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La dernière vie
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L'époque est clémente pour la république pirate de Jolie Mer. Mais quand la capitaine du brick Alacran revient de chasse, le navire de guerre qui l'attaque lui semble bien résolu à changer les choses. Pourtant, quels que soient les dangers, il faut reprendre la mer: la fille de la capitaine a disparu...

Capítulo 1 La frégate

Le temps était magnifique. Les bleus du ciel étaient clairs et sans nuage, l'océan brillait paisiblement sous le soleil. Une jolie brise poussait l'Alacran par le travers, et il aurait atteint une belle vitesse s'il ne gîtait pas tant par tribord.

– C'était une frégate, répétait Oreste, le front strié d'une ride de dépit. Armée de canons de gros calibre.

– Cinquante pièces au bas mot ! opina le second.

– Et accompagnée de la Couronne pour faire bonne mesure.

– Cette bonne vieille Couronne n'effraierait pas un cotre. Mais cette frégate ? J'ai bien cru qu'on était fichus quand elle nous a alignés. Voilà longtemps que je n'ai pas vu autant de gueules de canons dépasser des sabords.

Le second semblait encore incapable d'y croire. En douze ans de piraterie dans ces eaux, Isabel n'avait rencontré que deux navires comparables à cette frégate, et ce n'avait jamais été plaisant. Ce navire avait réveillé ses vieilles insomnies, durant lesquelles elle voyait sans cesse les voiles vertes du Corwith disparaître derrière les collines de Rive-Salée.

Isabel s'avança vers les deux hommes jusqu'à ce que son ombre tombe sur eux du haut de la dunette.

– N'avez-vous rien à faire ? leur demanda-t-elle calmement. Je peux vous poster tous les deux à des endroits où vous remplacerez des hommes qui savaient se montrer utiles.

Le second se reprit dans un sursaut, Oreste grimaça tristement.

– Nos excuses, capitaine, dit ce dernier.

Déjà, le second s'éloignait à grands pas à la recherche de quelque chose à superviser.

L'Alacran avait perdu treize hommes et trois canons. Sa coque était endommagée, son mât de misaine avait été éraflé, des bordages et le bastingage de la proue avaient été arrachés à tribord. Les réparations sommaires avaient colmaté les brèches et assuré le mât, juste assez pour toucher Port-Audace sans perdre de temps.

Sans le Corwith qui s'était interposé et qui avait empêché une poursuite, le brick n'aurait pas pu fuir les navires du gouverneur de la Simare.

L'empire de Cerdagne semblait avoir enfin décidé de mettre de l'ordre dans ses colonies.

Avec le départ d'Éribert, Isabel était seule sur la dunette avec Oreste, à la seule exception du timonier. Ce dernier, pourtant si curieux des paroles qui s'échangeaient près de lui, surtout quand elles ne lui étaient pas adressées, regardait maintenant droit devant lui, aussi démoralisé que n'importe quel membre de l'équipage. Oreste avait les traits plus creusés encore qu'à l'habitude, et le dessous de ses yeux était ombré de violet.

– Qu'as-tu fait ? lui demanda la capitaine.

– J'ai brisé la barre à roue de la Couronne. Sans elle pour le poursuivre, le Corwith avait une chance de fuir. Peut-être.

– Tu aurais mieux fait de t'en prendre à la frégate.

– C'est ce que j'aurais fait si je l'avais pu, évidemment ! Tu me crois stupide ?

Isabel frappa l'habitacle du compas du poing, et Oreste tressaillit. Il se radoucit, la houle de la colère qui agitait son visage se calma. Cette brève tempête d'émotions semblait avoir balayé le peu de force qu'il lui restait ; il appuya lourdement les mains sur le bois verni du bastingage pour se soutenir.

– J'ai tenté de percer la coque de ce foutu vaisseau, mais de toute évidence ce ne fut pas une réussite. Je ne lui ai pas fait plus de mal que toi avec tes petits canons. Si je n'avais pas dévié une bonne vingtaine de ses tirs, on ne serait plus là pour déterminer qui a fait quoi et comment.

– Je suis désolée, murmura Isabel. Je ne doute pas de toi. Je suis dépitée, et je m'emporte.

– Bah ! ça va. On est tous dans le même état. Dès notre retour, on excitera les chicaneurs de Port-Audace et on reprendra la mer pour une bonne petite vengeance. Ça nous remettra de bonne humeur. En attendant, j'aimerais qu'on me laisse tranquille.

– Je ne sais pas si c'est vraiment une vengeance que je veux, mais Port-Audace décidera. Va te reposer. Je te ferai appeler s'il se passe quelque chose d'intéressant.

– J'espère que ce ne sera pas le cas, grommela Oreste. Tu considères comme « intéressant » de se faire botter le cul par une frégate armée comme un navire de ligne, et j'ai eu mon lot de choses intéressantes pour ce voyage. Merci, capitaine, ajouta-t-il plus haut et un peu plus aimablement à l’adresse du timonier.

Il traversa le pont à l'inclinaison sensible, le dos voûté comme un homme bien plus âgé, l'équilibre précaire. Il disparut sous la dunette dans la chambre qu'il partageait avec le canonnier et le second. La capitaine le suivit des yeux, mais ce n'est pas à lui qu'elle songeait. Dans ce moment de calme et de beau temps, alors que l'Alacran blessé filait de toute la vitesse dont il était encore capable vers l'abri de Port-Audace, elle songeait au Corwith et à son capitaine. Peut-être que la vieille frégate était juste derrière elle ; qu'elle mette à la cape durant une heure et ses voiles vertes apparaîtraient à l'horizon.

Peut-être que le Corwith avait été envoyé par le fond.

Lacey avait accompli un beau geste en se jetant dans le sillage de l'Alacran. Son sacrifice était désintéressé, hardi, héroïque même. Isabel ne l'en aurait pas cru capable. Elle ne s'en croyait pas capable. Si elle observait ses hommes, les manœuvres, le mât abîmé, si elle calculait inlassablement leur position et leur route, c'était pour ne pas affronter la vue de la mer désespérément vide derrière elle.

Cinq jours plus tard, l'Alacran croisait au large des cent villages hostiles de la baie Rouge. Il avait croisé plusieurs navires de commerce qui n'avaient pas dévié de leur route ; ces sloops et ces cargos achetaient les marchandises des pirates, mais ils ne voulaient rien savoir de leurs affaires.

Il n’y eut qu’un navire que l’état de l’Alacran intrigua : le Long Dragon, une corvette aux formes larges, lente mais bien armée. La capitaine avait adressé des signaux, puis s'était rapprochée pour échanger des paroles d'un bord à l'autre. Le Long Dragon escortait maintenant l’Alacran ; Isabel pouvait voir sa petite capitaine déambuler en claudiquant sur le gaillard d'arrière en harcelant son lieutenant, dévorée de curiosité.

Oreste reparut sur le pont au moment où le brick doublait la pointe de l'île de Jolie Mer. Trois jours de sommeil presque ininterrompu puis deux jours de repos l'avaient remis d'aplomb, mais pas de meilleure humeur. En cela, il était dans son état normal.

– Je sais quand on est devant la baie Rouge à cette odeur de sucre et de merde mêlés, s'exclama-t-il en guise de salutation. Le Corwith ?

– Encore aucun signe de vie. La Maria Vidal est allée observer la mer derrière nous.

Oreste reprit son poste favori, à côté des cages à volaille. Comme à son habitude, il observait le sillage en fronçant les sourcils. Il ne releva pas une seule fois la tête vers l'horizon dans l'attente d'une voile verte.

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