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À petits pas avec mes chats

À petits pas avec mes chats

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5.0
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23
Chapitres

À petits pas avec mes chats raconte la vie d'une femme, les affres de sa sĂ©paration avec l'ĂȘtre cher. Cette derniĂšre exprime sa douleur, ses regrets et ses remords, mais surtout son passage du « monde des deux » Ă  celui des cĂ©libataires. Pas encore dans l'un et plus tout Ă  fait dans l'autre, elle est dĂ©sormais l'Ă©trangĂšre qui observe Ă  distance l'univers qui l'entoure. Au moyen d'une description ironique des situations, et avec un regard apitoyĂ© et perplexe sur ces nouveaux ĂȘtres qui peuplent sa vie, elle pratique l'autodĂ©rision vis-Ă -vis de celle qui est devenue fragile et paumĂ©e. Dans ce monde sans repĂšres, seuls les chats lui offrent un point d'ancrage. Leur amour fait partie intĂ©grante de son salut. Ainsi, c'est Ă  petits pas incertains, portĂ©e par la prĂ©sence permanente de Bambou et Saha, qu'elle s'achemine vers la guĂ©rison.

Chapitre 1 No.1

Absence

Tu n'es pas là, tu n'es plus là. Tu es absent, c'est cela l'absence... oui c'est cela tout simplement. D'ailleurs, le dictionnaire l'atteste en termes analogues. J'ai vérifié. J'entends pourtant ta voix qui me raille :

- C'est la vĂ©ritĂ© de la Palisse, l'Ă©vidence mĂȘme... Voyons rĂ©flĂ©chis !

- Mais que veux-tu, cette certitude-là n'est pas la mienne et quelque chose me dérange dans cet article. Allons, allons, ne te gausse pas, car enfin tu le sais aussi bien que moi, tu es parti mais tu es toujours là.

Tes chaussures, ta robe de chambre, tes pantoufles, tes jeans oubliés ont gardé tes empreintes. C'est grùce à eux que tu surgis marchant, courant, taillant la haie du jardin. Le vieux fauteuil dont les creux et les bosses épousent les contours de ton corps m'offre ta fatigue, ton attitude d'abandon, tes cheveux en désordre. Le dernier livre que tu lisais est toujours sur ton bureau. Je le caresse du plat de la main et le tùte du bout des doigts, je l'ouvre et le respire. Oh ! Oui tu es toujours là ! Ton stylo n'est posé sur une page blanche que pour écrire une seule histoire : la nÎtre dont les mots éclatent déjà, bruissent, brûlent, se tordent, s'amusent plus vivants que jamais. Je n'ai qu'à fermer les yeux pour entendre le crissement de la plume sur le papier.

Mais peu Ă  peu, les objets se dĂ©traquent. Tes chaussures baillent, la trame usĂ©e de tes jeans se craquelle comme mitĂ©e, tes stylos bavent de l'encre pour toute littĂ©rature. La pendule s'est arrĂȘtĂ©e. Quelque chose ne tourne pas rond dans le petit monde des objets. RatatinĂ©s au fond de leur tiroir, palis, raidis, muets, ils ne me renvoient que poussiĂšre et moisissure. Mais je te connais trop bien pour savoir qu'avec toi il ne faut pas se fier aux apparences ! Comme le phĂ©nix tu vas bien sĂ»r renaĂźtre de tes cendres.

Un matin au saut du lit, encore Ă  moitiĂ© endormie, un bruit de vaisselle au rez-de-chaussĂ©e monte jusqu'Ă  moi. L'arĂŽme du cafĂ©, l'odeur du pain grillĂ© viennent me titiller les narines. Je descends les escaliers oĂč tu viens me frĂŽler... Pendant que je beurre des tartines, tu rĂŽdes autour de moi, je sens ton souffle et ton odeur. Puis c'est le ronron de ton rasoir Ă©lectrique qui me parvient de la salle de bain.

Oui tu es toujours là. C'est une clef qui tourne dans la serrure, ton cartable jeté à terre, tes manteaux en désordre sur le divan, tes yeux au sourire qui danse et ton sourire que je dévore des yeux. Parfois, tu viens vers moi les bras chargés de cùlins et je te tends les miens mais j'embrasse du vide, étreins du vent. Tu n'es plus là. Ce n'est pas grave, je sais que tu vas revenir.

Ton armoire pourtant vide hurle ta présence. D'ailleurs, j'entends vibrer ta voix dans tous les bruits de la maison. Elle murmure, éclate, bougonne.

VoilĂ  mon absence Ă  moi Ă  quoi elle ressemble. Souvent, mes amies me racontent les soirĂ©es en tĂȘte Ă  tĂȘte avec l'Ă©tranger qu'est devenu leur mari. Un fossĂ© les sĂ©pare, et parfois elles finissent par oublier jusqu'Ă  sa prĂ©sence. Moi je leur confie la tienne, obsĂ©dante, envahissante. Je ne crois pas les gens quand ils me parlent d'hallucinations. La preuve ! Quand Mathilde est partie Ă  l'universitĂ©, je ne la sentais pas qui rĂŽdait autour de moi, je n'ai jamais Ă©tĂ© poursuivie par son rire de perle. Pourtant, comme elle me manquait !

Alors moi, j'ai une explication toute simple.

Enfant, tu adorais le spectacle des magiciens. Les lapins dans les chapeaux, la femme coupĂ©e en deux puis ressuscitĂ©e, les disparitions et les apparitions te plongeaient dans une sorte de transe. Tu jouais Ă  cache-cache des aprĂšs-midi entiĂšres. On ne savait oĂč te chercher et on te trouvait oĂč on ne t'attendait plus. Plus tard, tu t'es mis Ă  faire semblant. Pince sans rire tu faisais semblant d'ĂȘtre sĂ©rieux, tu faisais semblant d'ĂȘtre fatiguĂ© pour soudain, Ă  la plus grande joie des enfants, annoncer une journĂ©e de promenades, de sport et de pique-nique. Puis tu as fait semblant de me tromper pour me rendre jalouse. Semblant, semblant, toujours semblant ! Petit, me disait ta mĂšre, tu faisais semblant d'avoir mal au ventre et tu te roulais par terre. À l'Ă©cole, tu faisais semblant de ne rien comprendre. Et aujourd'hui, tu fais semblant d'ĂȘtre parti. Ce jeu t'a toujours amusĂ©. Cette fois, il dure plus longtemps, voilĂ  tout. Finalement, on joue Ă  cache-cache tous les deux ou plutĂŽt non tous les quatre, car les chats sont aussi de la partie. Tous les soirs Ă  la nuit tombĂ©e, ils se postent face Ă  l'escalier oĂč les ombres se sont amassĂ©es. Assis sur leur train de derriĂšre, les pupilles dilatĂ©es, ils suivent tes allĂ©es et venues que tu permets Ă  eux seuls de percevoir, de leur petite tĂȘte pointue qui oscille au rythme de tes mouvements. Moi je suis privĂ©e de ce bonheur, mais qu'importe puisque Saha et Bambou me confortent dans la certitude de ta prĂ©sence. Je m'endors paisible le nez collĂ© Ă  la fourrure de mes deux amours qui me transmettent ton odeur. Lorsque tu disparais dans le premier rayon du matin qui traverse la cuisine, j'ai pris l'habitude d'attendre que tu te manifestes Ă  nouveau, mutin, charmeur. Je sais bien que tu vas revenir !

Au fil du temps, j'ai remarqué un phénomÚne bizarre : tes visites n'ont lieu que lorsque nous sommes seuls. Je m'isole donc de plus en plus. Je ne veux en aucun cas rater une seule de tes apparitions.

Et je t'attends.

À l'affĂ»t, crispĂ©e, je t'imagine, cruel, venant sur la pointe des pieds pour que je ne puisse pas t'entendre. C'est ta nouvelle rĂšgle du jeu. Alors, j'ai ĂŽtĂ© tous les tapis pour percevoir le moindre de tes pas dans le silence recueilli de la maison. On joue au plus malin. Je me concentre pour que tu viennes. Mais horreur, ces pas quasi inaudibles se rarĂ©fient. J'ai alors l'idĂ©e de crĂ©er une atmosphĂšre pour te sĂ©duire. Des bougies, des essences brĂ»lent jour et nuit dans toutes les piĂšces, des tentures doublent toutes les portes de couleurs chaudes. Le dĂ©cor est dressĂ©, tu peux entrer en scĂšne.

Mais ne voilà-t-il pas que tu as encore changé les rÚgles du jeu ! Si je ne t'attends pas de longues heures, tu ne viens pas. Or connaissez-vous pire chose que l'attente ? J'ose à peine aller faire les courses pour ne pas te manquer. Je me suis mise en maladie. Et je t'attends de toutes mes forces, de toute mon ùme. Je me rends disponible, ouverte.

Et je t'attends.

Je deviens fĂ©brile, nerveuse. Est-ce toi cette nuit qui as dĂ©placĂ© ce vase sur la commode ? Et toi encore qui as allumĂ© le gaz sous la casserole, pendant que je m'absentais dans le jardin ? DĂ©sormais, je vĂ©rifie tout pour ne perdre aucune de tes facĂ©ties. AprĂšs la carafe, c'est le bougeoir de l'entrĂ©e que tu changes de place, puis l'une aprĂšs l'autre, les poupĂ©es en porcelaine font le tour de la piĂšce. Mes livres, mes classeurs ne tiennent pas en place. Je suis obligĂ©e de chercher mes vĂȘtements car tu me les caches dĂ©sormais et j'ai du mal Ă  m'habiller le matin. Tu ne me laisses plus un seul moment de tranquillitĂ©. Les lumiĂšres se rallument, la porte d'entrĂ©e reste bĂ©ante toute la nuit, un soir tu t'amuses mĂȘme Ă  me serrer la gorge. Je ne parviens plus Ă  m'adapter Ă  ces variations permanentes. Je t'explique cela, oui il faut que tu comprennes, on a peut-ĂȘtre passĂ© l'Ăąge de jouer Ă  cache-cache, lorsque soudain, un bruit lĂ -haut dans notre chambre. Je me prĂ©cipite dans l'escalier, cette fois tu vas me faire un signe. Je pousse la porte. Le rideau n'a pas le moindre frĂ©missement, le dessus de lit pas un pli. Ni murmure ni soupir, pas le moindre souffle : la chambre est vide. Je hurle, je t'appelle « reviens, pouce je ne joue plus ».

Soudain, un bruit sec d'ampoule qui se grille. Je me retrouve dans le noir.

Échec et mat.

Mais on ne meurt pas d'amour, c'est un jeu qui un jour se termine. C'est tout.

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