévu à Reims. T’as des petits pains au chocolat pour t’aider dans tes révisions. Je t’aime ma grenouille. ». Elle arbore un sourire plein de tendresse. Elle retourne le post-it, prend un stylo et écrit à son tour « T’es un ange my dad, je descends sur Saint-Cyp, je t’expliquerai de vive voix. TM fooort ». Elle dépose délicatement le mot sur la machine à café et attrape sac, chapeau, lunettes, clefs de voiture, sac de gourmandises bien huileuses et thermos de café. Elle enfile ses tongs, croque dans un pain au chocolat et sort en refermant la porte d’entrée avec son pied. C’est parti pour une bonne heure de route, direction les Pyrénées-Orientales, direction Saint-Cyprien, sa ville natale.
Elle, c’est Marion, la plus spontanée et bordélique des étudiantes en communication d’entreprise. Passionnée par le graphisme, l’audiovisuel, le multimédia mais aussi par l’écriture et la nature, elle vit avec son père dans l’Hérault, dans un Mas isolé depuis que sa mère est subitement décédée, trois ans plus tôt. Simple et pétillante, c’est une fille très affective qui a un grand sens de l’amitié et de belles valeurs humaines. Ainsi, à l’aube de cet été 2022, elle n’hésite pas à bousculer ses projets pour soutenir son amie Laura, plongée dans la détresse d’avoir, elle aussi, à son tour, perdu subitement sa mère, Béatrice.