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Immarcescible
5.0
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Chapitres

Immarcescible est un corpus de textes qui laisse un goût amer immarcescible en bouche. Ce recueil de nouvelles, petit par la taille mais grand par le sens, vous fera voyager à travers le temps au fil de cinq chapitres oscillant entre une réalité brutale et sans concession, et un fantastique glacial. Variant les styles, Immarcescible est bien plus qu'un livre : c'est un exercice de style qui sert de prétexte à l'exploration de multiples références et réflexions sur des thématiques immarcescibles. Chaque nouvelle possède son propre style et est ouverte à l'interprétation. À la fin de l'ouvrage, un dossier de notes explicatives présentera les différentes références et clés de lecture. Bien que chaque nouvelle puisse être lue de manière indépendante, l'ensemble constitue un tout cohérent qui révèle un sens différent lorsqu'il est considéré dans son intégralité.

Chapitre 1 Fragment I - Détruire le bon

Le clocher sonna dix heures. La matinée était déjà bien entamée, et il faisait bon à l'extérieur. C'était le printemps, et le soleil radieux baignait la nature verdoyante et féconde de sa caresse bienfaisante. Adèle poussa doucement la porte de sa petite maison en pierres, et sortit, un panier en osier à la main, recouvert d'un tissu immaculé. Elle respira à plein poumons. La jeune femme était en parfaite harmonie avec la saison, jolie fleur en train d'éclore, d'une beauté fragile et délicate.

Elle se hâta car aujourd'hui, elle avait beaucoup à faire. Elle se déplaçait d'un pas assuré dans les petites rues pavées qui menaient au centre. Dans le village il se disait que tous les animaux, quels qu'ils soient, la suivaient. Chats, oiseaux, renards, tous demandaient quelques secondes d'attention, une caresse, un murmure, qu'Adèle ne savait leur refuser. Ce jour la, un drôle d'animal semblait la regarder passer au loin.

Elle alla d'abord chez Mme Lespines, la boulangère du village, jeune maman dont le fils était récemment tourmenté d'un mal que les médecins ne savaient soigner. Adèle lui avait proposé d'essayer un remède naturel, sorte de philtre à base de plantes dont la recette lui aurait été communiqué par un cousin herboriste. En quelques semaines, le petit avait déjà retrouvé des couleurs, un miracle. Mme Lespines éprouvait une reconnaissance infinie envers la jeune fille, et ne savait comment la remercier. Les deux jeunes femmes échangèrent quelques mots, et Adèle souleva le linge qui ornait le panier qu'elle portait toujours au bras. Elle en sorti un flacon, qu'elle donna à la boulangère. Celle-ci en échange, l'embrassa, et lui offrit un pain chaud, frais de la matinée. Adèle se réjouissait déjà de pouvoir goûter ce délicieux pain, mais avant cela, elle avait encore à faire. Elle pris congés et s'empressa d'aller rejoindre son prochain point de rendez vous.

En marchant elle sorti de sa poche un petit carnet dans lequel elle griffonna quelques mots. C'était un petit carnet noir, orné d'une armature en métal gris, terne, usé par le temps. Pendant sa marche, elle s'arrêtait toujours discuter quelques instants avec les gens du village qu'elle croisait, et les villageois accouraient pour venir saluer la petite Adèle.

Elle arriva devant la maison du forgeron. Celui-ci en la voyant se senti indigne de la saluer, tellement ses mains de travailleurs pleines de poussière et de suie dénotaient avec la pureté de la peau si fine de la jeune femme. Mais elle le pris de cours, fit une jolie révérence et lui attrapa les mains pour les essuyer avec un tissu qu'elle sorti de sa poche. Une légère brise souffla dans ses cheveux, elle était belle. Elle l'aimait beaucoup ce forgeron, figure masculine du village, apprécié par ses pairs. Juste et loyal, il aidait toujours Adèle lorsqu'elle avait besoins de bras forts, et elle le lui rendait par de la tendresse et de la compagnie. Il était seulement de dix ans son aîné mais connaissait déjà le deuil. La mort de sa femme avait laissé en lui une plaie béante dont seule Adèle savait apaiser la douleur. Elle prenait le temps, et savait trouver les mots, bien que nul n'ait jamais su ce qu'elle pouvait bien lui dire. Le forgeron remercia Adèle d'être passée, et elle se remis en chemin.

Sur la route elle sorti son petit carnet noir et y écrivit quelques mots. Détail qui ne passa pas inaperçu auprès du gros animal qui, de loin, la suivait désormais.

Enfin elle arriva proche du clocher qui sonnait déjà midi, et s'arrêta devant la maison de la vielle Mme Cordaw. Quand celle-ci la vit, un grand sourire illumina son visage. Elle écarquilla de grands yeux, qui se remplirent immédiatement de larmes. Adèle venait d'ouvrir son panier, et d'en sortir un gros chat qui semblait être tiré d'une bonne sieste. C'était le chat de la vieille dame, égaré depuis des semaines, dont les espoirs de le retrouver s'étaient faits de plus en plus mince, créant un vide qui lui nouait la gorge et lui serrait le cœur. Adèle venait de la délivrer de cette peine et de cette solitude.

Elle prit congés, et pour la dernière fois, écrivit quelques lignes dans son carnet. A ce moment elle remarqua du coin de l'œil l'étrange animal, grand homme tout de noir vêtu, un noir verdâtre, qui la salua brièvement et resta immobile. Il avait un grand chapeau noir vissé sur sa tête qui ne laissait entrevoir que le bas de son visage. Adèle ne reconnu pas l'étranger, il n'était certainement pas du village. Elle rangea son carnet, lui renvoya poliment la salutation, et se mit en chemin pour rentrer chez elle. La mâtiné avait été bien chargé et elle senti la fatigue monter. L'idée de se poser chez elle et de savourer le délicieux pain de Mme Lespines lui mis l'eau à la bouche.

Le soleil trônait au zénith, la ballade était agréable, et Adèle profita de chaque instant, chaque son, chaque mélodie, sur le trajet du retour jusqu'à sa petite maison de pierre. Elle poussa la porte d'entrée et s'arrêta net. Son cœur se serra dans sa poitrine. Face à elle se tenaient trois hommes, le ton grave.

« Assieds toi Adèle » lui enjoignit le premier, d'une voix rauque.

« C'est fini, nous savons. » suivi, le second.

« Attendons l'arrivée de notre pair, il ne devrait plus tarder. » fit le troisième. C'était un homme d'église, en robe blanche. A ces mots les deux autres se turent. Et il ajouta «Les informations qu'il nous rapportera seront cruciales. »

Adèle était tétanisée. Elle fixait les trois hommes sans dire un mot. Le premier était un homme corpulent, aux grosses lèvres rouges sang, assorties à un petit foulard noué autour de son coup. Il attrapa Adèle par le bras, le serrant si fort qu'elle senti ses muscle s'écraser contre ses propres os. Ces derniers, exsangues, étaient pareils à une éponge que l'on presse pour en extraire l'eau. Il la tira et l'a fit s'asseoir sur une chaise, face à eux, dos à la porte d'entrée. Quand il lâcha son étreinte Adèle ne sentait plus son bras gauche. Elle rassembla ses esprits et son courage pour bégayer quelques mots.

« Qu...Qui êtes-vous ? »

«Tais-toi.» répondit le second homme froidement, attrapant le pain dans le panier en osier, et en croquant un énorme morceau. « Les questions, c'est nous qui allons te les poser. ».

Il était grand et maigre, et posait sur Adèle un regard noir comme son manteau, et vide comme son âme. A ces mots le gros gloussât et regarda Adèle d'un air lubrique. Il savait bien que les questions dont son comparse parlait faisaient référence à "La question", et cela le réjouissait. Lui n'avait que faire des hérétiques, des traîtres et sorcières. Mais les chasser lui permettait d'assister aux interrogatoires et de laisser libre cours à ses pensées les plus malsaines.

Alors, Adèle aperçut un léger renflement au niveau de l'entrejambe de celui qui se voyait déjà comme son futur geôlier. La nausée lui montait dans la gorge, et un goût amer lui empli la bouche. Elle commençait à sentir ses forces la quitter quand une main chaude vint se poser sur son épaule. C'était le prêtre. Il semblait perdre patience, se languissant d'attendre ce collègue qui n'arrivait pas.

«Mon enfant, lui dit-il, nous pensons que tu t'es détournée du droit chemin. Il nous a été rapporté tes escapades nocturnes. Je vais te le demander simplement : Que faisais-tu hier soir dans la forêt? ».

La vision d'Adèle se troubla. Comment était-ce possible ? Quelqu'un du village lui voulait donc du mal ? Ses mains commencèrent à trembler. Voyant cela, le colosse rougeaud s'avança et la frappa au visage. Un claque cinglante, qui laissa une trace rouge, sur la peau blanche de la jeune femme.

« T'as pas compris la question ? Je te la pose à ma manière ? ».

« Assez..., intervint l'homme d'église. Tu t'emportes. » Puis il s'adressa au second, « Elle est sous le choc, donne lui un peu de pain. ». Mais ce dernier avait déjà tout englouti.

« Trop tard. » ricana-t-il.

Adèle laissa échapper une larme. Sa joue lui lançait, mais elle se ressaisit et répondit, en montrant du doigt un sac accroché à la cheminée. L'homme en blanc s'en approcha : il était rempli de champignons. Les trois hommes échangèrent un regard en silence. Le maigrelet s'approcha à son tour, mais ne s'intéressa pas au contenu du sac. Il souleva les souliers encore pleins de boue de la jeune femme, qui séchaient contre le mur.

« Dans la foret il y a de terre, de la boue, mais pas de cendres. » ricana-t-il montrant une matière grisâtre sur la semelle des chaussures. Les trois hommes se retournèrent vers Adèle, silencieuse, la gorge nouée, en proie à un stress intense. Un stress qui lui susurrait à l'oreille « Cours, ne te retourne pas, et enfuis toi ! ». Elle prit une grande respiration et se redressa sur sa chaise. C'était le moment.

Mais, à cet instant, la porte d'entrée s'ouvrit et un air glacial envahit la pièce. Et voici que parut le quatrième. Un homme au teint pale. Adèle le reconnu, c'était l'étranger, l'animal sauvage qu'elle avait croisé un peu plus tôt dans le village.

« Nous t'attendions, dit le prêtre. As-tu des informations sur le cas que nous devons traiter ? »

«Chers confrères, je pense que les réponses que nous cherchons se trouvent dans un petit carnet noir orné de métal que cette jeune femme tiens bien caché sous ses guenilles. Je vous laisse vous en saisir. » répondit-il calmement.

A ces mots, les trois hommes ne perdirent pas de temps avec les politesses, et se jetèrent sur Adèle, déchirant ses vêtements pour récupérer le dit carnet. La jeune femme à moitié dénudée éclata en sanglot et rampa péniblement vers la porte d'entrée. Ses jambes avaient étaient piétinées dans la cohue et son bras gauche lui faisait atrocement mal.

Les quatre hommes se rassemblèrent autour du carnet, l'ouvrirent et, dans un silence religieux, lurent la première page. Le prêtre referma le livre.

« Nous en avons vu assez. Ce sera la purification par le feu aujourd'hui même.»

Le second ricana « Nous allons faire de toi un exemple sale catin. »

Le troisième, un peu déçu de la rapidité des événements, grommela quelques injures.

Enfin le dernier, l'animal verdâtre, se contenta d'un ironique «Adieu » en transperçant la jeune Adèle du regard.

La nouvelle se répandit vite. L'après midi un bûcher fut érigé sur la grande place. Lorsque le clocher sonna seize heure, le bourreau mis feu au tas de bois et de paille sur lequel était attachée la jeune femme. Tout le village était là, silencieux et sidéré, face au spectacle macabre de la chair fondue. S'en était fini d'Adèle. Le prêtre jeta le petit carnet noir dans le brasier ardent et chuchota « Pars avec tes secrets. ».

Quand il ne resta plus qu'un tas cendre chaudes, la foule se dissipa. Seul le forgeron resta. Il s'avança au milieu du tas de cendres et s'effondra à genoux. La douleur qu'il ressentait l'empêchait de hurler, elle lui coupait le souffle. Il était de nouveau seul, impuissant. Il éclata en sanglots, et dans un spasme incontrôlable, il heurta de sa main, un bout de métal chaud, l'armature du petit livre noir d'Adèle. Il le récupéra et s'en alla à sa forge. De ce bout de métal il fit une lame avec laquelle il se trancha la gorge. Quelques semaines après ces événements, le fils de Mme Lespines succomba à la maladie. Le chat de Mme Cordaw disparu et ne fut plus jamais revu dans le village. Ce dernier quant à lui, se dépeupla au fil des années, la population vieillissant, il ne resta bientôt plus que les maisons en pierre, et le silence de la nature reprenant ses droits sur ses terres.

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