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J'ai accouché d'un enfant né sous « X »

J'ai accouché d'un enfant né sous « X »

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Chapitres

Dans les annĂ©es 80, Emmanuelle, lycĂ©enne de seize ans, tombe enceinte et choisit par entĂȘtement de mener sa grossesse Ă  son terme. Bien qu'entourĂ©e de sa mĂšre, Brigitte, et de sa petite sƓur Sylvie, les doutes s'emparent d'elle. A-t-elle pris la bonne dĂ©cision en refusant l'avortement ? Quelles seront les consĂ©quences de cette obstination sur sa vie et celle de son enfant ? Tels sont les tourments qui la rongeront pendant neuf mois. À PROPOS DE L'AUTEURE MĂšre adolescente, Aline Thibaut comprend et partage le dilemme de ces trĂšs jeunes femmes sĂ©parĂ©es de leurs enfants Ă  leur naissance. J'ai accouchĂ© d'un enfant nĂ© sous « X » vient rĂ©pondre aux questions dĂ©chirantes qu'elles se posent. Des questions qui auraient pu ĂȘtre les siennes et celles de son enfant.

Chapitre 1 No.1

Prologue

Comme à chaque séance, les dessins d'Emmanuel, dix ans, sont lourds de noirceur, et laissent sa pédopsychiatre, madame Orsano, dans l'expectative.

Les maisons sont sans toit, les prĂ©s d'herbes grises, les enfants sans mains, les voitures sans capot, le ciel sans soleil, les animaux d'une extrĂȘme maigreur, les visages sans yeux, ni bouche, ni nez, les plages sans baigneurs. Seul lien commun entre toutes ces Ɠuvres enfantines, une pluie blanche tombe sur eux.

Blanche comme du lait, que l'enfant concrétise par des cercles de crayon à papier dans lesquels il ne met pas de couleur, ni noire ni grise.

- C'est de la neige ? se risque madame Orsano.

- Non Madame, c'est du lait...

Emmanuelle, adolescente

I

Dix ans plus tĂŽt

Cette soirĂ©e aurait pu ĂȘtre une soirĂ©e ordinaire, faite, comme ces derniers jours du mois de septembre, de chaleur Ă©crasante et d'attentes interminables.

Bien qu'entourĂ©e et choyĂ©e par sa sƓur cadette Sylvie, et sa mĂšre qui partagent son anxiĂ©tĂ© et son tourment, Emmanuelle renferme une angoisse grandissante au fur et Ă  mesure que le terme s'approche.

Aujourd'hui, elle décide de mettre en pratique un conseil qu'elle a lu cette semaine, dans une revue prénatale, à laquelle elle s'est abonnée depuis quelques mois.

« Remplir sa baignoire d'une eau Ă  40°. S'y glisser pendant 5 minutes. Cette chaleur aidera votre corps Ă  se dĂ©tendre ainsi qu'Ă  dilater le col de l'utĂ©rus, et donc Ă  dĂ©clencher le travail. Ne surtout pas dĂ©passer les 5 minutes d'immersion, la poche des eaux pourrait ĂȘtre rompue sans que vous vous en rendiez compte et le bĂ©bĂ© pourrait se noyer. »

Les trois femmes de la maison sont réunies dans la salle de bain embuée de ce petit pavillon de banlieue bordelaise.

La baignoire remplie aux trois quarts d'une eau bien plus chaude que quiconque n'a l'habitude d'utiliser dégage une brume flottante dans la petite piÚce, le grand miroir en est opaque, il refuse de renvoyer toute image.

Emmanuelle plonge un orteil hésitant et le retire aussitÎt.

- Aaah ! C'est bouillant. Maman, je ne vais jamais pouvoir glisser mon gros corps de baleine lĂ -dedans, s'exclame-t-elle.

- Ma chérie, on va le faire ensemble. Je mets un bout de pied et toi aussi, voilà c'est bien, dit-elle, joignant le geste à la parole. Allez, un peu plus loin, le pied entier, puis jusqu'au mollet, ça y est ton pied, comme le mien touche le fond de la baignoire, on passe au suivant.

Brigitte fait preuve d'une grande patience pour accompagner sa fille. Emmanuelle est si jeune, pense-t-elle, pour vivre cette Ă©preuve.

Elle se fait souvent des reproches face Ă  cette situation.

Qu'a-t-elle loupĂ© ? À quel moment a-t-elle perdu le contrĂŽle ? Est-ce un problĂšme d'Ă©ducation, de partage, d'absence de dialogue avec sa fille ?

Oui, s'avoue-t-elle. La boutique me prend beaucoup de temps, la gestion de mes trois filles adolescentes aussi, entre les courses, la préparation des repas, les réunions parents-profs, mes cours de gym, les loisirs.

Tout cela fait qu'on finit par survoler sa vie, sans vraiment se poser et surtout sans se poser la bonne question : est-ce que j'agis bien pour mes enfants qui sont dans l'ùge délicat de l'adolescence ? Mais surtout, pense-t-elle, on croit que comme tout ce qui est grave, ça n'arrive qu'aux autres.

Brigitte est loin d'oublier ce samedi ensoleillé du mois de février dernier.

Elle a, comme à son habitude aprÚs le repas, rejoint le salon pour regarder le journal télévisé.

C'est un petit moment de détente qu'elle s'accorde.

Elle sait que ses filles aiment bien se retrouver toutes les trois dans la cuisine, Ă  ce moment-lĂ .

Le canapé en cuir marron est bien vieillissant, se dit-elle en s'asseyant, il faudra songer à le changer.

Le journal d'aujourd'hui ne parle quasiment que des Ă©lections municipales, le premier tour est pour demain.

Elle profite de ce moment de détente pour recoudre son chemisier décousu sur un cÎté. J'ai pris un peu de volume ces temps-ci, il va falloir que je redouble d'efforts à la gym, pense-t-elle en souriant.

Elle sait trĂšs bien qu'elle n'a rien d'une grassouillette, mais elle n'a quand mĂȘme pas tort de penser ainsi ; Ă  la quarantaine, il faut doubler d'attention pour ne pas se laisser aller.

Les trois filles, quant Ă  elles, sont, comme Ă  leur habitude aprĂšs le repas, dans la cuisine en train de faire la vaisselle. TrĂšs organisĂ©es, chacune sa tĂąche, avec un roulement hebdomadaire. Cette corvĂ©e n'en est finalement pas une, car elles aiment bien, toutes les trois, ĂȘtre ensemble. C'est leur moment de papotages, de confidences, souvent d'Ă©clats de rire aussi.

Pourtant, ce jour-là, dans cette piÚce éclairée par les rayons obliques du soleil de février, l'ambiance est un peu tendue.

- Ça fait au moins une semaine que tu dois lui en parler, qu'est-ce que tu attends ? s'inquiĂšte Christelle, la sƓur ainĂ©e.

- Oui, je sais, je vais lui dire...

Emmanuelle recule chaque jour l'échéance. Elle appréhende la réaction de sa mÚre. Mais surtout, elle a encore du mal à réaliser que dans son ventre grandit un enfant.

- Si tu ne lui dis pas aujourd'hui, c'est moi qui le fais, insiste Christelle.

- Mais laisse-la, la pauvre, ce n'est pas facile Ă  dire, je voudrais bien t'y voir, proteste Sylvie, toujours prĂȘte Ă  prendre la dĂ©fense d'Emmanuelle.

Pendant quelques instants, on n'entend plus que le bruit des assiettes et des couverts qui se rencontrent dans l'Ă©gouttoir Ă  vaisselle. Emmanuelle est cette semaine Ă  l'essuyage. Elle passe machinalement le torchon sur chaque ustensile que sa sƓur a lavĂ© puis rincĂ©.

Ses idées noires viennent parfois bousculer son optimisme.

Christelle a terminé le lavage, elle prend l'essuie-mains, se sÚche les mains, le repose à son crochet et se dirige vers la porte de la cuisine, depuis laquelle elle dit en direction du salon :

- Maman, tu peux venir s'il te plaĂźt ?

- Oui, je finis mon aiguillée et j'arrive.

Brigitte pénÚtre dans la cuisine dont le rangement est presque terminé.

- Qu'y a-t-il, mes filles ?

- Emma a quelque chose Ă  te dire, annonce Christelle.

Ses deux sƓurs la fusillent du regard, incrĂ©dules de ce qu'elle vient de faire.

Une panique s'empare d'Emmanuelle, le feu lui monte aux joues, l'angoisse lui serre la gorge, elle voudrait disparaĂźtre, lĂ , sur l'instant, Ă©chapper Ă  la colĂšre de sa mĂšre qu'elle redoute, elle a aussi honte de son Ă©tat face Ă  sa maman. Quel va ĂȘtre son jugement ? pense-t-elle.

Elle sait qu'elle ne peut plus reculer, sa sƓur l'a mise au pied du mur. Puisant tout le courage qu'elle n'a pas, elle lance d'un trait :

- Je suis enceinte...

L'adolescente ne pensait pas que prononcer ces mots face à sa mÚre pourrait lui procurer un si grand soulagement. Elle a l'impression que ça y est, elle est débarrassée d'un lourd fardeau.

Brigitte a bien entendu ce qu'Emmanuelle vient de lui dire, mais ne parvient pas à réaliser ni à réagir, et reste interdite.

Ce n'est pas possible, pense-t-elle. Ma petite fille, maman ? Mais elle a Ă  peine seize ans ! C'est encore une enfant ! Elle vient juste d'ĂȘtre admise au lycĂ©e, elle ne peut pas dĂ©jĂ  entrer dans une vie d'adulte.

Et ce bébé, que pourrait-il lui apporter ? Elle n'a pas la maturité d'une mÚre...

Au bout de quelques instants, qui paraissent à Emmanuelle et à ses deux sƓurs interminables, Brigitte prend sa fille dans ses bras.

- Ma chĂšre petite fille, ne t'inquiĂšte pas, je suis avec toi, je vais t'accompagner dans cette Ă©preuve, du mieux que je peux, finit par prononcer Brigitte

Ses yeux sont toutefois aussi rougis par l'Ă©motion que ceux d'Emmanuelle.

Sylvie se rapproche Ă  cet instant d'elles et se mĂȘle Ă  leur Ă©treinte.

BientÎt, Christelle les rejoint et c'est dans ce transport d'émotions affectives que les quatre femmes de la maison soudent un peu plus le lien de leur sensibilité.

Les jours qui suivent ne se jouent pas sur la mĂȘme octave.

Ayant compris que le géniteur de ce bébé ne prendrait pas ses responsabilités, Brigitte essaie d'influencer sa fille de ne pas garder l'enfant, ses huit semaines de grossesse permettent encore la solution de l'avortement.

C'est à nouveau dans la cuisine que se déroule cette conversation, Brigitte est en train de préparer un pot-au-feu. Elle a, à dessein, demandé à Emmanuelle de venir l'aider.

- Tu sais, ma chérie, je me suis renseignée et j'ai appris que tu as encore le temps de recourir à l'IVG.

L'adolescente jette violemment sur la table le navet qu'elle a dans les mains et fait face Ă  sa mĂšre.

- Il est hors de question que je tue cet enfant, s'emballe-t-elle. Je dois et je vais prendre mes responsabilitĂ©s ! Je ne te permets pas de me dicter ce que j'ai Ă  faire, c'est mon enfant, c'est ma vie ! Emmanuelle s'est exprimĂ©e fougueusement face Ă  sa mĂšre. Celle-ci a, depuis quelque temps, du mal Ă  reconnaitre sa douce et gentille Emmanuelle, comme si elle n'avait acceptĂ© sa grossesse qu'Ă  partir du jour oĂč sa mĂšre l'a su, et que depuis, elle laisse libre cours Ă  ses sautes d'humeur, sa colĂšre, la tenant, en apparence, pour responsable de son Ă©tat.

Brigitte met cette attitude sur le dos du chamboulement hormonal qui est en train de s'opérer dans le corps de sa petite fille.

- Emmanuelle, répond calmement Brigitte, ton état aussi perturbant soit-il pour toi ne te donne en rien le droit de me parler ainsi. Si tu ne souhaites pas avorter, trÚs bien, c'est ton choix, tu as raison, c'est ta vie. Mais réfléchis un peu, quelle vie ? Quel avenir pour toi et cet enfant ? Tu es en classe de seconde, encore deux années avant d'obtenir ton BAC. Que vas-tu offrir comme vie à ce bébé ? Ne perds pas de vue que si tu n'as pas de diplÎme, tu n'auras pas un bon travail et donc ce ne sera que précarité pour vous deux.

Emmanuelle se rend compte de son attitude injustifiée envers sa maman et vient se blottir dans ses bras en lui demandant pardon, de grands sanglots déversent leur torrent de larmes salées jusqu'à leurs lÚvres.

Tout comme elles couleront pour elle tous les jours de cette grossesse, et mĂȘme au-delĂ ...

- Je suis désolée maman et je sais que tu as raison, mais tu verras, je vais m'en sortir, je vais nous préparer une jolie vie à cet enfant et à moi.

- Je te le souhaite sincÚrement, ma chérie.

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