Les Héritiers suivent les traces du Chant Originel jusqu'à Val Selyor, cité des Reflets. Là, chaque héros affronte ses propres ombres : révélations sur leurs origines, visions du passé et premières fractures internes. La Marche des Cendres - rituel ancestral - les marque à jamais, scellant leur lien avec la Source.
Il y avait autrefois un Chant que rien ne pouvait briser.
C'était un feu doux, invisible, qui s'insinuait dans les pierres, dans les arbres, dans les noms. Un flux profond que seuls les anciens savaient entendre, et que les enfants pressentaient dans leurs rêves. Il tissait les liens du monde, non pas comme une mélodie linéaire, mais comme une polyphonie vivante, mouvante, toujours en mutation. C'était le battement du vivant, la promesse d'une mémoire partagée, la pulsation du tout.
Puis, un jour, une note se brisa.
Et le monde oublia comment écouter.
Dans une région oubliée des cartes, entre les falaises de Selnor et les forêts pétrifiées du sud, une forme glissait sur les crêtes sans laisser de trace. Drapée d'un manteau fait de fils d'ombres, elle ne portait pas de nom. Même ses souvenirs, elle les tenait à distance.
Mais elle savait.
Elle savait que le Chant s'était fendu.
Et que la fracture s'élargissait.
Elle marcha jusqu'à l'arche renversée, aux bords d'un ravin silencieux. Là, dans le vent, elle murmura :
- L'éclat s'éveille. Le gouffre suit.
Ailleurs, bien plus loin, Kaël ouvrit les yeux.
Il haletait.
Le rêve le hantait encore : un miroir suspendu au-dessus d'un gouffre. Son reflet le regardait, mais ce n'était pas lui. C'était ce qu'il deviendrait, s'il n'apprenait pas à choisir.
Depuis l'éveil du Chant inversé, depuis le contact avec l'Obélisque noir, tout en lui résonnait différemment. La pierre contre son cœur vibrait par pulsations longues, espacées. Elle ne brûlait plus. Elle attendait.
- Tu rêves encore ? demanda Liora à voix basse.
Elle était assise près de lui, jambes croisées, observant l'aube s'élever au-dessus de la mer de collines.
- Pas vraiment des rêves, murmura-t-il. Plutôt des éclats. Des souvenirs qui ne m'appartiennent pas.
Elle hocha lentement la tête.
- Ils sont à nous tous. À ceux d'avant.
Sareth, lui, ne dormait plus.
Pas vraiment.
Il entrait dans des états d'éveil incomplet, où son reflet revenait lui parler à demi-mot. Il ne le craignait plus. Il le suivait. Il apprenait à écouter ses silences.
Cette nuit-là, il l'avait entendu lui dire :
« Le prochain Fragment n'est pas gardé. Il attend. Et il saigne. »
Il s'était levé sans un mot.
Et il savait où aller.
Thäros observait le ciel.
Des filaments de lumière, à peine visibles, passaient entre les nuages comme des veines brûlées. Ce n'était pas naturel. Ce n'était pas nouveau non plus. C'était le Chant. Ou du moins ce qu'il en restait.
Il repensa aux jours du Cercle. À cette époque où l'on croyait encore que l'ordre suffisait. Que le feu pouvait être structuré. Guidé.
Mais ces enfants... ces Héritiers... ils n'étaient pas des étudiants. Ils étaient le chant lui-même, revenu à l'état brut, fracturé, dangereux. Et pourtant nécessaire.
Il murmura pour lui-même :
- Vous n'êtes pas prêts. Mais personne ne l'a jamais été.
Quand ils reprirent la route, rien ne fut dit.
Mais chacun savait.
Ils se dirigeaient vers Val Selyor. Non plus pour apprendre. Mais pour plonger.
Car le Fragment suivant... ne se trouvait pas dans une tour. Ni dans un sanctuaire.
Il était tombé.
Et les ruines l'avaient englouti.
Une mer de brume s'étendait devant eux, masquant les flancs déchiquetés d'un ancien gouffre. Des arbres morts y surgissaient comme des aiguilles noircies, et des lueurs, parfois, se formaient puis s'éteignaient sans cause.
- C'est là, dit Liora.
Kaël toucha sa pierre.
Elle vibra. Très lentement.
Mais elle vibra.
- Il nous appelle.
Sareth murmura :
- Ou il nous avale.
Leur descente fut lente, rythmée par la tension des souvenirs, les bruits distants d'échos anciens.
Et bientôt, ils virent.
Une brèche dans la terre. Une faille. Une blessure.
Et en son cœur, un fragment de lumière.
Mais autour de lui... des silhouettes.
Tordues. Brisées.
Des Serviteurs corrompus.
Ils chantaient.
Mais à l'envers.
Kaël recula.
Le Chant le tira en avant.
Et dans ses paumes, une douleur : le Fragment s'éveillait à nouveau.
- Il faut descendre, dit-il.
Thäros serra les dents.
- Alors écoutez. Chaque note. Chaque voix.
Liora ferma les yeux.
- Le Chant n'est plus entier.
Et elle ajouta :
- Ni nous.
Dans le cœur de la fracture, le Chant vibra une fois.
Pas comme une promesse.
Comme un avertissement.