Daniella
Les battements assourdissants du club me prenaient aux tripes dès que j'avais franchi les portes. La lumière stroboscopique balayait les silhouettes, et, derrière moi, ma bande de fêtards riait, des verres à la main. Tout était offert : Ciroc, Patron, cocktails en cascade. L'air vibrait, saturé d'alcool, d'euphorie et de sueur. Sur scène, les danseuses s'enroulaient autour des barres de métal, tandis qu'au-dessus, une boule à facettes jetait des éclats de lune sur les tables bondées. La chanson « Shots » d'LMFAO hurlait dans les haut-parleurs, répétant son refrain comme un ordre. Autour de moi, des couples s'embrassaient à la sauvette, des étudiants jouaient au beer-pong sur des tables collantes, et j'apercevais des visages connus de l'université se balançant au rythme des basses.
Mon téléphone vibra au fond de ma poche. J'ignorai l'appel. Dix minutes plus tard, la sonnerie revint, insistante. Cette fois, j'arrachai l'appareil et répondis en criant pour couvrir le vacarme :
- Quoi encore ?
La voix qui me répondit était sèche, étranglée par l'urgence :
- Viens tout de suite. Ton père est très mal.
Je levai les yeux au ciel, la gorge nouée.
- Désolée les gars, je dois filer, lançai-je à ma bande.
- Quoi ? Mais la soirée commence à peine ! protesta l'un d'eux.
Je haussai les épaules, vidai mon verre d'un trait et me levai.
- Est-ce que j'ai le choix ?
Je traversai la piste, bousculée par les corps, les cris et la fumée, jusqu'à l'air glacé de la rue. La nuit me frappa comme une gifle. Je levai la main, arrêtai un taxi et, d'une voix blanche, donnai l'adresse de l'hôpital.
Le trajet me parut interminable. Dans ma tête, les basses résonnaient encore, mêlées à un goût amer d'inquiétude et de culpabilité. J'avais la gueule de bois avant même que l'ivresse ne retombe. Quand le taxi s'arrêta enfin, je payai à la hâte et me ruai vers les portes vitrées des urgences.
- Je viens voir mon père, articulai-je à l'accueil.
La réceptionniste leva brièvement les yeux, tapa quelques mots sur son clavier.
- Chambre 207, deuxième étage.
Le couloir me sembla glacial, interminable. Quand j'entrai dans la pièce, l'image me transperça : mon père allongé, presque translucide, inconscient, relié à un moniteur dont les bips réguliers ponctuaient le silence. D'un coup, mes nuits enfiévrées parurent futiles, comme effacées. Je tirai une chaise et m'assis, la tête penchée sur ses mains amaigries.
- Pardonne-moi, papa, murmurai-je.
Dans ma tête, le refrain de « Shots » revenait en boucle, ironique : ici, les seuls "shots" étaient ceux que l'infirmière injectait dans ses veines. Je sentis un voile se lever en moi : mes priorités basculaient. Je me fis la promesse de devenir la fille dont il pourrait être fier.
Il entrouvrit les yeux, ses lèvres tremblaient.
- Ma fille...
Je pris sa main, glacée.
- Oui, papa, je suis là.
- Il me reste peu de temps... Il faut que je te dise quelque chose.
Mon cœur bondit.
- Quoi donc ?
Sa voix était faible mais ferme :