À mon grand-père qui a ouvert la voie.
I
Du fossoyeur
Lior, la ville monde.
Un dédale de boyaux puants, entrelacs de ruelles sombres, étroites, encombrées de gravas et parsemées d’épaves. Dans le noir grouillent des centaines d’ombres informes, mille fantômes hagards, éperdus, allants et venants avec le ressac des ombres sur la pierre morte. Jour après jour, nuit après nuit, elles reprennent leurs ambulations absurdes. Elles errent, encore et toujours, passent les vivants, les presque morts, elles se traversent, s’oublient, se retrouvent et se perdent encore. Le jour ne saurait les déloger, les rues battent à leur mesure fantôme.
Lior – ville monstrueuse, telle un prédateur assoupi, ses boyaux un nid de serpents qui grouillent, frémissent, se tordent et convulsent, vont et viennent et s’entre-dévorent, véritable piège organique où croupissent des centaines de damnés. Lentement digérés par la bête, ils achèvent de se désintégrer sous un ciel bas, lourd comme du plomb et noir comme de la suie. La ville entière pulse au rythme d’une respiration sourde, gigantesque et silencieuse, qui soulève les flancs des avenues puis retombe lourdement, exhalant des relents de pourriture, de haine et de mort.
Lior dort, du moins pour un temps encore. Elle attend l’aube, vague trait de lumière étouffé par les nuages, la poussière et la cendre. Quand ses rues se feront grises, quand les ombres se mouvront des avenues aux recoins, coloniserons les interstices, les failles, les fissures et les éboulis, quand les diables s’éveilleront et reprendront la machine, quand les montagnes de fer et de feu cracheront leur comptant de suie et d’enfer, alors la ville ouvrira les yeux, découvrira les crocs.
Trinn connaît bien la ville. Il en a pratiqué toutes les routes, tous les boulevards. Il en connaît tous les tournants, adore ses culs-de-sac, ses coupe-gorges et ses croisements. Il connaît son tempo, le chant des usines qui se réveillent, le vacarme de la vie qui s’agite, se brise et se divise. Les destins qui se détruisent, ceux qui se multiplient, les naissances comme les décès, tout en même temps, le chaos absolu des centaines de chemins qui apparaissent, vont en ligne droite, se tordent ou ne mène nulle part. Il aime sa saleté, résidu de vie bien vécue, son histoire et son avenir, une même roue qui tourne à l’infini.