AprĂšs la catastrophe planĂ©taire qui a tuĂ© des milliards d'ĂȘtres humains, quelques milliers seulement ont survĂ©cu et trouvĂ© refuge sur une autre planĂšte. DĂ©sireux de ne pas reproduire les mĂȘmes erreurs du passĂ©, il a Ă©tĂ© convenu de retourner Ă d'anciennes valeurs, ce qui ne semble pas dĂ©plaire Ă Isabelle, nouvelle arrivante Ă Canton VallĂ©e, et qui va dĂ©couvrir la vie Ă la campagne.
Cher journal,
Il y a maintenant prĂšs d'un demi-siĂšcle que les humains ont fui la Terre. Elle devenait dangereuse et inhabitable. Par leur mode de vie, leur aviditĂ©, ils l'avaient complĂštement dĂ©truite et elle se vengeait de tout ce qu'elle avait subi de trop longues annĂ©es. Trente-six vaisseaux ont quittĂ© la planĂšte et seulement douze sont arrivĂ©s Ă destination, sur OrĂ©a, la planĂšte habitable la plus proche. Ils n'Ă©taient plus que quelques milliers de survivants, tous les autres avaient pĂ©ri sur Terre. Personne n'a jamais eu de nouvelles des autres vaisseaux, tous ignorent encore aujourd'hui ce qu'il s'est produit, mais une chose est certaine... il y a eu une prise de conscience collective. Peu dĂ©sireux de commettre les mĂȘmes erreurs et subir le mĂȘme sort, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© d'un commun accord de revenir Ă un ancien mode de vie plus sain, tout en combinant une technologie plus saine elle aussi et moins polluante.
Ma mĂšre me racontait souvent des histoires le soir, avant que je ne m'endorme. Elle me disait souvent que nous sommes revenus Ă d'anciennes valeurs, que nous sommes retournĂ©s dans le passĂ©. Certains appellent cette Ă©poque l'Ere de la RĂ©gression, d'autres l'Ere de l'Optimisme et d'autres encore l'Ere du Renouveau. Elle aimait comparer ce nouveau mode de vie Ă l'ancien, oĂč les robots et les machines avaient envahi le quotidien des gens. La publicitĂ© Ă©tait partout, incitait Ă la consommation, et les voitures qui permettaient de se dĂ©placer vite, mais sans le moindre effort. Une sociĂ©tĂ© de consommation oĂč tout avait Ă©tĂ© calculĂ©, rĂ©flĂ©chi, pour que les humains en deviennent totalement dĂ©pendants, qu'ils deviennent des esclaves sans force ni volontĂ©. C'Ă©tait sa vision des choses et c'Ă©tait terrifiant. Je n'enviais pas cette vie. Et puis, son visage s'illuminait tout Ă coup quand elle parlait d'aujourd'hui. Le travail dans les champs avec des vĂ©hicules silencieux et non polluants, les dĂ©placements Ă chevaux, les petits villages d'une centaine d'habitants qui fleurissaient çà et lĂ , les petites Ă©coles qui accueillaient seulement une dizaine d'Ă©lĂšves, un avantage non nĂ©gligeable pour un meilleur apprentissage, ou encore d'anciens mĂ©tiers qui voyaient Ă nouveau le jour et qui n'existaient plus autrefois.
Ici, elle était heureuse et épanouie, je le ressentais dans sa voix qui vibrait de joie, je le voyais dans ses yeux qui pétillaient, je l'entendais par les chants qu'elle fredonnait.
Nous ne sommes pas à l'abri des soucis et des problÚmes, ce monde-ci n'est pas parfait, mais il est celui dans lequel je vis, moi, Isabelle Morel. Et j'ai hùte de découvrir ce que l'avenir va me réserver.
Souriante, Isabelle referma son livre Ă l'instant mĂȘme oĂč quelqu'un frappait Ă sa porte. IntriguĂ©e, la jeune femme se releva prestement et se dirigea d'un pas ferme vers la porte d'entrĂ©e pour l'ouvrir Ă la volĂ©e sur un petit homme trapu et chauve. Tout sourire, il releva ses lunettes rondes sur son nez et se racla bruyamment la gorge.
- Bonjour, mademoiselle, je suis le maire de Canton VallĂ©e, Robert Marchal, et je suis heureux de vous accueillir parmi nos nouveaux habitants. Je voulais m'assurer que tout allait bien. Vous ĂȘtes bien installĂ©e ? Vous avez pu rapatrier tous vos meubles et toutes vos affaires ?
- Oui, il n'y a aucun souci, je vous remercie.
Quand ses yeux passÚrent par-dessus l'épaule d'Isabelle pour balayer la piÚce derriÚre elle, son sourire s'évanouit briÚvement et il pointa du doigt une étagÚre effondrée.
- Je vois que vous avez eu un petit souci...
- Ce n'est rien, elle Ă©tait vieille de toute maniĂšre, lui assura Isabelle.
- Si vous le souhaitez, nous avons un menuisier au bout de l'allée principale. Quand vous aurez le temps, passez lui rendre visite. Dites-lui que c'est moi qui vous envoie.
- C'est trĂšs aimable de votre part, je vous remercie.
Le maire sembla chercher quelque-chose Ă ajouter mais, comme un silence gĂȘnant s'installait, il se contenta simplement de saluer Isabelle d'un bref mouvement de la tĂȘte avant de s'en aller.
Tout sourire, la jeune femme attrapa son manteau et quitta la chaleur de sa maison pour affronter le froid hivernal. Il lui fallut une dizaine de minutes pour rejoindre le centre de la ville. Les habitations avaient Ă©tĂ© volontairement construites Ă l'extĂ©rieur de la ville, notamment pour le cadre paysager et le calme de la campagne. Isabelle approuvait cette perspective et se rĂ©jouissait Ă l'avance des jours heureux qu'elle allait vivre ici, Ă Canton VallĂ©e. Elle imaginait dĂ©jĂ son avenir, dessinait des projets, imaginait des plans et rĂȘvait Ă une merveilleuse rencontre, un grand mariage et croyait entendre les Ă©clats de rire d'enfants. Tout ça la rendait guillerette.
Toujours souriante, son arrivĂ©e en ville fut pourtant diffĂ©rente de ce Ă quoi elle s'Ă©tait attendue. Il n'y avait que trĂšs peu de commerces, mais pourtant une grande affluence. Les chevaux et les calĂšches envahissaient les rues, ainsi que de nombreuses personnes qui se promenaient de bonne heure. C'Ă©tait une ville de petite taille et pourtant plus vivante qu'une fourmiliĂšre. ĂtonnĂ©e et aussi un peu perdue, Isabelle chercha du regard l'enseigne du menuisier, sans la trouver.
Alors elle commença à avancer prudemment en soulevant légÚrement sa robe pour qu'elle ne soit pas tùchée de boue, attirant l'attention d'une femme qui s'approcha pour l'aborder.
- Excusez-moi, puis-je vous aider ?
Isabelle eut un sursaut de surprise et s'arrĂȘta net. Elle tourna la tĂȘte en direction de la voix et son regard croisa celui d'une belle femme, dans la quarantaine, Ă©lĂ©gamment coiffĂ©e et modestement habillĂ©e. Elle lui inspirait le respect et la confiance. Son sourire chaleureux et ses yeux pĂ©tillants la mirent rapidement Ă l'aise.
- Euh, je suis Ă la recherche du menuisier.
- Il ne commence que dans une heure, lui rĂ©pondit l'inconnue. Je ne vous ai jamais vue auparavant, vous ĂȘtes nouvelle ?
- Oui, en effet. Je suis la nouvelle couturiĂšre.
- Oh, alors bienvenue à Canton Vallée ! Et si nous allions prendre un café pour faire les présentations ? Je pourrais ainsi vous parler un peu de la ville et de ses habitants, si vous le souhaitez ?
- Ce serait volontiers, je vous remercie !
- Au fait, je m'appelle Marianne Besson.
- Isabelle Morel, ravie de faire votre rencontre.
Marianne glissa son bras sous le sien pour l'amener en direction du café. Déconcertée par ce geste quelque peu familier, Isabelle se laissa pourtant entraßner.
Quand elle pĂ©nĂ©tra dans le cafĂ©, une agrĂ©able odeur douce-amĂšre lui chatouilla les narines. L'endroit Ă©tait plutĂŽt cosy, chaleureux, et dĂ©corĂ© avec trĂšs bon goĂ»t. Il n'y avait que quelques personnes assises aux tables et qui savouraient de bon matin leur cafĂ© ou leur chocolat, parfois accompagnĂ© d'une viennoiserie. SĂ©duite, Isabelle entendit aussitĂŽt son estomac gronder. GĂȘnĂ©e, elle Ă©vita soigneusement le regard de Marianne, les joues roses, tandis que la jeune femme l'attirait vers une table.
- Je vous invite, dit-elle.
- Oh, ce n'est pas nécessaire.
- J'insiste.
Devant ce ton ferme et cet air décidé, Isabelle ne put que céder et accepta, tandis que la serveuse s'approchait d'elles pour prendre commande. Isabelle se contenta d'un simple chocolat, embarrassée à l'idée qu'une quasi parfaite inconnue paie à sa place. Comme Marianne avait probablement deviné son malaise, elle commanda un repas pour deux.
- Vous ĂȘtes donc la nouvelle couturiĂšre de Canton VallĂ©e, alors ? demanda-t-elle, souriante. Nous vous attendions avec impatience.
- Ah oui ?
- De nombreuses femmes ont besoin de faire retoucher leurs vĂȘtements, notamment deux futures mĂšres dont le ventre s'arrondit de jour en jour. D'oĂč venez-vous, si je peux me permettre ?
- Une grande ville, Campreas, j'imagine que vous devez connaĂźtre.
Marianne haussa les sourcils, l'air surpris, alors que la serveuse revenait vers elle pour dĂ©poser leur commande sur la table en leur souhaitant un bon appĂ©tit. ĂtonnĂ©e par son ignorance, Isabelle glissa ses deux mains autour de la tasse brĂ»lante pour se rĂ©chauffer.
- Vous ne connaissez vraiment pas ?
- J'ai toujours vécu ici, avoua Marianne. Je connais quelques noms de villes et villages alentours, mais Campreas...
- Je ne devrais pas ĂȘtre Ă©tonnĂ©e, cette ville se situe littĂ©ralement Ă l'autre bout du continent, il m'a fallu Ă peu prĂšs un mois pour arriver jusqu'ici. LĂ -bas, on y trouve de nombreux commerces, il y a Ă©galement des habitations en centre-ville et le mode de vie est moins... rustique, moins campagnard. Disons que la ville n'est pas entourĂ©e de champs, elle fait directement importer toute sa nourriture des villages qui l'entourent.
- Oh... Alors les gens qui vivent lĂ -bas doivent mener une vie tranquille et paisible, j'imagine.
- Loin de lĂ s'en faut, lui assura Isabelle. Ils n'ont peut-ĂȘtre pas Ă travailler de leurs mains comme les agriculteurs ou les mineurs, mais ils exercent d'autres mĂ©tiers qui ne sont pas toujours Ă©vidents : mĂ©decins, avocats, juges, policiers... Certains considĂšrent ces mĂ©tiers plus difficiles encore que de travailler dans un champ.
- Ah oui ? s'étonna Marianne en portant sa tasse à ses lÚvres pour boire une gorgée de café.
- J'ai notamment connu un psychologue qui a fini par faire une dépression à force d'écouter ses clients. Le comble de l'ironie, sourit Isabelle.
- Oh... J'en suis navrée... Et comment va-t-il, aujourd'hui ?
- Beaucoup mieux. Il travaille dans les champs, maintenant.
Les deux jeunes femmes éclatÚrent de rire, amusées, et Isabelle remercia encore une fois Marianne pour le repas alors qu'elle se servait dans les viennoiseries.
- Finalement, aucun mĂ©tier n'est facile et vivre dans une ville aussi grande que Campreas ne doit pas ĂȘtre Ă©vident.
- Non, en effet. La vie, lĂ -bas, mĂȘme si elle n'en n'a pas l'air, est tout de mĂȘme stressante, angoissante et oppressante...
- Et c'est pour cette raison-là que vous avez décidé de la fuir ?
- En quelque sorte... Contre l'avis de mon pÚre qui m'a reniée.
- Oh...
Marianne reposa doucement sa tasse pour prendre la main d'Isabelle dans la sienne, compatissante.
- Ils ont dĂ©cidĂ© d'arrĂȘter l'expansion de Campreas pour ne pas reproduire les erreurs d'antan, mais il n'empĂȘche que cette vie-lĂ ne me convenait tout de mĂȘme pas. Je prĂ©fĂšre le calme et la sĂ©rĂ©nitĂ© de la campagne.
- Je comprends tout Ă fait.
La sonnette de la porte retentit et Isabelle leva automatiquement les yeux. Elle se figea aussitÎt quand son regard croisa celui de l'inconnu qui venait de franchir la porte. Ses yeux bleu électrique la sondÚrent longuement. Il esquissa un léger sourire et se dirigea d'un pas tranquille vers le comptoir.
- Isabelle ?
- Mmh ?
Isabelle secoua briĂšvement la tĂȘte, les joues roses, gĂȘnĂ©e par ce moment d'Ă©garement. Marianne, elle, paraissait amusĂ©e et un grand sourire fendait son visage.
- C'est Maxime, le menuisier.
- C'est lui ?
- Oui, gloussa Marianne. Il est plutÎt séduisant, n'est-ce pas ?
- Euh... Je n'ai pas franchement d'avis là -dessus et puis la beauté, aux yeux des autres, ne dépend que des goûts de chacun. Bon, euh... Je dois y aller, ravie d'avoir fait votre connaissance.
La scĂšne semblait manifestement divertir Marianne qui ne se dĂ©partait pas de son sourire. De plus en plus mal-Ă -l'aise, Isabelle se releva maladroitement alors que Maxime arrivait Ă sa hauteur et la saluait d'un signe poli de la tĂȘte.
Une étrange bouffée de chaleur l'envahit et elle sentit ses jambes faiblir avant que l'obscurité ne se referme sur elle.
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