Chapitre I
Le marbre noir du palais de Santa Bellaria résonnait d'un calme étrange, comme si la pierre elle-même retenait son souffle. Dans les couloirs tendus de silence, seuls les pas pressés des domestiques troublaient la perfection glacée des lieux. L'aube n'était pas encore levée, mais déjà les dorures étincelaient à la lueur vacillante des chandeliers, comme si elles attendaient qu'on les regarde, qu'on les admire, qu'on les vénère.
Serena Falco s'agenouilla près de la corniche du grand escalier central. Son seau d'eau tiède à la main, elle frottait avec énergie les rainures d'une rampe sculptée en forme de serpent d'or. Chaque matin, à l'aube, avant que la noblesse ne daigne ouvrir les yeux, elle nettoyait ce même escalier. Toujours ce même rituel. Elle n'aimait pas cet endroit. Il donnait sur la grande galerie des portraits, le lieu le plus visité par les invités du royaume. Elle le nettoyait comme on nettoie une scène de théâtre, avec la certitude qu'elle ne jouerait jamais dessus.
Les nobles ne regardaient jamais les servantes, sauf pour leur ordonner de disparaître. C'était ainsi. On les formait à l'obéissance, à l'invisibilité. On les appelait "les mains du silence". Et Serena excellait dans ce rôle, du moins en apparence. Car derrière ses gestes précis et son regard baissé, elle pensait. Elle se souvenait. Elle rêvait.
Elle se redressa, essuya une mèche de cheveux noirs collée à sa tempe, puis reprit sa tâche, le dos droit, les doigts rougis par l'eau et le savon. Au fond du couloir, elle savait que madame Rosetta, la gouvernante en chef, rôdait comme une ombre, prête à la réprimander pour un coin oublié ou une trace persistante. Mais ce matin-là, Serena avait quelque chose de différent dans le regard : une tension sourde, presque électrique. On disait que le prince héritier revenait. Après six ans d'absence. Six ans de guerre, de diplomatie, d'éloignement volontaire.
Le palais bruissait de cette nouvelle depuis des jours. Les femmes de chambre en chuchotaient dans les cuisines, les valets rectifiaient les angles des coussins avec une rigueur quasi militaire, et même les jardiniers, dans la cour intérieure, prenaient soin de faire resplendir les haies sculptées comme si l'univers entier allait soudain poser les yeux sur Valdirosa.
Serena, elle, ne connaissait Lorenzo di Valente que par les récits. Elle avait onze ans quand il était parti, en uniforme, droit et impassible. On disait qu'il avait le regard du roi son père - un regard de pierre, de ceux qui jugent et condamnent sans émotion. Depuis, le roi était mort, et c'était désormais lui, Lorenzo, que l'on attendait pour porter la couronne. La reine mère, Adelaïde, ne parlait plus en public. Le cardinal Ornani, lui, gouvernait dans l'ombre, en attendant le retour du fils prodigue.
Serena n'aimait pas ces hommes aux robes longues, ces nobles qui traversaient les salons sans un regard pour ceux qui leur versaient le vin. Elle les avait vus enterrer son père sans mot, sans pardon, sans justice. Ils lui avaient tout pris. Depuis, elle travaillait pour sauver Tomaso. Son petit frère. Seule chose précieuse dans sa vie brisée.
Elle rangea son chiffon, vida le seau dans la grille d'évacuation, et se dirigea vers la galerie des portraits pour épousseter les cadres. À cette heure, personne ne venait encore là. Les torches vacillaient sur les visages peints des anciens rois et reines, leurs yeux figés suivant chaque mouvement comme un rappel constant de l'ordre établi. Elle monta sur le petit escabeau, leva la main, et effleura le cadre du roi Vitale II, le père de Lorenzo.
Un bruit de pas la fit se figer.
Des pas lourds, assurés, mais non pressés. Pas ceux d'un domestique, ni d'un garde. Quelqu'un d'autre. Elle redescendit doucement, sans bruit. Une silhouette se dessina dans la lumière du fond de la galerie. Haute, vêtue d'un manteau de voyage sombre, le col relevé, les cheveux sombres coiffés en arrière. Il avançait sans hésiter, ses bottes heurtant le sol comme un métronome de commandement.
Serena recula d'un pas, baissa les yeux.
Il s'arrêta. Juste devant elle.
- Vous avez réveillé les rois, dit-il doucement.
Elle osa relever les yeux. Il n'était pas comme elle l'avait imaginé. Son visage était plus dur que dans les portraits, mais ses yeux... ses yeux étaient d'une clarté inhabituelle. Un gris presque argenté, traversé d'ombres.
- Pardonnez-moi, Altesse, dit-elle, la voix basse.
Il pencha la tête, sans sourire.
- Je ne voulais pas vous interrompre. Continuez.
Elle baissa à nouveau les yeux, mais ses doigts tremblaient. Il ne bougea pas. Il la regardait, comme si elle était un mystère à résoudre. Comme si, pour une fois, une servante n'était pas un décor.
Puis il se détourna, marcha quelques pas, s'arrêta devant le portrait de son père.
- Il aimait cet endroit, murmura-t-il.
Elle ne sut quoi répondre. Elle s'inclina à nouveau, fit mine de partir.
- Quel est votre nom ? demanda-t-il soudain.
Elle se figea.
- Serena. Serena Falco.
Il répéta son nom doucement, comme on goûte un fruit inconnu.
- Falco. Un nom de rapace.
Elle sentit son cœur se resserrer. Elle n'aimait pas ce nom. Trop de souvenirs, trop de douleur.
- Oui, Altesse, dit-elle simplement.
Il hocha la tête. Puis, sans autre mot, il s'éloigna dans l'ombre du couloir.
Quand elle se retrouva seule, Serena réalisa qu'elle n'avait pas respiré pendant toute leur conversation. Elle posa une main sur sa poitrine. Son cœur battait trop vite. Ce n'était rien. Juste un échange.
Et pourtant, quelque chose venait de changer.
Dans un royaume figé, une faille venait de s'ouvrir.
Très bien. Voici le Chapitre 2, toujours dans un style riche, dense, détaillé et sans transition narrative. On entre plus profondément dans les jeux de pouvoir du palais, dans les pensées de Lorenzo, et les premiers fils de ce qui deviendra une tragédie inévitable.
---
Chapitre II
La lumière du matin filtrait à travers les hautes fenêtres du palais, tamisée par les voilages de soie blanche que les servantes avaient tirés à l'aube. Dans l'antichambre du conseil royal, tout était calme, presque trop calme. Chaque chose semblait figée dans une perfection oppressante, comme si la moindre erreur, le moindre pli sur un coussin, pouvait déclencher la colère des anciens dieux. C'était là que Lorenzo di Valente attendait.
Il se tenait debout, les mains croisées dans le dos, son manteau sombre abandonné à l'entrée. Sa tenue de velours noir, sobre mais impeccablement taillée, soulignait la silhouette droite et les épaules tendues du prince héritier. Il avait retiré ses gants et jouait nerveusement avec l'anneau de la maison di Valente, une pièce d'argent ornée d'une tête de lion.