Elle est Cléopâtre. Mais avant cela ? Rien. Ni souvenir, ni passé. Elle s'est éveillée dans un monde qui ne savait ni la nommer ni la comprendre. Sa peau n'a jamais connu les rides, ses courbes échappent au temps, et son regard, profond comme un puits interdit, fait vaciller les rois. Immortelle ou maudite, bénie ou damnée, elle traverse les siècles, nue sous les draps de l'Histoire, tandis que les hommes s'y consument, assoiffés de sa vérité autant que de ses lèvres. Dans un royaume où le pouvoir s'arrache aussi bien entre les draps qu'à la pointe de l'épée, Cléopâtre est désirée, redoutée, adorée. Chaque nuit, ses soupirs pourraient faire tomber des empires ; chaque caresse, sceller une alliance ou provoquer une guerre. Mais qui est-elle vraiment ? Quelle est cette force qui l'arrache au destin des mortels ? Alors que les ombres du passé s'étirent jusqu'à son lit, une question obsède les puissants et les damnés : qu'est-ce que Dieu avait mis dedans ?
Cléopâtre semblait appartenir à un autre monde, ou peut-être à un autre temps. Son existence défiait les lois naturelles, et pourtant elle était bien réelle, bien présente. Son corps ne portait aucune marque du temps, aucune ride, aucune altération. Sa beauté demeurait intacte, comme si les années n'avaient sur elle aucune emprise. Les saisons défilaient, les jours s'écoulaient, les générations se succédaient, mais Cléopâtre restait identique à elle-même, figée dans une jeunesse éternelle, prisonnière d'un mystère insondable.
Elle ne possédait ni passé ni racines, du moins aucun dont elle pouvait se souvenir. On la connaissait simplement sous ce nom, Cléopâtre, sans titre, sans histoire, sans lignée. Là où d'autres traînaient derrière eux des souvenirs d'enfance, des visages familiers, des échos de rires ou des cicatrices du passé, elle n'avait rien. C'était comme si elle avait émergé du néant, une silhouette gracieuse surgie d'un monde inconnu.
Les regards se posaient sur elle avec admiration, fascination, mais aussi crainte. Car l'homme craint ce qu'il ne comprend pas. On chuchotait sur son passage, on murmurait des hypothèses, on brodait des légendes. Certains disaient qu'elle était bénie par les dieux, d'autres qu'elle portait en elle une malédiction. Comment expliquer autrement ce miracle étrange qui la maintenait hors du temps ?
Dans la ville où elle vivait, elle était un mystère que nul ne parvenait à percer. On ne savait pas d'où elle venait, ni depuis combien de temps elle était là. Pour certains, elle avait toujours existé, une présence familière mais énigmatique. Pour d'autres, elle était une anomalie, une étrangère dont l'existence même était une énigme troublante.
Cléopâtre, quant à elle, vivait au milieu des hommes sans jamais réellement appartenir à leur monde. Elle observait leurs vies, leurs amours, leurs drames, leurs joies, comme une spectatrice éternelle d'une pièce qui se répétait sans fin. Elle voyait les enfants devenir adultes, puis vieillir et disparaître, tandis qu'elle, immobile, demeurait la même. Ce cycle infini l'intriguait autant qu'il la tourmentait. Pourquoi elle ? Pourquoi était-elle ainsi détachée du temps, condamnée à l'immobilité tandis que tout autour d'elle changeait ?
Et surtout... qu'est-ce que Dieu avait mis dedans ?
* * *
Le roi Mukengwa était une figure imposante, un monarque dont le nom inspirait à la fois respect et admiration. Sa sagesse transcendait les frontières de son propre royaume, le royaume des Bakenga, et s'étendait jusque dans les territoires voisins. Ceux qui le connaissaient parlaient de lui comme d'un souverain d'une rare clairvoyance, un homme dont l'intelligence et l'humanité se mêlaient harmonieusement à l'autorité qu'il exerçait. Il n'avait pas besoin d'imposer sa domination par la force, car son respect s'imposait de lui-même. Il gouvernait avec une sagesse innée, celle qui fait des rois de véritables légendes.
Dès son plus jeune âge, Mukengwa s'était distingué comme un guerrier hors pair. Son courage était tel que même les vétérans les plus aguerris de l'armée des Bakenga reconnaissaient en lui une force exceptionnelle. Il ne craignait ni le fer ni le feu, et chaque bataille à laquelle il participait était une nouvelle page de gloire inscrite dans les annales du royaume.
Sa bravoure lui valut la confiance absolue de son père, le roi d'heureuse mémoire, qui voyait en lui son digne successeur. Ce dernier, en homme avisé, sut transmettre à son fils bien plus que l'art de la guerre : il lui enseigna l'art de gouverner, de peser chaque décision avec prudence, de traiter son peuple avec justice et de préserver la paix autant que possible.
Quand Mukengwa monta sur le trône, il n'était pas seulement un chef militaire redoutable, mais aussi un roi capable d'inspirer son peuple. Il comprenait que la vraie force d'un souverain ne résidait pas seulement dans sa capacité à écraser ses ennemis, mais dans son habileté à garantir la prospérité et la stabilité de son royaume.
Il savait écouter, et c'est peut-être cela qui fit de lui un roi aimé. Les sages, les anciens et même les simples villageois trouvaient en lui une oreille attentive, un dirigeant prêt à entendre leurs doléances et à rendre justice avec équité.
Sous son règne, le royaume des Bakenga prospéra. Les marchés étaient florissants, les moissons abondantes, et les frontières du royaume étaient bien gardées. Les royaumes voisins, jadis belliqueux, finirent par reconnaître la supériorité de Mukengwa non seulement comme guerrier, mais aussi comme stratège et diplomate. Plutôt que de chercher à le défier, ils préféraient négocier, car ils savaient qu'entrer en guerre contre lui serait une folie.
Mais au-delà de son pouvoir et de sa renommée, Mukengwa portait un fardeau que peu connaissaient. Car être un roi, ce n'était pas seulement régner et dicter des lois, c'était aussi porter sur ses épaules le destin de tout un peuple. Chaque décision qu'il prenait pouvait sceller le sort de milliers de vies. Parfois, la solitude du pouvoir le pesait, mais il ne laissait rien paraître. Il était le pilier du royaume, et tant qu'il se tiendrait debout, le royaume des Bakenga resterait fort.
Son nom résonnait bien au-delà des frontières, gravé dans l'histoire comme celui d'un roi juste, respecté et craint, un souverain qui avait su unir force et sagesse pour écrire l'un des plus glorieux chapitres du royaume des Bakenga.
Le roi Mukengwa n'était pas seulement un souverain sage et redouté, il était aussi un homme profondément attaché à la nature. Bien que son rôle l'obligeât à gouverner avec fermeté et clairvoyance, il trouvait toujours un moment pour s'évader, loin des intrigues de la cour et des responsabilités écrasantes du pouvoir.
Il savait que l'âme d'un roi devait rester en équilibre, et pour cela, il avait une habitude bien particulière : il se retirait régulièrement dans la nature, seul ou accompagné de quelques fidèles serviteurs qui le laissaient en paix, respectant le lien intime qu'il entretenait avec les éléments.
Le royaume des Bakenga, dont une grande partie s'étendait le long de la côte, offrait des paysages d'une beauté rare. Tantôt Mukengwa se rendait au cœur de la forêt, là où la lumière du jour se frayait un chemin à travers l'épaisse canopée, où l'odeur de la terre humide et des feuilles anciennes lui rappelait l'immuabilité du monde.
Il marchait parmi les arbres centenaires, effleurant leur écorce rugueuse, sentant sous ses pieds la douceur des mousses et le craquement des brindilles. Il écoutait les bruits de la forêt, la respiration du vent dans les feuillages, les cris lointains des oiseaux, le frémissement discret des animaux cachés. Il ne se sentait jamais seul dans cet univers, car il savait que tout y avait un langage, une voix, une signification.
D'autres fois, il préférait la mer. Il chevauchait pendant des heures jusqu'à atteindre les rivages où les vagues venaient mourir sur le sable doré. Là, il s'asseyait en silence, laissant le vent salé caresser son visage, contemplant l'infini du bleu devant lui. Il écoutait le murmure des eaux, leur grondement parfois furieux, et il savait qu'elles lui parlaient.
Il interprétait la danse des vagues comme il déchiffrait les signes du destin. Le va-et-vient de la mer lui rappelait les cycles de la vie, les flux et reflux du pouvoir, les périodes de prospérité et celles de tempête. C'est dans ces instants de communion avec l'océan qu'il trouvait les réponses aux dilemmes qui tourmentaient son esprit.
Mukengwa croyait que la nature était une alliée, un guide, une gardienne des secrets du monde. Il disait souvent que les arbres chuchotaient les histoires des ancêtres, que les oiseaux portaient des messages que seuls ceux qui savaient écouter pouvaient comprendre, et que la mer, dans son immensité, reflétait le destin des hommes. Il ne considérait pas ces moments comme de simples promenades, mais comme des voyages intérieurs où il puisait force et sagesse.
Parfois, il revenait de ces retraites avec un regard plus profond, une décision plus mûrie, un calme renforcé. Les conseillers de la cour savaient que lorsqu'il partait ainsi, il reviendrait toujours avec une vision plus claire du chemin à suivre. Et c'était peut-être là, dans ce lien intime qu'il entretenait avec la nature, que résidait l'essence de sa sagesse, cette capacité unique à voir au-delà du présent, à anticiper l'avenir avec la patience des arbres et la puissance des vagues.
Le jour venait à peine de poindre à l'horizon, et une lueur dorée filtrait à travers les rideaux de la chambre royale. Mukengwa ouvrit lentement les yeux, sentant la présence douce et familière de Mwabana à ses côtés. Il tourna son visage vers elle, et leurs regards se croisèrent dans un instant de tendresse silencieuse. Un sourire s'échangea entre eux, chargé de complicité et de respect. Sans un mot, leurs lèvres se trouvèrent dans un baiser léger, un rituel intime qui scellait chaque matin leur amour et leur union.
Mukengwa caressa délicatement la joue de sa femme avant de lui murmurer :
- Aujourd'hui, je vais marcher seul jusqu'à la mer. Je veux sentir le vent sans compagnie, écouter l'eau me parler sans autre présence que celle des éléments.
Mwabana, habituée aux escapades solitaires de son époux, accueillit ses paroles avec la dignité qui la caractérisait. Elle ne protesta pas, car elle savait que la parole du roi n'était pas une demande, mais une déclaration. Ce qu'il annonçait était déjà une réalité en marche, et il ne servait à rien de s'y opposer. Pourtant, elle le regarda un instant avec une lueur d'interrogation dans les yeux. D'ordinaire, il aimait qu'elle l'accompagne, qu'elle marche à ses côtés en silence, partageant avec lui cette communion avec la nature. Pourquoi, cette fois, désirait-il partir seul ?
Elle ne posa pas la question. Mukengwa n'était pas un homme qui parlait pour ne rien dire. S'il avait pris cette décision, il avait ses raisons. Elle se contenta donc de hocher doucement la tête et se redressa pour quitter la couche royale. Son rôle, en tant que reine, était de veiller à ce que son époux commence sa journée dans la plus grande sérénité.
Elle se dirigea vers la salle d'ablutions et commença à préparer un bain parfumé pour Mukengwa. L'eau fut chauffée à la température idéale, et elle y fit infuser des feuilles et des essences qu'elle savait apaisantes : des pétales de fleurs sauvages, du bois de santal, des écorces aux propriétés relaxantes. L'arôme qui s'en dégageait embaumait l'air d'une douceur envoûtante.
Elle revint vers son époux et lui annonça avec calme :
- L'eau est prête, mon roi.
Mukengwa se leva lentement, s'étira avec la prestance d'un lion réveillé, puis se laissa guider par sa femme. Il entra dans l'eau avec un soupir de satisfaction, sentant la chaleur détendre ses muscles et le parfum des plantes éveiller ses sens. Mwabana resta près de lui, veillant à ce que tout soit à son goût, mais elle ne chercha pas à le questionner davantage sur son départ en solitaire.
Elle savait que son époux était un homme de silence et de méditation. Et si, aujourd'hui, il avait besoin d'être seul face à la mer, c'est que quelque chose dans son cœur ou dans son esprit l'appelait à écouter ce que seuls les éléments pouvaient lui révéler.
Après son bain, le roi Mukengwa se rendit dans ses appartements pour se vêtir de son accoutrement royal. Il choisit une tunique en lin fin, d'un blanc éclatant, brodée de motifs dorés représentant les symboles ancestraux des Bakenga. Par-dessus, il drapa un pagne d'apparat aux couleurs du royaume : un tissu somptueux d'un bleu profond, orné de fils d'or et d'argent tissés en formes géométriques rappelant les vagues de la mer et les montagnes sacrées. Autour de sa taille, une large ceinture de cuir finement sculptée maintenait l'ensemble, ajoutant une touche de majesté à sa silhouette déjà imposante.
Sur ses épaules reposait une étole de soie brodée, symbole de sa sagesse et de son autorité. Son cou était orné d'un collier de perles et d'amulettes en ivoire, héritage des rois qui l'avaient précédé. Enfin, il chaussa ses sandales de cuir noir et posa sur sa tête une couronne en or ciselé, finement ouvragée, dont le centre était orné d'une pierre bleue étincelante, symbole de la mer qui bordait son royaume.
Ainsi vêtu, imposant et digne, il quitta ses appartements et se dirigea vers la chambre de ses deux fils, Jérôme, l'aîné, et Jérémie, le cadet. Chaque matin, avant même de prendre son premier repas, il tenait à s'assurer que ses héritiers se portaient bien. Il avançait d'un pas mesuré, son port altier inspirant respect et admiration.
Devant la porte de la chambre princière, les gardes postés se redressèrent aussitôt et, dans un geste synchronisé, portèrent leur poing droit à leur poitrine en signe de salut.
- Que la paix vous accompagne, ô grand roi Mukengwa, père du royaume !
Mukengwa s'arrêta, les regarda un instant, puis leur adressa un simple sourire. Un sourire empreint d'autorité, mais aussi de bienveillance et d'humilité. Il n'avait pas besoin de mots pour imposer sa présence. Il hocha la tête, et les gardes s'écartèrent immédiatement, ouvrant les portes pour lui permettre d'entrer.
Dans la chambre, les premiers rayons du soleil perçaient à travers les rideaux de lin fin, baignant la pièce d'une lumière douce et apaisante. Jérôme, âgé de douze ans, était déjà réveillé, assis sur son lit, les jambes croisées sous lui. Jérémie, quant à lui, âgé de neuf ans, dormait encore, recroquevillé sous ses draps.
En voyant son père entrer, Jérôme se leva précipitamment et s'inclina respectueusement.
- Bonjour, père. Que la lumière du jour éclaire vos pas.
Mukengwa sourit légèrement et s'approcha.
- Et que la sagesse de la nuit fortifie ton esprit, mon fils.
D'un geste tendre, il posa une main sur l'épaule de son aîné. Puis, il se tourna vers Jérémie, toujours endormi. Il s'agenouilla à côté du lit et posa une main sur la tête de l'enfant.
- Jérémie, mon fils, le soleil est déjà haut. Est-ce ainsi que dort un prince ?
Le jeune garçon grogna doucement et enfouit son visage dans son oreiller avant de marmonner :
- Mais père... les oiseaux eux-mêmes chantent encore dans leur sommeil...
Mukengwa éclata d'un rire grave, empli de chaleur.
- Ah ! Tu oses me répondre avec la malice des sages ? Mais sais-tu que même les oiseaux, une fois leur chant terminé, s'envolent et commencent leur journée ?
Jérôme, amusé, se tourna vers son frère et lui lança :
- Si tu ne te lèves pas vite, père risque de demander aux gardes de t'emmener te réveiller dans la mer !
Jérémie, à ces mots, ouvrit un œil méfiant et releva la tête.
- Vraiment ?
Mukengwa haussa un sourcil d'un air faussement sévère.
- Voudrais-tu que j'ordonne qu'on te porte jusqu'au rivage, où les vagues froides du matin viendront te sortir du sommeil ?
Jérémie bondit hors du lit en riant.
- Non, non, père ! Me voici, bien réveillé !
Mukengwa passa une main affectueuse dans les cheveux en bataille de son cadet, puis se redressa. Il regarda ses fils un instant, son regard empreint d'amour et de fierté.
- Vous êtes les futurs gardiens de ce royaume. Chaque jour est une occasion d'apprendre, de grandir et de renforcer votre esprit. Souvenez-vous que la force seule ne fait pas un roi, mais la sagesse et l'humilité.
Jérôme hocha la tête, sérieux.
- Nous nous efforcerons d'être dignes de votre enseignement, père.
Jérémie, encore un peu endormi, acquiesça à son tour avec un sourire.
Mukengwa posa une dernière fois son regard sur ses fils avant de se détourner.
- Soyez prêts pour votre journée. Je pars marcher jusqu'à la mer.
Jérôme fronça les sourcils.
- Sans mère ?
Mukengwa posa une main sur son épaule et répondit doucement :
- Parfois, un roi doit écouter le silence pour entendre les vérités que le bruit du monde lui cache.
Jérôme et Jérémie ne posèrent pas d'autres questions. Ils savaient que leur père trouvait souvent des réponses dans la nature.
Mukengwa leur adressa un dernier regard avant de quitter la chambre. Il avait un pressentiment, une sensation étrange qui le poussait à se rendre seul à la mer aujourd'hui.
Alors qu'il discutait encore avec ses fils, Mukengwa sentit une main douce et familière se poser sur son épaule. Il ne sursauta pas, mais il fut surpris par cette approche silencieuse. Il tourna légèrement la tête et rencontra le regard tendre de sa reine, Mwabana.
- Mon roi, dit-elle avec un sourire, le repas est prêt. Vous devez prendre des forces avant votre marche.
Mukengwa hocha doucement la tête. Il se redressa et jeta un dernier regard à Jérôme et Jérémie.
- Habillez-vous convenablement et rejoignez-moi après. Un prince ne doit pas commencer sa journée sans honorer le premier repas.
- Oui, père, répondirent-ils d'une même voix.
Accompagné de Mwabana, le roi quitta la chambre et se dirigea vers la grande salle à manger du palais. C'était une vaste pièce, ornée de colonnes sculptées représentant les exploits des ancêtres. De grandes ouvertures laissaient entrer la lumière du matin, illuminant les riches tapisseries suspendues aux murs. Une longue table en bois d'ébène, finement sculptée, trônait au centre, recouverte d'un drap d'apparat brodé d'or et de rouge.
Mukengwa prit place à la tête de la table, tandis que Mwabana s'installait à sa droite. Les serviteurs apportaient déjà les plats : des fruits frais, des galettes de manioc, du poisson grillé et du miel, accompagnés d'une infusion d'herbes parfumées. L'odeur du repas embaumait la salle.
Mukengwa prit une gorgée de sa boisson, savourant la chaleur apaisante qui descendait dans sa gorge, puis il leva légèrement la main.
- Faites entrer Kashosi.
Un garde s'inclina respectueusement et se retira aussitôt. Quelques instants plus tard, un homme d'âge mûr fit son entrée. C'était Kashosi, le plus fidèle serviteur du roi et son premier conseiller. Sa démarche était mesurée, empreinte de respect et d'assurance. Vêtu d'une tunique sobre mais élégante, il portait autour du cou un collier en bois sculpté, un symbole de son rang et de sa proximité avec la royauté.
Arrivé devant la table, il s'inclina profondément.
- Mon roi, que la sagesse des ancêtres vous guide en ce jour.
Mukengwa esquissa un léger sourire et désigna une place à sa gauche.
- Assieds-toi, Kashosi. Un homme ne réfléchit jamais mieux que l'estomac plein.
Kashosi obéit sans un mot, s'installant avec humilité. Il savait que Mukengwa n'offrait pas ce privilège à tout le monde.
- Je pars pour la mer après ce repas, annonça le roi en prenant un morceau de poisson.
Kashosi hocha lentement la tête.
- Seul, cette fois-ci ?
Mwabana jeta un regard discret à Mukengwa. Elle aussi s'était posé la même question.
Le roi mastiqua en silence avant de répondre :
- Oui.
Un silence s'installa, mais ce n'était pas un silence vide. Kashosi comprenait son roi mieux que quiconque. Il savait que Mukengwa ne prenait jamais de décisions au hasard.
- Votre esprit est-il troublé, mon roi ? demanda-t-il prudemment.
Mukengwa posa son regard perçant sur son conseiller.
- Troublé, non. Mais préoccupé. Je ressens... quelque chose. Comme une ombre sur mon chemin.
Mwabana posa doucement sa main sur la table, cherchant à comprendre.
- Une vision ?
Mukengwa secoua la tête.
- Pas une vision. Un pressentiment.
Kashosi réfléchit un instant.
- Souhaitez-vous que je vous accompagne ?
Mukengwa sourit.
- Si je voulais de la compagnie, j'aurais demandé à Mwabana ou à mes fils.
Kashosi comprit. Ce voyage ne serait pas une simple promenade. Le roi cherchait des réponses, et celles-ci ne se trouvaient ni dans les paroles des hommes ni dans les murs du palais.
- Alors que les ancêtres guident vos pas, mon roi, dit Kashosi d'un ton respectueux.
Mukengwa acquiesça et reprit son repas. Il savait que quelque chose l'attendait au bord de la mer. Il ignorait encore quoi, mais bientôt, il le saurait.
Après avoir terminé son repas, Mukengwa posa lentement son gobelet d'infusion sur la table. Il prit un instant pour réfléchir, le regard perdu dans le vide. Puis, d'une voix calme mais assurée, il s'adressa à Kashosi :
- Prépare trois chevaux.
Kashosi, qui s'attendait à ce que le roi parte seul comme il l'avait affirmé plus tôt, fronça légèrement les sourcils.
- Trois, mon roi ?
- Oui. Un pour moi, un pour toi, et un pour un garde de la cour.
Kashosi marqua un temps d'arrêt. Il connaissait Mukengwa depuis de longues années, et il savait que le roi ne revenait jamais sur ses décisions à la légère. Quelque chose avait changé, une pensée soudaine, une intuition venue de nulle part.
- Ai-je mal entendu, ô roi ? Ne désiriez-vous pas partir seul ?
Mukengwa le fixa un instant, un sourire presque imperceptible au coin des lèvres.
- J'ai dit que je voulais entendre le silence, pas que je voulais être isolé.
Kashosi retint un rire discret. C'était une manière subtile du roi d'admettre qu'il avait changé d'avis sans pour autant le formuler clairement. Il s'inclina légèrement.
- Comme il vous plaira, mon roi.
Puis, incapable de cacher totalement sa satisfaction, il ajouta :
- Mais je serais menteur si je disais que cette décision ne me réjouit pas. Marcher à vos côtés est un honneur que je ne refuse jamais.
Mukengwa esquissa un sourire en coin.
- Alors va, Kashosi. Que les chevaux soient prêts avant que le soleil ne monte trop haut dans le ciel.
Sans attendre davantage, Kashosi se leva et sortit de la salle, le cœur gonflé de fierté. Être aux côtés du roi dans un moment aussi particulier était un privilège qu'il chérissait. Il se demandait pourquoi Mukengwa avait soudainement décidé d'être accompagné. Avait-il perçu un danger sur sa route ? Ou bien avait-il compris que certaines réponses se trouvent mieux en présence d'un ami fidèle ?
Quoi qu'il en soit, Kashosi était prêt. Ce voyage ne serait pas une simple promenade... et il avait hâte de découvrir ce que le destin leur réservait.
Chapitre 1 Chapitre 1. Un tour au bord de la mer
28/04/2025
Chapitre 2 Chapitre 2. Un corps retrouvé au bord de la mer
29/04/2025
Chapitre 3 Chapitre 3. La mort de Mariamu
29/04/2025
Chapitre 4 Chapitre 4. L'inquiétude du roi
29/04/2025
Chapitre 5 Chapitre 5. Premier contact entre les princes et la jeune inconnue
29/04/2025