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La disparue de l'Aber Wrac'h

La disparue de l'Aber Wrac'h

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Chapitres

Il existe, Ă  la pointe armoricaine, une terre oĂč l'ocĂ©an apaisĂ© se glisse dans les Abers et façonne le paysage vrai du FinistĂšre. C'est lĂ , entre terre et mer, face aux vents du large que disparaissait, il y a vingt ans, une petite fille, Lily, avec pour seul tĂ©moin le phare de l'Ăźle Vierge. Au mĂȘme moment, on dĂ©couvrait dans la mystĂ©rieuse forĂȘt de Huelgoat les corps ensanglantĂ©s d'un couple de riches entrepreneurs. LĂ©gendes celtiques, rituels sataniques ou crimes crapuleux ? Les curieux dolmens de la grotte du Diable n'ont jamais rĂ©vĂ©lĂ© le mystĂšre de la tuerie des parents de Lily. Pour le Capitaine Jo Maillard, l'affaire semble avoir Ă©tĂ© classĂ©e trop vite. Parviendra-t-il Ă  faire toute la lumiĂšre sur ces dramatiques Ă©vĂšnements qui ont dĂ©frayĂ© la chronique vingt ans plus tĂŽt ? À PROPOS DE L'AUTEURE CrĂ©er l'Ă©motion par l'Ă©criture, telle est l'ambition de Carole Aime qui, Ă  la faveur du confinement, a traduit son imagination par des mots afin de donner vie Ă  ses idĂ©es.

Chapitre 1 Le phare de l'Ăźle vierge

Il existe Ă  la pointe Armoricaine, une terre

Riche d'histoires de pirates et de corsaires

OĂč l'ocĂ©an apaisĂ© se glisse dans les Abers

Et façonne le paysage vrai du FinistÚre

Quels décors sublimes que ceux de la cÎte des légendes !

Ici, la mer rencontre les rivages sauvages bordés de lande

Des criques de sable blanc aux eaux vert menthe

Protégées par d'anciens phares en pierre immenses

Ondulant paisiblement dans la campagne Bretonne

Les trois Abers à chaque méandre nous étonnent

Révélant des trésors au détour des rives, qui foisonnent

Ballade iodée dans une nature qui rayonne

L'Aber Wrac'h serpente entre pont du Diable et rivages boisés

Le fjord béni, l'Aber Benoit, explose de couleurs nacrées

Puis le timide Aber Ildut, dévoile son charme discret

Ces trois merveilles du Léon offrant leur palette de teintes dorées

Ces rias ont façonné les cÎtes et les champs

Ici, le spectacle cadencé des marées est saisissant

Les parcs à hußtres se dévoilant pudiquement

RiviĂšre et ocĂ©an, Ă  marĂ©e haute se mĂȘlant intimement

Il existe au nord de la Bretagne

LĂ  oĂč terre et mer se rejoignent

Protégé des vents soufflant du large

Un petit coin de paradis qui nous gagne

Le grand phare de l'ßle vierge, solide comme un roc, élégante sentinelle de pierre de taille en granit rose, surveillait du haut de ses quatre-vingt-deux mÚtres les intrépides bateaux qui naviguaient prÚs des récifs de Plouguerneau. Les enfants de l'école communale avaient joyeusement, et presque facilement, grimpé les quatre cents marches qui les menaient au sommet de la tour mystérieuse.

Les marches taillées dans la pierre de Kersanton, chaque bloc étant unique, formaient une immense spirale suspendue qui rivalisait d'élégance avec le manteau bleu pùle des douze mille cinq cents plaques d'opaline des manufactures Saint-Gobain qui tapissaient l'intérieur du géant.

Phare en pierre le plus haut d'Europe et incontestablement le plus beau aussi !

Madame Kerbrat, la vieille institutrice, mit beaucoup plus de temps que ses Ă©lĂšves pour atteindre, Ă  bout de souffle, les derniĂšres marches en fer qui conduisaient Ă  la lanterne, tout en haut de la tour cylindrique. Le panorama Ă©tait Ă©poustouflant, on pouvait balayer d'un seul regard la cĂŽte des Abers, les Ăźles du FinistĂšre et surtout la cĂŽte des naufrageurs.

L'ßlot de la vierge était plat, au ras de la mer d'Iroise. Les vents violents et tempétueux qui soufflaient si souvent sur cette cÎte ne permettaient pas la pousse d'arbres, mais la végétation rachitique, épineuse et rampante semblait convenir aux nombreuses colonies de goélands qui avaient élu domicile au pied de la tour cylindrique.

En ces jours de grandes marées, il était possible de venir, à pied, sur l'ßlot de la vierge. Il fallait bien sûr respecter scrupuleusement les horaires pour ne pas prendre le risque de rester bloqué sur les récifs granitiques qui se retrouvaient en pleine mer, à marée haute.

Pour les écoliers, la sortie annuelle au grand phare, le joyau du pays des Abers, était une aventure extraordinaire, une exploration en terre inconnue peuplée de terrifiantes légendes bretonnes et celtiques.

Le pays des Abers, à la pointe FinistÚre, regorge de paysages exceptionnels façonnés par les vents, les courants, modelés par les assauts furieux et inlassables de l'océan. Les fjords bretons, protégés en leur embouchure par ces sémaphores éternels, offrent un abri paisible et réconfortant aux plaisanciers du dimanche et aux oiseaux migrateurs à bout d'aile. De longues plages de sable blanc comme de la farine Francine, des criques sauvages bleu turquoise comme dans les mers du sud, ces vallées fluviales vont à la rencontre d'une nature sauvage et préservée.

Chaque aber est unique et dévoile des trésors insoupçonnés, nous invitant à les découvrir dans de longues ballades iodées. L'air vivifiant du large dans la douceur de cette nature bigarrée nous invite à la contemplation, à la méditation.

Comme une invitation au bonheur.

À Plouguerneau, et plus prĂ©cisĂ©ment face au petit bourg de Lilia, le phare de l'Ăźle vierge, Ă©tait un repĂšre prĂ©cieux pour les marins, un gĂ©ant des mers salutaire et protecteur au croisement de la mer d'Iroise et de la Manche. Un couloir maritime trĂšs empruntĂ© et trĂšs dangereux. Un couloir de la mort !

En fait, on comptait deux phares sur le petit ßlot. Le plus petit, érigé en 1845, s'avéra d'une portée insuffisante à éloigner les bateaux des nombreux récifs présents sur la cÎte, il fut vite obsolÚte et quelques années plus tard, on construisit un deuxiÚme phare pour sécuriser au maximum cette incontournable route maritime.

Il n'y avait plus de gardien dans cette tour de guet. Comme presque tous les phares, il Ă©tait devenu automatique. Les deux tiers des phares français Ă©taient Bretons, et les gardiens avaient tous pris leur retraite. Certains Ă©taient mĂȘme devenus fous Ă  cause de l'isolement et des conditions de vie particuliĂšrement rudes. D'ailleurs, les phares Ă©taient classĂ©s en trois catĂ©gories en fonction de la duretĂ© de vie pour les gardiens qui vivaient isolĂ©s et reclus pendant des semaines et parfois mĂȘme durant des mois : les « paradis » pour les phares situĂ©s sur le continent, les « purgatoires » pour ceux construits sur des Ăźles et les « enfers » pour les sentinelles de pleine mer.

L'ßlot de la vierge était si petit, la force des éléments si puissante, que le phare se situait plus en enfer qu'au purgatoire.

La découverte de ces impressionnants édifices, diamants bruts du patrimoine maritime Breton, fascinait les enfants. Ils s'imaginaient naviguant dans l'océan déchaßné, en proie aux forts courants qui les attiraient sur les cÎtes déchiquetées,

cherchant désespérément ces lumiÚres dans la nuit noire, ou se voyaient gardiens de phare, veillant sur la sécurité des marins dans cette tour d'opaline.

La vieille institutrice tentait de démultiplier son cours de géographie auprÚs d'une classe particuliÚrement indisciplinée. Les enfants étaient redescendus du phare à toute allure, défiant allÚgrement les lois de la gravité, mais ils étaient tous là, entiers, pleins d'énergie, en bas des marches du vieux phare. Heureusement, pensa-t-elle, qu'ils étaient peu nombreux. En effet, la classe unique de la petite école ne comptait que six élÚves ùgés de six à dix ans, trois garçons et trois filles.

Lily, Chloé et Gwen écoutaient attentivement leur maßtresse, contrairement à leurs petits camarades Loïc, Steven et Rudy qui couraient autour du phare en se jetant des paquets d'algues, mélange puant indéterminé, de couleur brune et verte, sans doute du goémon.

Le pĂšre de LoĂŻc Ă©tait goĂ©monier, un pĂȘcheur d'algues prĂ©cieuses, un paysan breton qui rĂ©coltait du goĂ©mon. Devait-on parler de pĂȘche ou de rĂ©colte ? Sans doute les deux mĂ©tiers se complĂ©taient-ils pour extraire ce trĂ©sor maritime. Le prĂ©cieux varech, qui finirait en dĂ©corum dans les plus belles assiettes des restaurants Ă©toilĂ©s proposant leurs divins plateaux de fruits de mer Ă  une clientĂšle de connaisseurs aisĂ©s, ou bien consommĂ©s en vĂ©ritables lĂ©gumes verts au goĂ»t particuliĂšrement iodĂ©, prĂ©sents dans les cuisines de chefs inventifs, ou en poudres green magiques, en crĂšmes cosmĂ©tiques onĂ©reuses tartinĂ©es sur des peaux matures, trĂšs matures.

Madame Kerbrat, essayait dĂ©sespĂ©rĂ©ment de faire son cours, mais les chĂšres petites tĂȘtes blondes, se rĂȘvaient pirates ou corsaires, et voguaient dĂ©jĂ  vers les Ăźles infernales.

- Connaissez-vous la légende des naufrageurs ? demanda-t-elle avec malice.

- Non, maĂźtresse, rĂ©pondirent les enfants en chƓur, tout excitĂ©s, racontez-nous.

- Qui voit Ouessant voit son sang, qui voit MolÚne voit sa peine, qui voit Sein voit sa fin, qui voit Groix voit sa croix. Sur les cÎtes découpées et dans les dangereuses ßles bretonnes, dans les siÚcles passés, des habitants trÚs pauvres, sans foi ni loi, se transformaient en naufrageurs. La nuit, ils allumaient dans la lande, sur les falaises, des feux pour attirer les navires et les faire échouer sur les brisants. On ne comptait plus le nombre de naufrages qui faisaient le bonheur de ces pilleurs sanguinaires. Ils dépouillaient sans aucune pitié les blessés, les achevant pour leur voler leurs effets personnels, leurs bijoux... Ces charognards ramassaient les cargaisons des bateaux échoués qui étaient ensuite vendues ou serviraient à améliorer leur piteuse vie.

Les petits Ă©taient friands d'histoires sanguinaires et de lĂ©gendes terrifiantes, ils en redemandaient, mĂȘme si au fond d'eux mĂȘme, ils Ă©taient terrorisĂ©s, mais aucun d'entre eux ne l'aurait avouĂ©

- Racontez-nous la lĂ©gende de la forĂȘt d'Huelgoat, oui la forĂȘt du Diable, demandĂšrent-ils surexcitĂ©s.

- D'accord, répondit-elle, je vous la raconterai en marchant, car on doit vite rejoindre la cÎte avant que la marée remonte, et seulement si vous vous tenez tranquille, les garçons, compris ?

Elle leur raconta Ă  sa façon, la lĂ©gende de la mystĂ©rieuse forĂȘt oĂč des rochers aux formes Ă©tranges, des menhirs, semblaient avoir Ă©tĂ© jetĂ©s par des gĂ©ants. Ce chaos de blocs de granit abritait de bien curieuses crĂ©atures : des fĂ©es, ma fois plutĂŽt gentilles qui se baignaient dans les mares, des korrigans, de sournois et mĂ©chants petits gnomes cachĂ©s dans les grottes, et surtout le Diable qui surveillait et attendait ses proies prĂšs du pont.

Les lutins, les fĂ©es, le Diable, l'Ă©paisse brume qui ne se dissipe jamais dans cette sombre forĂȘt, les roches qui peuvent trembler et Merlin l'enchanteur... elle finissait l'histoire quand ils arrivĂšrent sur la jetĂ©e. Le ciel Ă©tait devenu subitement noir et un crachin quasi quotidien les accueillit sur la terre ferme. Il fallait encore marcher deux kilomĂštres pour se rendre Ă  l'Ă©cole.

Goûter improvisé sous l'abri bus pour se protéger des bourrasques du vent d'ouest et de la pluie qui tombait de plus en plus fort, et pause pipi pour tous dans les toilettes publiques au fond de la place. Vingt minutes plus tard, le dernier enfant sortit des w.c. publics et ils prirent le chemin de l'école.

- MaĂźtresse, elle est oĂč Lily ? demanda ChloĂ©, ne voyant pas sa copine.

La question hantait toujours Chloé, vingt ans plus tard. Lily avait disparu dans les Abers, elle avait huit ans.

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