Avertissement
Il existe une ville au monde où l’on peut admirer une incongruité architecturale meurtrière qui subsiste et défie le vieillissement avec l’orgueil de sa beauté intemporelle. En effet, une seule ville au monde à ma connaissance où, à ce jour, vous pouvez découvrir « in situ » l’œuvre de l’architecte Oscar Van de Voorde (1871-1938), contemporain de Victor Horta. Une maison de maître extraordinaire,qui fut édifiée en l’an 1900 pour l’ingénieur des mines Louis Thibaut, directeur des charbonnages de Courcelles-Nord. Une véritable merveille, une énigme indéchiffrée encore. À l’heure où je mets ce livre sous presse, ce bâtiment qui défie le temps, l’espace et l’architecture est en vente publique par la fédération Wallonie/Bruxelles, son nouveau propriétaire, pour la modique somme de 145 000 € et n’a toujours pas trouvé d’acquéreur. Cette maison que je côtoie tous les jours, emplit mon imaginaire d’une étrange langueur. Je me suis documentée sur elle et j’ai aussi imaginé ce qui a dû se produire entre ses murs opaques et clos.
J’ai inventé ce thriller qui est avant tout un polar colombophile, un genre dont je suis encore l’unique représentante autoproclamée !
Cette demeure, entre manoir et château, possède un particularisme unique au monde, une porte monumentale, presque celle du château de la bête et la belle de Cocteau. Il s’agit vraisemblablement de la seule version monumentale de porte-éventail connue à ce jour. Pour ma part, j’ai préféré le vocable français de porte-guillotine, en lisant ce thriller vous comprendrez pourquoi.
J’oubliais, la ville dont je vous parle n’est pas en absurdie ni dans un monde imaginaire. Cette ville que j’ai adoptée depuis des années ou qui m’a adoptée (je n’ai pas encore tranché), c’est Charleroi en Belgique. Et le cœur du Pays-Noir pour un livre noir, cela ne peut qu’engendrer un noir à la Soulages !
Un roman est un jeu d’illusions, tout y est vrai et faux à la fois. Et, l’histoire ne commence à exister qu’au moment où vous la lisez.
Je vais quand même m’entourer des précautions d’usages requises.
Aucun des personnages du roman n’est réel, sauf la narratrice. Quant au volet colombophilie, qu’il ne rebute pas un non-pratiquant. Ce sport dont la Belgique maîtrise parfaitement la pratique, que dis-je, où elle est encore le meilleur élève de la classe, est décrit par l’auteure avec professionnalisme, mais sans jargon abusif aucun.
Bonne lecture !
Chapitre 1
La dernière heure !
Je tressaillis en laissant choir mon journal du matin. Je relus le chapeau de l’article de Gilbert Dupont de la Dernière Heure : « La porte-guillotine de la maison Gaspar Thibaut à Gosselies a tué l’occupante des lieux en se refermant malencontreusement, la coupant littéralement en deux ! »
Machinalement, je regardai par la porte-fenêtre qui s’ouvrait sur la propriété Gaspar Thibaut, ses arbres séculaires et exotiques et sa magnifique bâtisse art nouveau, un fleuron architectural du coin.
Venant de Bruxelles, je m’étais établie avec mon mari dans une maison qui jouxtait cette propriété, mise en vente par la fédération Wallonie/Bruxelles pour une somme assez modique, mais elle n’avait pas eu l’heur de « capter » un acheteur, je m’en étonnais tous les jours.
La propriétaire s’avérait être une vieille dame nimbée de brumes et de mystères sur laquelle circulait une légende urbaine qu’on véhiculait à Gosselies. On la voyait rarement sortir de sa tanière, je l’avais rencontrée à l’occasion d’un reportage sur sa colonie de pigeons voyageurs.
Je précise que je suis journaliste colombophilie, eh oui, cela existe, je suis journaliste-écrivaine tout court.
Pendant des années j’ai couvert l’actualité européenne puis, je me suis consacrée à ce hobby phagocytant qu’est la colombophilie. Un art, un sport, une discipline dans laquelle la Belgique fait figure de leader mondial. Les pigeons belges de hautes lignées s’arrachent sur le Net et dans les ventes publiques ou privées à des prix faramineux. Le dernier en date est une pigeonne olympique. New Kim nous fut achetée par un Chinois à 1 600 000 €, ce qui, pour une pigeonne de 425 grammes, nous donne un montant de 3 765 € le gramme, soit la denrée d’exportation la plus chère de notre petite terre d’héroïsme.
Bref, cette colombophile que je connaissais à peine s’était fait occire par cette fameuse et mondialement connue porte-guillotine que d’autres préfèrent nommer moins martialement porte-éventail. Le chroniqueur du journal, toujours très visuel, avait, lui aussi, opté pour le vocable de porte-guillotine.
Je me rappelais fort bien ma visite dans cette ancestrale demeure. C’était la première fois que j’y entrais et, je fus frappée de la beauté du site, mais aussi de son état de vétusté, lamentable pour un chef-d’œuvre mondialement reconnu et classé !
Lore de Courcelles, la maîtresse des lieux, m’avait reçue fort accortement pour une dame de plus de 70 ans à cette époque.
Elle habitait seule cette maison, enfin un appartement le long de la façade sud et avait regroupé ses pigeons dans l’ancien colombier qui communiquait avec son gîte. Il était digne des écuries du Grand Condé. Je l’avais fait rire en lui demandant si elle croyait à la métempsychose comme lui qui, persuadé qu’il reviendrait dans une autre vie sous forme de cheval, avait fait construire ses écuries comme un palais.