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La femme Ă©cartelĂ©e: Les enquĂȘtes de Marc Deauville

La femme Ă©cartelĂ©e: Les enquĂȘtes de Marc Deauville

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Chapitres

Un homme promĂšne son chien dans une rĂ©serve naturelle. L'animal, lĂąchĂ© pendant deux minutes, rapporte Ă  son maĂźtre un cadeau inquiĂ©tant. Il s'agit d'une main, une main de femme ! Ce sera le point de dĂ©part d'une nouvelle enquĂȘte pour l'Ă©quipe du commissaire adjoint Marc Deauville. La premiĂšre difficultĂ© consistera Ă  identifier la victime. La recherche de suspects sera ensuite entravĂ©e par l'intervention intempestive du monde politique. Pourquoi cherche-t-on Ă  mettre des bĂątons dans les roues des enquĂȘteurs ? Toutes ces interfĂ©rences les empĂȘcheront-elles de trouver le coupable de ce crime particuliĂšrement ignoble ? DĂ©couvrez-le en lisant ce cinquiĂšme polar dans la sĂ©rie des EnquĂȘtes de Marc Deauville. À PROPOS DE L'AUTEUR D'origine britannique, John Ray est parfaitement bilingue, il lit et Ă©crit depuis toujours en français et en anglais. Il signe, avec La femme Ă©cartelĂ©e, son cinquiĂšme roman de la sĂ©rie des EnquĂȘtes de Marc Deauville.

Chapitre 1 No.1

Chapitre1Mais oĂč sont les neiges d'antan?

Lundi 31 janvier 2022

Je suis au volant de mon vĂ©hicule de service sur la nationale qui mĂšne vers Maurigny. Je m'Ă©tonne de la clĂ©mence de la mĂ©tĂ©o durant ce mois qui est traditionnellement le plus froid de l'annĂ©e. À part deux ou trois matinĂ©es qui ont vu les prairies se couvrir d'un Ă©tincelant manteau de givre, on ne peut pas parler d'un temps hivernal. Ce matin, d'ailleurs, un soleil Ă©blouissant, Ă  peine levĂ©, me rĂ©chauffe dĂ©jĂ  le visage.

Sabine, mon Ă©pouse, a dĂ©posĂ© notre fille Erica Ă  l'arrĂȘt de bus. De lĂ , cette derniĂšre a rejoint son Ă©cole au centre de notre ville de 92 000 habitants. Erica a dix-sept ans et aura bientĂŽt terminĂ© son parcours scolaire obligatoire. Il lui restera Ă  dĂ©terminer l'orientation qu'elle voudra donner Ă  ses Ă©tudes. Comme beaucoup de jeunes de son Ăąge, elle n'a pas encore tranchĂ©. En fait, elle n'en a aucune idĂ©e. Sabine et moi, nous nous faisons plus de soucis qu'elle. Nous aimerions qu'elle se dĂ©cide mais, hormis les quelques rĂ©ponses humoristiques qu'elle a daignĂ© nous donner (Ă©boueuse, stripteaseuse, inspectrice de travaux finis), elle ne semble pas s'Ă©mouvoir outre mesure de son manque de proactivitĂ©. Cela dit, nous savons qu'elle a les capacitĂ©s nĂ©cessaires pour entreprendre des Ă©tudes supĂ©rieures, quel que soit le domaine qu'elle choisira. Hier soir, pour se dĂ©barrasser de mes questions insistantes Ă  ce sujet, elle m'a dit qu'elle songeait sĂ©rieusement Ă  s'inscrire Ă  l'Ă©cole du cirque. « Je me verrais bien en clown », a-t-elle dit. Cela avec l'air le plus sĂ©rieux qui soit, jusqu'Ă  ce qu'elle Ă©clate de rire quelques secondes plus tard. Je ne peux m'empĂȘcher de sourire, seul au volant, en pensant Ă  son sens de la rĂ©partie. C'est vrai qu'elle pourrait faire carriĂšre sous les chapiteaux. Ou sur la scĂšne, micro en main, devant un public alcoolisĂ©, friand d'histoires drĂŽles.

AprÚs avoir déposé Erica, Sabine a rejoint son école primaire dans notre hameau de Villers. Nous nous y sommes installés il y a quelques années en prévision de l'arrivée de notre unique progéniture. Je n'ose penser à notre état mental si nous avions donné vie à d'autres héritiers semblables à elle. Nous l'adorons mais son éternel bavardage nous donne souvent l'envie de l'étrangler.

Notre maison est une modeste villa situĂ©e au bout d'une petite route bordĂ©e d'habitations coquettes oĂč personne ne connaĂźt personne, malgrĂ© la proximitĂ©. Nous avions, jusqu'il y a peu, une chienne qui devait faire office de gardienne. Elle n'a jamais rempli son contrat tacite mais nous avons regrettĂ© sa douce prĂ©sence quand, il y a quelques mois, elle a rejoint le paradis des corniauds. Depuis lors, CerbĂšre (le nom dont nous avions affublĂ© cette pauvre bĂȘte) a Ă©tĂ© remplacĂ©e par une chatte. Sashimi possĂšde une belle robe noir et blanc et serait probablement mieux Ă  mĂȘme de nous dĂ©fendre contre un Ă©ventuel intrus.

Sabine est donc institutrice dans l'unique école du village. Elle donne cours aux enfants de 9 à 12 ans. Une collÚgue s'occupe des plus petits. Son métier lui plaßt, bien qu'elle rentre souvent plus épuisée que moi.

Je suis commissaire adjoint au poste de police vers lequel je me dirige. Les premiers bĂątiments de la ville apparaissent au sortir de la forĂȘt qui la borde du cĂŽtĂ© sud. Je mets gĂ©nĂ©ralement une vingtaine de minutes pour rejoindre mon lieu de travail. Je dĂ©passe Ă  prĂ©sent l'hĂŽpital de Maurigny et, quelques centaines de mĂštres plus loin, je tourne Ă  droite vers notre parking. Un agent me salue avant de lever la barriĂšre. Je me gare sur mon emplacement rĂ©servĂ©, je sors ma serviette du coffre et je jette une gabardine sur mon avant-bras avant de me diriger vers l'accueil. Je porte le complet veston, la chemise et la cravate qui constituent mon uniforme informel.

À la permanence, un autre agent me salue de la tĂȘte. J'arrive chez Alexandra, notre secrĂ©taire, chargĂ©e de relations publiques et femme Ă  tout faire. Celle-ci est d'Ăąge mĂ»r, toujours impeccablement habillĂ©e de gris, ses tenues assorties Ă  la couleur de sa chevelure attachĂ©e en chignon. Elle a toujours un sourire aux lĂšvres. Elle a pris l'habitude, depuis peu, de les souligner d'un soupçon de rouge. C'est la seule touche de couleur qu'elle s'accorde, si on excepte un foulard indien que son neveu lui a offert et qu'elle se noue autour du cou

« Bonjour, commissaire. Comment allez-vous ? »

« TrÚs bien, Alex. Merci. »

Je suis prĂȘt Ă  poursuivre mon chemin quand j'ai une hĂ©sitation.

« Est-ce que je décÚle une petite étincelle dans vos iris ou est-ce mon imagination qui me joue des tours ? »

Elle se met Ă  rougir.

« Vous voyez jusqu'au fond de mon Ăąme, Marc. J'aurai peut-ĂȘtre des choses Ă  vous avouer d'ici quelques jours mais je ne veux pas tenter le sort. »

Une de ses joues est devenue écarlate. Je ne vais pas l'asticoter plus que nécessaire.

« D'accord. Je croise les doigts pour vous. »

J'utilise ma main libre pour joindre le geste Ă  la parole.

ArrivĂ© Ă  mon bureau, je passe, par superstition, l'index sur la plaque de cuivre qui en surmonte la porte. Il y est Ă©crit « Marc Deauville, Commissaire Adjoint ». Je dĂ©pose ma serviette sur la table et j'accroche ma gabardine au portemanteau. Je passe rapidement Ă  la petite salle de bains attenante pour vĂ©rifier mon aspect dans le miroir. Je vois que je n'ai pas oubliĂ© de me raser et qu'aucun grain de muesli n'est restĂ© coincĂ© entre mes dents. J'en profite pour me vaporiser un peu d'eau de toilette. J'essaie toujours de soigner ma prĂ©sentation bien que les individus auxquels je suis gĂ©nĂ©ralement confrontĂ© y soient peu sensibles. À 46 ans, des rides discrĂštes commencent Ă  marquer mon visage et quelques cheveux gris ont fait une apparition non sollicitĂ©e. Ma silhouette est entretenue par un rĂ©gime sportif rĂ©gulier et l'ensemble n'est pas trop dĂ©cevant. C'est, en tout cas, ce que je me plais Ă  penser. Erica abonde d'ailleurs dans mon sens. Elle m'a dit rĂ©cemment :

« Certaines de mes camarades de classe te trouvent du charme malgré ton ùge trÚs avancé », avant d'ajouter : « Leur point commun, c'est qu'elles sont myopes. »

Je suis occupé à examiner les rapports que m'ont transmis les agents et mes inspecteurs quand un de ces derniers frappe pour annoncer son arrivée. André Lefebvre vient me saluer. Il est grand et mince et sa silhouette remplit l'encadrement de la porte. Un nez aquilin donne à son visage toute sa personnalité tandis qu'une mÚche de cheveux bruns lui cache immanquablement l'un ou l'autre de ses yeux.

« Hello, boss. Je viens vous donner un rapide update de mes activités. »

Abreuvé de feuilletons télévisés américains, il affecte des expressions tirées tout droit des scénarios ampoulés de Hollywood.

« Prends place, André. »

Nous sommes proches dans la vie mais nos rapports professionnels sont empreints de formalisme. Je le tutoie mais il me vouvoie.

« Tu veux un café ? »

« Volontiers. »

J'utilise la machine à capsules que j'ai acquise récemment pour nous préparer un expresso et un cappuccino. Pendant que nous sirotons nos breuvages parfumés, je lui demande :

« OĂč en es-tu dans l'enquĂȘte sur les pots-de-vin dont tu m'as parlĂ© il y a quelques jours ? »

Il a l'air dubitatif.

« Nous avons reçu un message anonyme envoyĂ© d'un tĂ©lĂ©phone intraçable signalant que des sommes importantes auraient Ă©tĂ© versĂ©es, ou seraient sur le point de l'ĂȘtre, Ă  des Ă©diles de la Ville de Maurigny. Cela concerne l'adjudication d'un immense chantier mais les accusations sont trĂšs vagues. Ni les noms des entreprises ni ceux d'Ă©ventuels corrompus ne sont mentionnĂ©s. Le "whistle blower" a dit qu'il reprendrait contact. »

« Cela concerne-t-il le marché pour la construction du nouveau centre commercial ? »

« Oui. Pour un méga-shopping center ici, à la périphérie. »

« Ce n'est pas encore passé de mode, cette sorte d'entreprise ? »

« Les promoteurs disent qu'il existe une importante clientÚle potentielle dans la région. Le centre ne souffrirait pas d'une grande concurrence car ce serait le seul du genre dans un rayon de trente kilomÚtres. »

« Nous parlons d'un chantier de plusieurs dizaines de millions ? »

Lefebvre a un grand sourire.

« Disons plutÎt quelques centaines de millions. Un soumissionnaire véreux pourrait se permettre d'offrir de beaux dessous-de-table et s'y retrouver largement. »

« Je suppose que tu n'es plus directement impliquĂ© dans l'enquĂȘte. »

« Non, cela dépasse largement mes compétences. J'ai confié la suite des investigations à notre jeune collÚgue Loïc Laurent. Il possÚde un diplÎme de comptabilité et me tiendra au courant, s'il y a lieu. Il utilisera un langage simple si nécessaire pour j'aie une petite chance de comprendre. Cela dit, il n'y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Nous attendons d'autres précisions de l'informateur mais, jusqu'à présent, nous sommes trÚs loin d'une inculpation. »

« Quand l'adjudication sera-t-elle entérinée ? »

« AprÚs un conseil de la Ville de Maurigny, dans quelques mois, qui doit approuver les contrats car de l'argent public sera injecté dans le projet. »

« Le chantier démarre dans combien de temps ? »

« Dans un an. Il y a donc des possibilités de recours avant que tout devienne définitif. »

« Et dÚs qu'on saura s'il y a eu ou non des malversations. »

« Oui. »

Il soupire avant d'ajouter :

« En l'absence d'autres informations, il ne se passera rien. Si les dessous-de-table se font à l'ancienne, dans des enveloppes scellées, on pourra difficilement trouver des preuves. »

Nous sommes interrompus par Alexandra qui passe la tĂȘte par la porte.

« Excusez-moi, messieurs. Le commissaire Charles aimerait voir M. Deauville. »

« Merci, Alex. J'arrive tout de suite. »

Lefebvre me dit :

« Je m'occupe d'autres dossiers, boss. S'il y a du neuf concernant ce dont on vient de parler, je vous contacte. »

Il me serre la main avant de rejoindre le local qu'il partage avec plusieurs de ses collĂšgues. J'arrive chez le commissaire qui m'invite Ă  entrer.

« Bonjour, Deauville. Prenez place. »

Son bureau est spartiate. Une seule image est appliquĂ©e sur le mur derriĂšre lui. C'est une reproduction du trop cĂ©lĂšbre « Baiser » de Klimt. Une canne Ă  pĂȘche repose dans un coin, toujours prĂȘte Ă  l'emploi car la SauliĂšre, la riviĂšre qui traverse la ville, est toute proche. Sur son meuble de bureau se trouvent un ordinateur, un moniteur et un cadre tournĂ© vers lui. Je sais que ce dernier affiche une photo de ses deux fils. Son Ă©pouse n'a apparemment pas Ă©tĂ© jugĂ©e digne d'y figurer. ArrivĂ© en fin de carriĂšre, il ne se rend sur le terrain que s'il s'y sent obligĂ©. Il se contente d'un rĂŽle de supervision mais ses conseils et ses intuitions nous sont souvent d'une aide prĂ©cieuse. Il a le flair pour distinguer les affaires importantes des autres et pour demander des devoirs d'enquĂȘte complĂ©mentaires Ă  propos d'incidents Ă  premiĂšre vue anodins. Assis dans son fauteuil, il paraĂźt encore plus petit qu'en rĂ©alitĂ©. Il est rond, a des joues et le nez couperosĂ©s et le front agrandi par une calvitie agressive. Son regard intelligent semble animĂ© par un sentiment inhabituel. Serait-ce de l'amusement ? Il me fait languir en parlant de banalitĂ©s avant d'en arriver Ă  l'essentiel.

« Deauville, j'ai pris une décision importante. »

Il regarde ses mains croisées avant de poursuivre.

« Je vais rentrer mes papiers dans quelques jours. Je prendrai ma retraite dans les prochaines semaines. Probablement Ă  la fin du printemps. Mes enfants m'ont dĂ©jĂ  promis un voyage lointain l'Ă©tĂ© prochain pour fĂȘter cela. »

Il me regarde dans les yeux pour voir ma réaction. Je l'ai rarement vu aussi détendu, aussi serein.

Je devine de quoi il s'agit.

« La pĂȘche au saumon en Alaska, patron ? »

« Bravo, Deauville. Presque. Un sĂ©jour d'un mois en Colombie-Britannique. On nous dĂ©posera en hydravion sur un lac. Nous logerons dans une version moderne de ma cabane au Canada. Nos voisins seront d'autres pĂȘcheurs invĂ©tĂ©rĂ©s qui pourront nous Ă©clairer sur la pĂȘche au saumon et Ă  la truite. »

« Vous mangerez tout le poisson que vous prendrez ? »

Il ricane.

« Non, je déteste le poisson. Mes fils, par contre, pourraient en manger tous les jours. Les congélateurs seront garnis de piÚces de viande que je placerai à cÎté des rainbows et autres cutthroats sur la grille du barbecue. Nous serons ravitaillés réguliÚrement pendant le séjour. Ce sera vraiment paradisiaque. Et vous savez quoi, Deauville ? »

Ses yeux pétillent encore davantage.

« Votre épouse a décidé de vous laisser entre garçons ? »

« Exact ! Vous ĂȘtes vraiment un policier d'exception. »

Il se met à rire à gorge déployée. Je pressens ce qu'il va me dire à présent. Il redevient sérieux. J'ai bien deviné

« Je ne vois qu'une personne pour me succĂ©der. Celle qui est face Ă  moi. Vous avez dĂ©montrĂ© des qualitĂ©s extraordinaires de discernement, de perspicacitĂ© et d'ouverture d'esprit. Vous avez l'instinct nĂ©cessaire Ă  la rĂ©solution des crimes dont vous vous occupez. Vous avez su obtenir le maximum de vos partenaires en les motivant et en en faisant une Ă©quipe soudĂ©e et solidaire. Votre diplĂŽme de criminologie tout neuf est un atout important. À cela s'ajoutent vos qualitĂ©s humaines d'empathie et de comprĂ©hension. Vous serez parfait dans votre rĂŽle de chef de la police de Maurigny. Vous serez commissaire, en attendant mieux encore. »

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