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Chapitres

Le royaume de Dragorfia se prépare à connaître sa plus terrible guerre. Jorres, intendant au service du roi, et Ravanchuck, simple marchand, auront l'avenir de l'humanité entre leurs mains. Qui l'emportera dans ce bain de sang macabre, entre les blanches forces du royaume et les hordes barbares du Diable? Mystère, mais ça vaudra son pesant d'os...

Chapitre 1 Sale affaire (Jorres)

Je sirotais tranquillement mon vin, un excellent nectar des îles de Djer. Fruité, doux et quelque peu acidulé…un délice ! Il ne manquait plus que ma pipe, bourrée d’une de ces exquises herbes orientales, et je serais le plus heureux des hommes.

De temps à autres, je levai tranquillement les yeux de ma coupe, contemplant ma loggia, ma somptueuse loggia. Un feu chaleureux crépitait dans l’âtre, éclairant les tapisseries, les fenêtres à guillotines, les divers bibelots et le plafond où pendaient des draperies de couleurs vives, que je m’étais dégoté à bon prix lors d'un voyage à Cilneros. Une magnifique île, où on pouvait se payer un palais tout incrusté de pierreries pour le prix d'une taie d’oreiller…

Toc toctoc. Des coups à la porte me sortirent de mes rêveries. Toc toctoc. Je posai ma coupe sur une table basse, et réajustai le col de ma tunique. « Entrez. » Les gonds grincèrent doucement, et un courant d'air froid pénétra dans la pièce, faisant trembloter les flammes. Un jeune page attendait sur le seuil, visiblement impressionné. Il était habillé d'une tunique blanche et pourpre, et le chapeau à plumes de sa fonction coiffait sa tête de jeune homme de quinze ans.

« M…messire, le…le roi vous demande.

-Si tard ! Souhaiterait-il que je lui fasse son lit ? »

La plaisanterie ne fit même pas sourire le gamin, qui se contenta de tripoter ses manches avec gaucherie, les lèvres tremblotantes.

« N…non, messire. Je…tout les conseillers de son excellence étaient réunis avec lui, quand il m…m'a envoyé vous chercher. Une affaire qui doit être réglée sur le champ, selon ses dires.

-Bon, très bien. Allons donc voir ce qui tracasse tant sa majesté. Son ragoût qui était trop froid, je paries. »

Je me levai avec tact, lissant les plies de mon manteau en laine blanche, et sortis à la suite du jeune page. Après m’avoir jeté un rapide coup d’œil par-dessus son épaule, il adopta une marche rapide, énervant un chat tout ébouriffé qui passait par là. Je le suivis tant bien que mal, grelottant à cause du froid mordant qui s'infiltrait par les meurtrières du couloir. Nous montâmes un escalier, prîmes à gauche, tournâmes à droite, traversâmes deux ou trois cours… Je respirais comme un taureau, la tête me faisait mal à cause de la gueule de bois, et je manquais par deux ou trois fois de tomber à la renverse. Que n'aimerais-je être encore dans ma loggia, à siroter mon vin et à feuilleter les pages d'un bon livre… Et puis, mais où allions-nous, au juste ?

« Je n'y comprends plus rien ! Les appartements du roi sont mille fois plus en bas !

-Il…il vous attend dans la Salle Céleste, messire. »

La Salle Céleste ? Je faillis crier que c’était impossible, mais les bonnes manières l’emportèrent sur moi. La Salle Céleste, sérieusement ? Voilà une bonne décennie que le grand Théobald préférait sa suite douillette à sa grande salle de réunion, après que le guérisseur royal lui eût conseillé d’éviter les escaliers pour soigner son mal de dos. Que diable allait-t-il donc fabriquer là bas ? Et si…et si l’affaire de la réunion était donc vraiment sérieuse ?

La chaleur me monta à la tête, et mes pensées se brouillèrent. J'accélérai quand même pas, et le page en fit autant. Deux autres escaliers, deux ou trois interminables couloirs, et nous arrivâmes enfin devant la porte close de la fameuse Salle Céleste. Dix chevaliers de haute naissance montaient la garde, les visages durs et peu aimables. Un vieillard miteux et habillé de braies usée par le voyage se tenait entre eux. Qui était-il, je n’en savais fichtrement rien.

Quand ils me virent, l'un deux m'ouvrit un battant de la porte. Après avoir glissé un Baron de Bronze dans la main du page, je pénétrai seul dans la salle.

Une grand table ronde était dressée, en un chêne aussi vieux et solide que le royaume. Y étaient assis le roi, vieux et rouillé, ainsi que Bald, grand doyen de la guilde des savants, Théodore, le plus jeune fils de sa majesté, Sir Carney, chef de la garde, Balthazar Seltre, grand trésorier, et tant d’autres, seigneurs et richards, et même ce bon vieux Père Garof, l'un des Hauts Pères, grands serviteurs du dieu soleil, avec sa robe jaune et éclatante. Tous formaient le grand conseil d'Inberg, chargés des affaires de la capitale et du royaume.

En me voyant, le roi adopta un modeste sourire, visiblement soulagé. « Messire Jorres, vous voilà enfin. Un intendant se devrait d’être ponctuel, mais voilà que vous feignez à la règle. Prenez place, nous avons assez attendu. »

Après une rapide révérence, je m'assis entre Luther-le-vif, seigneur de Port-Traverse, et un certain Ichbel Raalios, grand marchand et allié du royaume. L'un puait la sueur et l’humidité, l’autre empestait la fleur d’oranger et l’essence de lilas. Trop laissé allé sur ses flacons de beauté, apparemment...

« Messires, messieurs, messers, que la séance commence enfin. » Lança solennellement le roi. Il se racla la gorge, toussota, prit un bon souffle, et adopta une posture royale et ferme.

« Autant le dire tout de suite, nous sommes en danger de guerre ! »

Un silence choqué régna dans la salle, laissant vite place aux cris et aux chuchotements. Raalios se mit à prier un de ses dieux exotiques, tandis que Lothar-le-vif marmonna que c’était sûrement la faute des migrants.

« Messires, messires, silence ! » Le roi parcourut la salle de son regard sévère, et les voix se turent instantanément.

« Très bien. Messires. Accueillons maintenant Albert, de la ferme de la gadoue, qui vient d’arriver d'un long voyage de Loscarf. Il m'a aussitôt demandé audience, et les propos qu’il a tenu méritent d’être répété en cette assemblée.» Il rafla une grosse clochette, posée devant lui, qu'il fît sonner fortement. La porte s’ouvrit alors, et le vieillard que j’avais vu à l’entrée pénétra précautionneusement. Tout les regards étaient rivés sur lui, et quand le battant fut refermé, le roi prit parole : « Albert, de la ferme de la gadoue, veillez nous donner votre témoignage. »

Le vieillard prit une profonde et longue inspiration, avant de parler d'une voix confiante et assurée : « Bon, bah voilà. J’étais encore à Loscarf, quand ça s'est passé. Un matin, six cavaliers étaient arrivés, tout drapés de noir et les têtes fourrées dans des capes qui laissaient rien voir. C’est quant y z'ont mis leurs pieds à Loscarf que çà a commencé tourner pas rond. En quelques jours, z'avaient rallié toute la racaille, ‘chais pas trop comment. Z'ont commencé alors à réquisitionner tous les vivres, toutes les récoltes. Des gens disparaissaient, probab'ment jetés dans quelque cul-de-basse-fosse parc’qu'ils voulaient pas les laisser faire. Chaque nuit, ces six couillons déguisés en ‘chais pas quel corbeau dressaient un bûcher, un gros gros bûcher, et ils y lançaient des…des…des bébés et des très jeunes gamins. Il faisait alors un froid d'canard, et ils commençaient à chanter leur chanson ou ‘chais pas trop quoi au coin du feu. Apparemment qu'ça les rendait plus forts, car le lendemain, ils ralliaient de plus en plus de gens. La ville était bouclée, personne pouvait entrer ou sortir. Ils f'saient des barricades, des murs en terre et en pieux, et ceux qu'ils avaient rallié, ils les armaient de bâtons, de matraques, quelques épées pour les plus chanceux, et ils s’entraînaient, s’entraînaient, toute la nuit, tout les jours. On m’a chassé d'ma ferme, et on m'a donné un marteau, pour fracasser les os des ennemis du Diable, selon leurs dires. Leur marteau, j'men suis servi pour me creuser un trou dans leur foutue barricade, hé hé. Z’étaient pas encore au courant d'mon évasion que j’étais déjà en route pour Inberg, pour avertir sa majesté du danger, car c’est vraiment quelque chose d’pas normal du tout, et je sais c’dont j'parle ! Y'a un mois ou deux que je m’suis enfuit, qui sait c’qu'y z'auraient pu faire depuis. Faut faire que’que chose, j'vous dit. J'ai laissé ma femme et mes gosses là-bas, ‘chais pas ce qui leur est arrivé. »

Il se tut alors, et un silence profond régna dans la salle. Dites-donc, les choses ne tournaient vraiment pas rond…sale affaire, sale sale affaire…

Le roi, satisfait, brisa enfin le silence : « Albert, je vous remercie pour votre témoignage et votre long voyage, qui aura permis, je l’espère, de sauver des vies. Un page vous accompagnera à une coquette chambre, pour vous restaurer et piquer un bon somme. Je vous récompenserai comme prévu, quand j'en aurait fini avec cette affaire. »

Le fermier s’agenouilla maladroitement, avant de se relever et de sortir de la salle. Quand la porte fut refermé pour la énième fois, Bald, le grand doyen, prit aussitôt parole, accompagnant sa voix raillé de ses si excentriques gestes de mains : « Votre majesté, messires, cet Albert de la ferme je ne sais quoi ne m'a nullement convaincu. En sciences, avant d’arriver à toute conclusion, il faut des preuves. Même chose pour les affaires du royaume, et cet Albert n'en a nullement, des preuves. »

Ses paroles entraînèrent quelques chuchotements affirmatifs, mais moi, je ne me contenterais pas de chuchoter…

« Bald, je vous contredis sur ce point. Cet Albert n'a certes pas de preuves, mais son récit est tout à fait concordant avec nos propres informations. Voilà deux mois que nous n’avons plus de nouvelles du gouverneur du Nord Rocailleux, qui rappelons le, réside à Loscarf. Nous avons pensé que ce n’était autre qu’un habituel problème survenu durant le vol. Les canaris messagers sont la proie des rapaces, comme vous le savez si bien. Mais après avoir entendu le récit de ce fermier, je pense que notre bon vieux gouverneur était plus occupé à sauver sa peau qu’à répondre à son courrier. »

Cette fois, la majorité de l’assemblée exprima son soutien, et le roi fit oui de sa tête : « C'est ce que je pense aussi, messire Jorres. Bon, maintenant que nous sommes tous, ou presque, convenus sur la fiabilité du témoignage, nous devons prendre des mesures, urgentes et sans délais ! »

-Si vous avez besoin d’hommes, je me ferai une joie de sélectionner pour vous les plus fines lames d'Inberg, lança Sir Cartney. Cette vulgaire meute de barbares n'aura qu’à poser les armes devant une troupe ordonnée et disciplinée de vrais hommes d’armes !

-J'y comptes bien, Sir Carney. Loscarf compte trente-mille habitants, dont les trois-quarts sont des femmes, des enfants ou des vieillards. Admettons que les sept-mille restants prennent tous part aux hostilités, je pense que huit milles épées seront largement suffisantes. Prenez donc ceux casernés à Port-Traverse, avec quelques centaines de nos preux d'Inberg. Qui proposez-vous pour conduire l’attaque ?

-Je le ferais moi-même, s'il plaît à votre majesté.

-Je ne pouvais pas espérer mieux. Vous êtes preux, preux et loyal, Sir Carney. Passez ces barbares au fil de l’épée, et il n'est pas impossible que vous gouverniez le Nord Rocailleux en mon nom, à la place de la vieille épave qui n'a même pas su maîtriser une poignée de pleutres.

-Trop aimable à vous, Sire. »

Voilà qui était bien en somme, mais cela n'est qu’une solution à court terme, m'est avis…

« Votre majesté, admettons que nous gagnions cette bataille. Que ferons nous après, quand d’autres engeances de la sorte monteront un semblable mauvais coup ailleurs ? Que feriez-vous, si c’est à Inberg que ça arrive, et que des hommes autrefois connus pour leur honneur tournaient leurs vestes au profit d’autres barbares qui agissent au nom du Diable ? Il faut nettoyer le royaume de ces sectes !

-Je suis du même avis, Sire, ajouta Père Garof. Le Diable est l’ennemi du fabuleux et miséricordieux dieux Soleil. Le Diable _que le miséricordieux nous protège de lui_ est la représentation même du mal et de la terreur. Et…selon des grimoires plus anciens que la royauté, les connivences avec le Diable seraient étroitement liés avec…avec l'art noir, autrement dit, la sorcellerie…C’est de notoriété publique, dans les rangs de la communauté des Pères. »

Ses paroles suscitèrent un bref silence, suivit d’éclats de rires et de ricanements. Moi-même je ne pus m’empêcher de sourire.

« La sorcellerie est un conte pour les bambins. » Ajouta Ichbel Raalios, avec son accent ridicule.

Le roi, quant à lui, garda un visage ferme et royal. Quand les rires cessèrent, il parla d'une voix profonde et haute : « J'ai beaucoup de respect pour Père Garof. C’est un homme pieux, qui ne joue pas avec l’honneur et l’honnêteté. S'il dit que les serviteurs du Diable constituent un danger pour les enfants du royaume, je pense que nous ne pouvons que saluer son avis qui mérite d’être écouté. Messire Jorres, Père Garof, je suis de votre avis. Ces sectes doivent être exterminés. Mais ce sera l’objet d’une autre réunion, plus restreinte. Vous devez être tous épuisés ; moi-même, mon lit me manque. Vous pouvez prendre congé. Sir Carney, restez quelques instants, ainsi que vous, messire Lothar, digne seigneur de Port-Traverse. Nous devons régler les derniers détails des troupes. Les autres, je vous souhaite une bonne et heureuse nuit. »

Je me levai alors, soulagé de la fin de la séance. Les portes s’ouvrirent, et je quittai enfin la salle céleste. Selyse, ma femme, devait être dans tout ses états. Elle me demandera un compte-rendu de tout ce qui s'est passé, comme d’habitude.

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