Lui, c'est l'homme que l'on ne retient pas. Il est beau, charismatique, insaisissable. Le plus invoqué, le plus désiré. Mais il n'aime pas les chaînes. Ni celles du mariage, ni celles de l'amour. Il préfère la nuit, la liberté, les plaisirs éphémères. Elle, c'est le silence qui prie. Une femme pieuse, droite, fidèle à ses convictions et à Dieu. Elle marche dans la lumière du jour, celle qui éclaire les âmes et impose la pudeur. Ils n'ont rien en commun. Lui, c'est l'ombre. Elle, c'est la clarté. Et pourtant... le destin, capricieux et joueur, a décidé de les lier. Ce mariage imposé n'est que le début d'une histoire rocambolesque, faite de conflits, de doutes, de regards brûlants et de silences pleins de sens. Une histoire où la haine du passé flirte avec les battements d'un avenir imprévu. Jusqu'à ce que la nuit tombe sur le jour... ou que le jour réveille la nuit.
Le cuir souple de ses mocassins épousait ses pas avec une précision presque arrogante. La montre suisse à son poignet clignotait doucement, reflet discret de son obsession du temps. Pas pour le gaspiller - pour le dominer. Abdoul Kabir Fall était déjà dans sa journée depuis cinq heures du matin.
Café noir. Pas de sucre. Deux écrans allumés devant lui, l'un affichant les chiffres des stocks, l'autre les messages codés de ses associés. La ville dormait encore. Lui, il signait des contrats. Il avait appris très jeune que la vie n'offrait rien. Qu'il fallait la forcer à plier. Alors il avait plié le monde à sa volonté. À trente-cinq ans, il dirigeait l'un des plus gros réseaux d'import-export du pays. Tout passait par ses entrepôts. Rien n'y entrait sans qu'il le sache. Et si quelqu'un tentait de le doubler, il apprenait vite pourquoi Abdoul Kabir Fall était craint autant qu'admiré.
- On enchaîne, Barkhane, disait-il en jetant un regard à son directeur logistique. Tu m'appelles ce type en France. Qu'il me débloque le conteneur. Aujourd'hui. Pas demain.
Il n'élevait jamais la voix. Il n'en avait pas besoin. Le ton suffisait. Net. Glacial. Précis. À midi, il sortait parfois de ses bureaux. Un déjeuner d'affaires, un sourire bien placé, un mot juste qui ouvrait toutes les portes. Les autres s'inclinaient. Même ceux qui le jalousaient.
Mais une fois la nuit tombée... il changeait de peau.
Costume tombé. Chemise ouverte. Verre à la main. Musique dans les oreilles. Pas de règles. Pas de chaînes. Des amis bruyants, des filles parfumées, des rires étouffés dans le cuir des banquettes.
Ce n'était pas une double vie. C'était sa vie. Parce qu'il ne devait rien à personne. Parce qu'il pouvait se le permettre.
- Frère, tu vas finir par te caser, lançait son ami Sylvain, entre deux gorgées de vin. Tu ne fatigues pas ?
- La seule chose qui me fatigue, c'est la routine, avait répondu Abdoul Kabir, en fixant la lumière bleue du club. Et le mariage, c'est la routine déguisée en devoir.
Il avait souri. Mais un sourire sans attache. Comme tout ce qui l'entourait.
Pendant ce temps, de l'autre côté de la ville...
Le bruit de l'eau qu'elle versait pour ses ablutions avait toujours quelque chose de sacré. Une paix douce qui traversait l'air du matin. Sarata se leva du tapis de prière, les yeux encore humides d'invocations. Le Fajr, c'était son départ. Son ancrage.
Elle ne parlait pas beaucoup. Elle n'aimait pas les bavardages inutiles. Chaque mot, pour elle, avait un poids. Et chaque silence, une vertu.
Elle noua son voile, réajusta son boubou repassé la veille, et sortit dans la petite cour. Les oiseaux commençaient à chanter. Elle sourit en les écoutant, comme à chaque aube. Elle avait appris à remercier Dieu pour les choses simples. Un bol de bouillie chaud. Un élève qui s'applique. Un sourire offert sans raison.
Vers sept heures, elle quittait la maison pour rejoindre l'école franco-arabe du quartier. Elle y enseignait l'arabe, avec cette rigueur douce qui la caractérisait. Dans sa classe, pas de cris. Juste la voix posée de Sarata, les pages tournées, et les efforts discrets de ses élèves.
• Mademoiselle Sarata, est-ce qu'on peut copier sur le tableau ?
• Oui bien sûr, répondait-elle souvent avec un sourire mystérieux.
Elle ne cherchait ni louanges ni regards. Mais dans la cour de l'école, les enfants la suivaient des yeux comme on suit une étoile.
À la pause, elle lisait, assise à l'ombre d'un manguier. Coran, hadiths, ouvrages d'exégèse, parfois un poème en arabe classique qu'elle gravait dans son carnet. Elle notait aussi ses réflexions, des pensées brèves, éclairantes, comme des éclats d'âme. Le soir venu, elle rentrait. Elle priait. Elle cousait un peu, dans sa pièce-atelier rangée avec soin. Elle priait encore.
Ses parents, fiers d'elle, n'en disaient pas trop. Mais dans leurs yeux, elle lisait un espoir discret : qu'un jour, un homme pieux la remarque. Qu'il sache lire la lumière derrière la pudeur. Elle ne disait rien.
Elle avait confiance en Dieu. Et elle ignorait encore qu'un jour, son destin croiserait celui d'un homme qui vivait la nuit comme elle vivait la lumière...
Chapitre 1 Chapitre 1 : Deux mondes, deux routes
04/06/2025
Chapitre 2 Chapitre 2 : Entre rancunes et intérêts
04/06/2025
Chapitre 3 Chapitre 3 : Mères, miroirs et murmures
04/06/2025
Chapitre 4 Chapitre 4 : Le bruit des promesses
04/06/2025
Chapitre 5 Chapitre 5 : Le forgeron du silence
04/06/2025
Chapitre 6 Chapitre 6 : La Dot
04/06/2025
Chapitre 7 Chapitre 7 : Le poids des conseils
04/06/2025
Chapitre 8 Chapitre 8 : – La yendu silencieuse
04/06/2025
Chapitre 9 Chapitre 9 : Le retour de Sarata - Ombres et doutes
04/06/2025
Chapitre 10 Chapitre 10 : Les tourments d'Abdoul Kabir - Ombres et lumières
04/06/2025
Chapitre 11 Chapitre 11 : Sarata et les préparatifs - Entre traditions et désirs
04/06/2025
Chapitre 12 Chapitre 12 : Premiers pas - Le voyage vers les îles du Saloum
04/06/2025
Chapitre 13 Chapitre 13 : – Chacun son monde
Ce jour00:33
Chapitre 14 Chapitre 14 : Le souffle court des jours lents
Ce jour00:33
Chapitre 15 Chapitre 15 : Ce que l'on ne dit pas
Ce jour00:34
Autres livres par Doufali
Voir plus