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Chapitres

envie de lire une aventure folle et qui te tient en haleine. Ce livre est pour toi

Chapitre 1 Chapitre 1 - Nightmares

Je me réveillai en sursaut, au milieu de la nuit, haletante. Désorientée, mon rêve me revint en mémoire, peu à peu. Je revoyais cette femme de dos, avec sa longue cape sombre, sa capuche relevée. Une fois face à elle, je n’apercevais que vaguement ses lèvres, la lumière étant trop faible et le tissu projetant sur son visage une ombre dense. Sa bouche remuait, et mon angle de vue ne cessait de changer, comme dans un film avec une mauvaise réception, par flashes. Jamais je n’entendais ce qu’elle disait.

Cependant, malgré tout, elle me resta en tête, contrairement aux centaines de cauchemars que j’avais faits jusqu’à présent, qui s’évaporaient rapidement. Cette femme-là s’accrochait, et dès que je clignais des yeux, elle était là.

Je rattrapai la gourde au vol, l’ouvris et bus quelques gorgées. L’eau était tiède, presque chaude, désagréable. Elle lavait à peine le gout de terre et de cendre dans ma bouche. Des flammes dans les yeux, je la passai à ma meilleure amie, à côté de moi, et pris mon élan pour atteindre la première prise du second mur de pierre à franchir. La roche était râpeuse et écorcha ma main déjà abimée. Je me balançai pour m’agripper solidement avec ma seconde main et commençai à franchir les cinquante mètres verticaux qui m’attendaient. Le soleil brûlait mes épaules et la respiration sifflante de mon amie sous moi me torturait. Je n’aurais pas dû l’entrainer là-dedans.

Une fois en haut, je m’accroupis au bord de la falaise que je venais d’escalader. Virginie était encore trois bons mètres plus bas et je la sentais pleurer en silence, même si n’importe qui aurait pu confondre ses larmes, qui creusaient des sillons propres dans la crasse de son visage, avec des gouttes de sueur. Je lui tendis la main une fois qu’elle fut à portée et elle s’y accrocha pour que je la hisse.

Posté sur un rocher à quelques mètres de moi, notre instructeur me lança un regard à moitié désapprobateur. Il respectait l’entente, l’entraide, mais il voulait aussi que ses élèves puissent s’en sortir seuls si besoin était. Nous fûmes heureuses de retrouver l’ombre des arbres qui nous avait tant manqué pendant l’ascension, et nous nous assîmes lourdement, dos à une pierre. Un oiseau coloré passa au-dessus de nous et disparut dans les feuillages alors que les autres arrivaient à bout de leur montée petit à petit. Je vis d’abord émerger la tignasse particulièrement dense, autrefois rousse foncée, maintenant brune de poussière, de Jacob. Ses veines saillaient sur ses mains, son cou, alors qu’il se hissait vers le sol plat. Je perçus ensuite le bruit de la lame de Tristan qui se plantait à intervalles réguliers dans la roche, puis il apparut à son tour, ses cheveux mi-longs noirs, son visage d’ange. Il rampa ensuite dans notre direction sur un mètre et demi et s’arrêta là, à bout de souffle. Après quelques minutes d’attente, je me relevai et m’approchai du gouffre. J’entendis un vague rire du côté de notre maître mais n’y prêtai pas attention. Je me penchai et vis Vincent, plus bas, agrippé à la falaise, qui regardait sa sœur, encore deux mètres en dessous, se battre avec les rochers. Il me jeta un regard désespéré et je vis que Tiffany tremblait d’épuisement, prête à lâcher. Son frère, aussi aimant qu’il soit, n’avait rien de l’homme fort qui pouvait se permettre de la porter, ne fût-ce que sur quelques mètres, ce qui n’aurait de toute façon pas été suffisant. Je regardai l’instructeur un instant. Je suis presque sûre qu’il lut sur mon visage ce que je voulais faire, et il ne broncha pas. Je me tournai à nouveau vers le précipice.

- Jacob.

J’entendis le jeune homme se lever et s’approcher dans mon dos. Debout à côté de moi, on pouvait clairement voir la différence de taille de vingt centimètres qui nous séparait, différence que l’on aurait jugée nettement moindre si l’on nous regardait séparés l’un de l’autre.

- Va la chercher, s’il te plait.

Sans un mot, il s’accroupit dos au vide et commença à descendre. Une fois à la hauteur de la jeune fille, il l’aida d’une main à s’accrocher à son dos. À partir de ce moment-là, Vincent recommença son ascension. Cela n’empêcha pas Jacob d’arriver avant lui. Il remit précautionneusement Tiffany sur le sol et je passai un bras autour de ses épaules fragiles pour l’aider à marcher jusqu’à l’endroit où Virginie était assise. A l’instant où Vincent s’installa près de sa sœur, elle posa sa tête sur son épaule et pleura en silence, laissant s’échapper la peur qu’elle avait eue.

Une des dernières branches du feu craqua et une gerbe d’étincelles sortit des braises encore rouges. Il n’y avait plus de flammes, mais la chaleur qu’elles procuraient était bien présente. Tout le monde était déjà endormi un peu plus loin. J’étais perdue dans mes pensées lorsque l’instructeur s’assit en face de moi, de l’autre côté du feu. Il me regarda en silence pendant quelques instants. Au moment où je baissai à nouveau les yeux, j’entendis sa voix.

- Tu sais que le but est que vous puissiez faire cela seuls.

- Je sais. Mais elle ne pouvait pas.

- Tu ne lui as pas laissé assez de temps.

- Plus de temps et elle aurait lâché prise.

- Tu sais que je n’aurais pas laissé cela se produire.

- Vraiment ? Parce que tu n’en semblais vraiment pas loin.

- Sophie…

- Quoi, Raphaël ?

Il me regarda, incrédule, pendant un instant.

- C’est ton nom, n’est-ce pas ?

- Comment le sais-tu ?

Je haussai les épaules, puis me relevai et m’éloignai du feu. J’étais dos à lui quand il recommença à parler.

- Pourquoi ne dors-tu pas encore ?

- Tu sais pourquoi.

- Je veux te l’entendre dire.

Je me tus quelques instants, puis tournai légèrement ma tête vers lui, toujours de dos.

- L’idée de revoir cette femme…

- Pourquoi ?

- Je n’en sais rien. Elle est trop familière, mais je ne sais rien d’elle. Même pas ce qu’elle me dit. Je ne vois que cette silhouette encapuchonnée, ces lèvres qui bougent sans émettre le moindre son. J’espérais que venir ici, apprendre à manier mon corps de cette façon, me remettrait les pieds sur terre. J’espérais être assez fatiguée pour avoir un sommeil sans rêves.

- Mais ils deviennent plus clairs, au contraire, n’est-ce pas ?

Je suppose que les braises mourantes reflétèrent les larmes qui brillaient dans mes yeux à ce moment-là, car il se leva et vint se mettre face à moi.

- Dans deux jours nous serons à destination. Peut-être trouveras-tu tes réponses là-bas.

- Et sinon ?

- Sinon, tu trouveras autre chose. Ne t’en fais pas. Vas te coucher, le trajet sera long demain.

Virginie tenait fermement mon bras dans son sommeil alors que mes yeux s’ouvrirent. Ce n’est qu’après une quinzaine de secondes que je me rendis compte que ce qui m’avait réveillé m’avait coupé le souffle, et que je n’avais pas repris ma respiration depuis. J’avalai une grande bouffée d’air, puis d’autres, et les larmes me montèrent aux yeux. Je suppose qu’elle sentit ma détresse, car ma meilleure amie me fit alors rouler sur le côté et me prit dans ses bras, bien réveillée. Je pense qu’elle me murmura des choses réconfortantes, mais je ne l’entendis pas. La voix de la femme de mes rêves résonnait encore à mes oreilles.

Je sais que chaque matin tu veux m’oublier. Je sais que tu veux chasser au plus vite tous ces cauchemars qui t’effraient. Mais celui-ci, tu veux t’en rappeler, crois-moi. Cette fois-ci, tu veux te souvenir de chaque détail, même infime. Tu n’as pas le choix.

Je m’agrippai à elle comme à une bouée de sauvetage en pleurant et elle me serra fort contre elle. Elle ne disait plus rien, elle savait que me réconforter d’un rêve était impossible, et insensé, ce n’était qu’un rêve. Ce n’est qu’après une demi-heure qu’elle dit :

- Regarde. Le soleil se lève.

Je sentis son étreinte se défaire et je lâchai prise. Elle m’aida à me relever et nous grimpâmes en haut du plus grand arbre alentours. Arrivées aussi haut que possible, nous nous installâmes pour regarder le lever du jour. Le ciel était si pur, si clair. Les couleurs changeaient peu à peu, passaient de blanc à jaune clair, puis rose. Ce n’est que lorsque nous commençâmes à apercevoir le soleil lui-même que nous entendîmes notre instructeur appeler nos noms. Il n’avait pas crié, mais nous étions tellement habituées au son de sa voix, à ses intonations, que même s’il ne nous parvenait que l’ombre d’un murmure, nous sentions que nous devions les rejoindre.

Jacob sourit doucement en nous voyant arriver. Tiffany me regarda brièvement avant de retourner auprès de son frère. Tristan finissait déjà de ranger ses affaires et semblait chanter tout bas. Notre maître nous lança à chacun notre ration de nourriture et nous mangeâmes en silence. Une fois que tout fût prêt, il nous regarda, à moitié pour s’assurer de notre état, à moitié pour demander si nous étions prêts à partir. Apparemment satisfait de ce qu’il voyait, il se retourna et s’enfonça plus avant dans les arbres, vers le cœur de la forêt. Jacob lui emboîta le pas sans un mot, suivi de Tristan puis de Virginie, et enfin Vincent. Tiffany regarda derrière nous, vers la falaise de la veille, vers la lointaine lisière de la forêt que nous avions quittée un mois plus tôt. Ensuite ses yeux se posèrent sur moi, et ils brillaient. Elle acquiesça, comme pour me remercier, et suivit la trace des autres. À mon tour, je me tournai vers notre point de départ. Je devinais, au loin, très loin, la civilisation. A l’idée des bâtiments, des voitures, de la pollution et du béton omniprésent, un frisson étrange descendit le long de ma colonne vertébrale et ferma mes paupières. C’était incompréhensible comme cela me manquait, mes amis, ma famille, et en même temps comme je n’avais aucune envie de retrouver cet endroit. Je me sentais chez moi ici. C’était si différent. Je rouvris soudainement mes yeux et me mis à courir pour rattraper les autres.

Ils étaient au bord d’un torrent quand j’arrivai à leur niveau, et le maître ne fit aucune réflexion quant à mon retard. Il nous expliqua que nous allions devoir traverser, mais qu’avec un courant aussi fort, ce n’était pas chose aisée. Vincent demanda s’il n’y avait pas d’autre moyen, ou au moins un endroit plus facile à traverser. L’instructeur le regarda un instant et, à mon grand étonnement, il prit la peine de lui répondre. Non.

Il entra dans l’eau et avança laborieusement vers l’autre rive. Nous voyons l’eau s’écraser contre lui, tenter de le faire flancher, de gagner du terrain sur lui centimètre par centimètre, dans le but de l’engloutir. Mais il finit par arriver sur la terre ferme et, sorti de l’eau, se retourna pour nous regarder. Personne ne semblait vouloir s’aventurer dans le liquide glacé, si bien que je finis par me dire que je n’avais qu’à y aller moi-même. Je finirais bien par devoir le faire, de toute façon. Je m’approchai et mis un pied dans l’eau, puis l’autre. Le froid remonta jusqu’à ma tête, tellement contrasté avec le soleil qui brûlait déjà que j’eus une vague de migraine. Je commençai ma progression, et alors que l’eau n’était qu’à mes genoux et qu’il me restait vingt mètres à parcourir, je sentais déjà sa pression. Je résistai à l’envie de lancer un regard à Virginie, car je savais ce que je lirais dans ses yeux. Et je savais que sa peur me ferait faire demi-tour. Je n’étais qu’à moitié rassurée par le fait que notre instructeur avait visiblement eu pied lors de toute la traversée. Je respirai un bon coup et me remis à avancer, pas à pas, en prenant bien soin de m’enfoncer, de m’ancrer dans le sol le plus possible, sans pour autant perdre trop de temps et de force à lutter contre l’eau. Ma mâchoire se contracta lorsque le niveau atteignit ma taille, amenant une nouvelle vague de froid. L’eau était si pure autour de moi que j’étais presque tentée de m’arrêter pour la contempler. Ce torrent qui désirait apparemment dévorer tout humain s’en approchant n’aurait pas dû m’inspirer confiance. Je ne me rendis compte qu’alors que j’avais ralenti, et repartis à un bon rythme, concentrée sur Raphaël, de peur de perdre le combat contre la magie de cet endroit, ce qui me coûterait la vie. J’avais peur mais, pour une raison inconnue, ce sentiment était enfoui au fond de moi.

Perdue dans mes pensées, je fis un faux pas. Mon pied glissa sur un caillou et vint se coincer entre deux rochers. Je perdis l’équilibre alors que ma jambe, assaillie par l’eau quand je perdis tout appui, se tordit quand mon corps fût entraîné vers la droite, heurta le rocher le plus grand des deux et s’entailla. Tout cela se passa en une fraction de seconde, et le cri de douleur et de peur qui m’échappa à cet instant fut brusquement coupé par la surprise lorsque ma tête entra dans l’eau. D’une certaine façon, je fus reconnaissante d’être solidement attachée au rocher, sous peine d’avoir déjà été emmenée au loin, mais la douleur limitait ma gratitude. Je tentai de remettre mon autre pied sur une roche stable pour pouvoir pousser dessus et remonter à la surface, et cela en combattant l’envie furieuse d’aspirer de l’air pour remplacer celui que j’avais vidé en criant. Lorsque j’arrivai enfin à émerger, la première chose que je vis fut Raphaël, accroupi au bord de l’eau, une expression incertaine sur le visage. Se demandait-il vraiment s’il devait ou non venir me chercher ? Je battis les bras dans l’eau pour rester vaguement à la verticale et pris une grande goulée d’air. Visiblement, mon cerveau n’était plus capable de réflexion après cela, comme s’il n’avait bien voulu fonctionner que dans un but de survie immédiat, car au lieu de conserver le précieux oxygène, je le gaspillai en hurlant à nouveau J’entendis Virginie faisant écho à mon cri, atténuée par le bruit de l’eau, furieuse de ma résistance. J’étais au point le plus profond du torrent, à mi-chemin, et même lorsque je pouvais me tenir debout correctement mes épaules étaient englouties. Maintenant, seul mon visage dépassait, mes oreilles à peine de temps à autres. Je refis un bref séjour sous l’eau où, bouche ouverte, je goûtai le sang qui la polluait. Mon sang. Je donnai une nouvelle impulsion pour me relever et m’époumonai à nouveau, mais cette fois sciemment.

- Raphaël !

Je respirai encore et cessai de me battre, épuisée.

Je sentis ses mains se refermer sur le haut de mes bras et me tirer vers le haut. Je le sentis coller mon corps au sien, j’entendis vaguement un murmure qui me disait « Tu vois, je ne vous laisserai pas mourir ». Puis il me serra et le courant diminua. Nous nous éloignions. Je sursautai à peine quand ma cheville heurta un nouveau rocher. Quand il m’allongea sur les pierres chaudes de la rive, je bénis le soleil qui les avait rendues brûlantes et je souris doucement. J’ouvris les yeux et vis le visage de Raphaël au-dessus de moi, mais aussi celui, dégoulinant, de Jacob. Je fronçai les sourcils, me demandant un instant comment il était arrivé là, et dans le lointain j’entendis « Elle est blessée ». Puis mes yeux se refermèrent, et la lumière fit place à une noirceur intense.

La première chose dont je fus consciente fut un vague bruit continu, fluctuant. Mon cerveau était trop ralenti pour l’identifier, ou même simplement vouloir le faire. Il se concentra alors sur quelque chose de plus immédiat : un mal lancinant qui se réveillait dans les environs de mes jambes. L’air qui s’engouffra dans mes poumons me sembla être une bénédiction, puis un mal, car une vague de douleur m’assaillit et le hurlement qu’elle engendra brûla ma gorge. J’ouvris mes yeux et les trouvai embués de larmes, ce qui rendait mon univers trouble. Une main chaude se posa sur mon bras, rassurante. Une autre main, d’un autre acabit, me frappa au visage, ce qui eut pour effet de me sortir en sursaut de mon état second. J’entendis un grognement désapprobateur, voire menaçant, venant de ma gauche. Je tournai la tête et vis Jacob qui lançait un regard noir à notre instructeur, manifestement possesseur de la main qui venait de me gifler. Mais Raphaël ne sembla pas s’en soucier outre mesure car il me regardait gravement. J’étais encore trempée, ce qui voulait dire que je n’avais pas été inconsciente longtemps, vu que le soleil aurait vite fait de me sécher. Je me redressai, avec l’aide de Jacob, et regardai timidement ma jambe meurtrie. « Ah. Nom de Dieu, » fut tout ce que je trouvai à dire. Mon mollet droit était ouvert sur un dizaine de centimètres et du sang coulait de la plaie, teintant les cailloux. Mon inquiétude suivante se trouvait de l’autre côté de la rivière, sous la forme d’une jeune femme d’un mètre soixante-sept aux cheveux bruns qui regardait dans ma direction, terrorisée. Tiffany avait passé un bras autour de sa taille, trop petite pour atteindre ses épaules, pour la réconforter. Je lui fis doucement signe de la main. C’est ce moment que choisit Raphaël pour commencer à déchirer des morceaux de tissu. Il banda ma jambe en quelques instants puis posa des yeux sévères sur moi.

- C’est un endroit sacré.

Je le regardai sans comprendre.

- C’est aussi une blessure sacrée. Combats-la.

Il ne me laissa pas le temps de répondre et se releva, recula vers son promontoire et regarda dans la direction des autres, attendant clairement qu’ils traversent à leur tour. Jacob lui jeta un regard interloqué mais je comprenais ce qu’il faisait : son travail. Je posai ma main sur l’épaule de mon ami et me relevai, sourcillant lorsque mon pied toucha le sol, bien que je m’appuyais sur l’autre jambe. Je regardai les autres, en face, et puis m’adressai à Jacob.

- Il faudrait qu’ils y aillent tous ensemble. Tristan à droite, vers la source de l’eau, les deux filles puis Vincent. S’ils bougent tous en même temps, il n’y a que la résistance de Tristan contre la force des quatre.

- C’est vrai, mais si l’un d’eux trébuche, ils tombent tous. Et nous ne sommes que deux pour aller les rechercher, vu que tu es… estropiée.

- Tu as une meilleure idée ? Si je n’ai pas réussi, Virginie n’y arrivera pas, et Tiffany encore moins. Comment as-tu fait, d’ailleurs ?

- J’ai eu peur pour toi. Je ne savais pas si l’autre fou allait venir t’aider, alors je n’ai pas réfléchi plus loin que ça et j’ai nagé et couru.

C’était la première fois que je l’entendais admettre qu’il avait un sentiment quelconque pour un autre être humain, mais il l’avait dit d’une façon tellement rigide que je ne relevai pas. Il débattit un instant avec lui-même puis hocha de la tête et cria mes instructions à Tristan. Celui-ci acquiesça et prit Virginie à son côté, bien serrée, alors qu’elle était encore attachée à Tiffany. Vincent se rajouta alors que les trois autres resserraient leurs prises les uns sur les autres. Ils entrèrent doucement dans l’eau et se mirent en route, régulièrement. Je regardai Jacob.

- La rivière est sacrée. Il n’y a pas que le courant, il y a aussi quelque chose d’autre qui t’empêche de passer. Cela te donne envie de t’arrêter vers le milieu. Il faut qu’ils sachent.

Il s’approcha de l’eau sans poser de question et leur hurla à nouveau mes paroles. Après cela, ils hésitèrent à peine lorsqu’ils arrivèrent à mi-chemin, et Tiffany leur ordonna de se concentrer sur le but à atteindre. Ce fut efficace, car ils finirent par arriver, sains et sauf. Une fois qu’ils furent tous solidement sur la terre, Virginie brisa les rangs et se précipita sur moi, prenant tout de même garde à ma jambe. Je souris doucement et elle me prit dans ses bras.

- Ne refais plus jamais ça.

- Promis.

Notre instructeur nous rejoignit pour nous dire qu’il fallait se remettre en route. Les jumeaux commencèrent à protester, et Raphaël me regarda dans les yeux.

- Nous sommes presque arrivés.

Je fis un simple mouvement de tête et commençai à avancer, mais je ne pus retenir un léger gémissement lorsque je voulus utiliser ma jambe droite. Tristan vint m’aider sans rien dire et les autres nous emboîtèrent doucement le pas. La bande de cailloux ne s’étendait que sur une dizaine de mètres, puis la jungle revenait. Le soleil commençant à décliner, on ne l’apercevait que rarement entre les feuillages, bien que sa lumière nous parvenait. Heureusement, le terrain était plutôt plat. Je me voyais mal escalader une falaise avec une jambe blessée, et je n’avais pas envie de demander à Jacob encore un service, même s’il l’aurait fait sans protester. Tristan supportait mon poids et mes cris étouffés depuis plusieurs heures lorsque nous débouchâmes sur une clairière que nous n’avions absolument pas vue venir. Une douce chaleur m’envahit alors. Enfin.

L’herbe était vert pâle, dense, courte. Les arbres qui nous entouraient étaient agréables à regarder, hauts d’une quinzaine de mètres. Il y avait une petite mare d’eau foncée d’où émergeait, en son milieu, un dôme de pierre d’une vingtaine centimètres de haut et quinze de diamètre. Si on s’en approchait et qu’on regardait bien, on pouvait apercevoir des inscriptions sur la pierre, sous l’eau, mais il était difficile de les déchiffrer. Nous nous assîmes instinctivement en cercle autour de la marre après avoir ôté nos chaussures, Tristan m’aidant, évidemment. Je tendis ma mauvaise jambe, et mon talon toucha l’eau. Nous parlâmes jusqu’à la tombée de la nuit, et petit à petit nous nous allongeâmes, pour finir par nous endormir ainsi disposés.

Viens me rejoindre. J’ai besoin de ton aide.

J’ouvris les yeux et une lumière attira mon attention. Petite, douce, dansante, elle sortait de l’eau en tournant paresseusement autour de la pierre. Elle gagnait en éclat au fur et à mesure. Au moment où elle allait arriver à l’air, je pus lire ce qui était gravé dans la roche, puis je me demandai presque immédiatement si ce n’était pas le fruit de mon imagination. Mais pourquoi pas, après tout. Cet endroit était sacré.

La lumière arriva au sommet de la pierre et s’arrêta, brillant de plus en plus, alors que d’autres, peu d’abord, ensuite de plus en plus, montaient vers la surface comme des bulles. Elles s’attaquèrent en légion à mon pied qui était toujours dans l’eau et tournoyèrent autour de moi avec ferveur mais sans me blesser. Les autres furent réveillés par tant de lueurs et me regardèrent avec un mélange de fascination et de peur. Une voix résonnait dans ma tête, claire. Il est temps de choisir. Veux-tu me rejoindre ? Il le faut. Toi et tous tes compagnons. J’ai besoin d’aide !

« Oui », murmurai-je. L’aube pointait à l’horizon. Des larmes coulaient le long de mes joues, et la voix qui était depuis des mois cantonnée dans ma tête en sortit brusquement pour être audible à tous. Elle leur expliqua qu’elle avait besoin d’eux, plus que tout au monde. Elle les fit pleurer, mais ce n’était pas de la tristesse, juste un sentiment étrange que l’on a quand on sait que son destin se trouve juste devant soi. Cette sensation d’enfin savoir. Nous n’avancions plus aveuglément dans le monde en nous demandant pourquoi nous étions nés. À cet instant précis, nous savions. Mais cette connaissance parfaite et profonde ne dura pas plus loin que cette nuit-là, parce que dès l’instant où nous décidâmes d’un même élan d’embrasser la destinée étalée à nos pieds, les lumières tournèrent au rouge et nous enveloppèrent tous. Quand elles disparurent enfin, nous ne savions pas où nous étions. Le noir était presque palpable autour de nous et l’odeur qui régnait dans l’air étant étrange, inconnue.

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