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Quand bien mĂȘme

Quand bien mĂȘme

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Chapitres

Jacques Bouvard est un avocat nĂ©vrosĂ© qui ne cesse d'ĂȘtre tourmentĂ© par la mĂ©diocritĂ© du monde qui l'entoure et un mal intime qui le ronge. Au dĂ©tour d'un chemin, sur les remparts de Laon, il rencontre le prĂ©sident Gregory Mangin qui hystĂ©rise la France depuis son Ă©lection. Un passage Ă  l'acte va alors faire basculer le destin de Bouvard et celui de la France dans le chaos. À PROPOS DE L'AUTEUR Juriste, auteur de nombreuses publications dans le domaine du droit, Claude Bernard signe, avec Quand bien mĂȘme, une puissante rĂ©flexion mĂȘlant tourments intimes et malaise dĂ©mocratique français tout en livrant un saisissant portrait clinique du monde juridique.

Chapitre 1 No.1

Le peuple a le droit d'aller choisir l'homme auquel il croit, partout, au fond d'un cachot comme au fond d'un palais, comme au fond de l'exil. Et toute barriĂšre qui n'est pas la loi doit tomber devant l'appel souverain du peuple.

Victor Hugo

Prologue

De la vie de Jacques Bouvard, il y avait, semble-t-il, peu Ă  dire. Elle aurait pu demeurer une vie simple, presque ordinaire, vĂ©cue au niveau des lectures qui nourrissaient son imaginaire frustrĂ© et solitaire et du poste de tĂ©lĂ©vision Ă  travers lequel, depuis l'enfance, le monde contemporain venait, chaque jour, vomir sa dose de mĂ©diocritĂ© dans son salon. Ce n'est que par quelques hasards, dont on ne sait bien distinguer s'ils peuvent ĂȘtre qualifiĂ©s d'heureux ou de malheureux, qu'il crut entrevoir l'occasion de s'Ă©lever au-delĂ  de sa condition – celle du commun des mortels – en voyant poindre, sur un sentier mal assurĂ©, un de ceux qui font mouvoir le monde ou qui pensent le faire, en mimant la geste des grands hommes d'autrefois. Un acte simple, presque banal, devait alors faire de Bouvard, pour un temps, non le symbole de la haine, mais la haine elle-mĂȘme ; et il s'Ă©leva. C'est ce qui a semblĂ© rendre cette vie digne d'ĂȘtre Ă©voquĂ©e, bien que l'on puisse la juger tendancieuse Ă  bien des Ă©gards.

Cette histoire se déroula dans un pays, la France, qui, pour l'essentiel, n'avait pas encore pris conscience de sa faillite morale et de l'ampleur du mal qui rongeait ses institutions. Elle narre un tournant de l'histoire de ce pays qui devait durablement modifier les rapports entre la morale et la politique ; l'équilibre entre la société civile et sa représentation. Il a semblé pertinent d'envisager tous ces changements à l'aune de l'un de ses acteurs principaux ; le lecteur en sera, en définitive, seul juge.

PremiĂšre partie

Certains ĂȘtres Ă©prouvent trĂšs tĂŽt une effrayante impossibilitĂ© Ă  vivre par eux-mĂȘmes ; au fond, ils ne supportent pas de voir leur propre vie en face, et de la voir en entier, sans zones d'ombre, sans arriĂšre-plans.

Michel Houellebecq

1

Sentir moins sa passion, c'était sentir plus son néant ; réduit, cet amour ne lui masquait plus le vide.

François Mauriac

Le soleil commençait Ă  se coucher lĂ -bas au loin. L'Ă©clat de ses rayons mourants, qui perçaient les vitres de la vaste salle des confĂ©rences de la facultĂ© de droit de Nanterre, donnait Ă  l'atmosphĂšre une touche de fin de partie. Debout, prĂšs de la table derriĂšre laquelle il venait, trois heures durant, de soutenir sa thĂšse de doctorat, habillĂ© d'un costume Bleu ciel Hugo Boss parfaitement ajustĂ©, Jacques Bouvard faisait maintenant face au jury qui venait, Ă  l'instant, de lui dĂ©cerner le titre de Docteur en droit pour ses travaux de thĂšse portant sur La figure prĂ©sidentielle sous la IIerĂ©publique. Les cinq membres du jury le regardaient exprimer sa gratitude contenue, une certaine – quoique relative – satisfaction du travail accompli, et ses remerciements.

Pendant ces quelques secondes, il prenait soin, en s'adressant Ă  ce cĂ©nacle en majestĂ©, de ne pas regarder celui de ses membres qui, tout Ă  droite, se tenait raide, les deux mains agrippĂ©es sur le dossier de la chaise rangĂ©e devant lui, comme ne sachant qu'en faire. Visiblement mal Ă  l'aise, pas encore soulagĂ©, l'Ɠil Ă  l'affĂ»t de la moindre contrariĂ©tĂ©, il Ă©coutait d'une oreille distraite les propos sans aspĂ©ritĂ© de son doctorant : des propos certes dĂ©bitĂ©s sur un ton jovial mais qui ne se distinguaient en rien de la masse de lieux communs qu'il avait sans doute cent fois entendue dans la mĂȘme situation. Rien de plus convenu qu'un thĂ©sard s'exprimant devant un jury de thĂšse. Bouvard se tourna alors vers lui ; dans l'assistance, on entendit une voix chuchoter « LĂ , il y a danger » ; Bouvard s'exĂ©cuta : « Et enfin merci Ă  vous, Monsieur l'ancien Directeur ». Surpris malgrĂ© lui d'une telle apostrophe, son destinataire, le professeur Marcel Bruno, esquissa un rictus convenu et baissa la tĂȘte, ne voyant pas sa voisine qui se tournait vers lui, le regard interloquĂ©, attendant une rĂ©action devant un tel manquement Ă  la biensĂ©ance universitaire.

Cela faisait cinq ans que ces deux-lĂ  avaient essayĂ©, sans succĂšs, de trouver un terrain d'entente. Lorsqu'il s'Ă©tait engagĂ© en thĂšse, Bouvard Ă©tait promis Ă  une brillante carriĂšre universitaire, ou du moins le croyait-il ; il allait ĂȘtre un grand professeur de droit, un de ceux qui marquent les esprits de plusieurs gĂ©nĂ©rations d'Ă©tudiants. Enseigner, il avait ça dans le sang ; il faisait partie de ces quelques rares personnes qui avaient le truc de façon innĂ©e : il savait captiver son auditoire et pouvait l'entretenir de tout ce qui lui passait par la tĂȘte, ce dont il s'Ă©tait rarement privĂ© pendant ses sĂ©ances de travaux dirigĂ©s. Il avait dĂ©butĂ© dans l'Ă©quipe de l'inĂ©narrable Maurice Antoine, le plus connu des professeurs de droit constitutionnel de l'Ă©poque ; le plus mĂ©diatique et le plus populaire aussi.

DĂšs ses premiĂšres sĂ©ances, il avait dĂ©couvert son talent propre pour donner vie Ă  la plus austĂšre thĂ©orie juridique comme pour restituer l'intĂ©rĂȘt concret du plus technique des arrĂȘts du Conseil d'État. Nanti d'une rĂ©putation d'excellence et d'un financement assurĂ© par l'universitĂ©, il avait facilement pu s'engager en thĂšse. Lors de leur premier entretien, Bruno, qui allait diriger sa thĂšse, lui avait dit sur un ton qui se voulait prophĂ©tique « Sur un tel sujet, je vous vois faire une thĂšse brĂšve, mais puissante ». Une thĂšse « agrĂ©gative » comme il disait alors pour se donner un air encore plus important, celui du professeur qui sait d'emblĂ©e fixer les justes objectifs, ceux qui compteront, car lui connaĂźt les codes Ă  respecter pour « faire carriĂšre ». Celui d'un pygmalion, car c'est ainsi qu'il avait voulu paraĂźtre Ă  Bouvard. Pourtant, lors de cet entretien, de sujet prĂ©cis il n'avait curieusement jamais Ă©tĂ© question ; comme si le travail de thĂšse consistait Ă  poursuivre son sujet par-delĂ  celui dĂ»ment enregistrĂ© Ă  son commencement, Ă  le parfaire sans cesse en remettant l'ouvrage sur le mĂ©tier jusqu'au dĂ©pĂŽt de la version finale ; une subtilitĂ© qui devait toujours Ă©chapper Ă  un type comme Bouvard, peut-ĂȘtre encore un peu trop primitif, ce qui ne veut pas dire scolaire.

Et puis la prophĂ©tie censĂ©ment auto-rĂ©alisatrice avait virĂ© au cauchemar. Confiant dans ses capacitĂ©s, sĂ»r de son destin, Bouvard avait remis Ă  plus tard la concrĂ©tisation de ce projet de thĂšse, se contentant de quelques lectures en guise de recherches, allant en bibliothĂšque uniquement pour y faire quelques photocopies, lĂ  oĂč tous les bons usages enseignent qu'il faut d'abord y faire des rencontres pour constituer un rĂ©seau, lequel sera plus tard trĂšs utile pour le partage des places, des honneurs et du vide. Bouvard avait surtout joui de son nouveau statut d'enseignant, pour lequel il s'Ă©tait dĂ©couvert une passion : la sĂ©duction, celle des masses – certes modestes – de prĂ©fĂ©rence. Il avait vu, sur lui, le regard des femmes changer. En fait de femmes, c'Ă©tait plutĂŽt Ă  des filles qu'il s'intĂ©ressait et c'est ainsi, en se laissant gagner par des instincts rĂ©guliĂšrement brimĂ©s depuis le lycĂ©e, qu'il avait connu, pour la premiĂšre fois de sa vie, non seulement le plaisir de possĂ©der physiquement quelques filles, mais aussi l'amour en rencontrant Mathilde Ă  l'anniversaire d'un ami en Bretagne. Il dĂ©couvrit la passion, totale et dĂ©vorante, de celui qui la sait partagĂ©e mais qui n'en est nullement satisfait. Celle qui ne comble jamais vraiment et qui frustre en permanence. Mathilde Ă©tait plus jeune que lui, elle passait son Bac ; pendant les quelques mois oĂč elle avait Ă©lectrisĂ© sa vie, il n'avait vĂ©cu que par elle. Il n'avait jamais ressenti pour un ĂȘtre humain – une de ces petites choses que, depuis l'enfance, il aimait souvent mĂ©priser – un tel attachement brutal, animal, qui le faisait sortir de lui-mĂȘme. On l'avait mĂȘme vu en larmes dans une rame du mĂ©tro aĂ©rien, une semaine oĂč elle Ă©tait loin de lui. Jamais personne ne l'avait accompagnĂ© si intimement, de façon si fusionnelle : Ă  ce sagouin qui n'avait jamais appris l'amour – ni Ă  le donner ni Ă  le recevoir –, elle avait Ă©tĂ© la plus belle chose qui soit jamais arrivĂ©e. Avec elle – et malgrĂ© les ravages de la passion –, tout paraissait simple.

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