Lina, adoptée dès son plus jeune âge, croyait avoir échappé à l'orphelinat pour une vie meilleure. Mais son quotidien s'est rapidement transformé en cauchemar. Raillée et maltraitée par sa mère adoptive, elle ne trouvait du réconfort que dans les bras d'Elise, la vieille domestique dévouée qui l'a élevée avec tendresse. Lorsque cette dernière tombe gravement malade, les parents adoptifs de Lina refusent de payer les soins, à moins que Lina ne prenne la place de leur fille biologique dans un mariage arrangé avec un homme aussi célèbre que redouté. Une histoire de Cendrillon ? Pas tout à fait. Gabriel, riche héritier illégitime, traîne une vie insouciante et désenchantée, contraint par la dernière volonté de sa mère de se marier. Lors de la nuit de noces, il découvre une vérité inattendue : la femme avec laquelle il s'est uni n'est pas celle qu'il croyait connaître.
Les souvenirs flous de l'enfance s'entremêlent dans l'esprit de Lina, comme un rêve lointain. Elle se revoit, petite fille, debout dans le grand hall froid de l'orphelinat. Le carrelage craque sous ses pieds nus, et l'air est chargé d'une odeur de désinfectant. Autour d'elle, les voix des autres enfants résonnent, des murmures d'espoir, de tristesse, de jalousie. Ce jour-là, tout changeait.
« Lina, viens ici », murmura sœur Marguerite, la voix douce, mais ferme, comme toujours. « Ils sont là pour toi. »
Lina, les mains serrées contre son vieux manteau usé, leva les yeux vers la grande porte en bois qui s'ouvrait lentement. Un homme élégant, vêtu d'un costume sombre, et une femme à l'air sévère, drapée dans une robe grise impeccablement coupée, entrèrent. Leurs visages étaient impassibles, presque figés, comme s'ils étaient venus remplir une tâche administrative plutôt que de rencontrer l'enfant qu'ils allaient adopter. Lina sentit une vague de peur mêlée à une étrange excitation monter en elle.
« Madame et Monsieur Delacroix, je vous présente Lina », annonça sœur Marguerite d'une voix légèrement tremblante, comme si elle-même avait des réserves quant à ce moment.
La petite fille observa les deux adultes avec curiosité. Elle n'avait pas l'habitude de voir des gens aussi élégants, et un brin d'admiration naquit dans son cœur. Elle se demanda si cela signifiait la fin des repas maigres, des nuits froides et des jeux solitaires dans la cour grise de l'orphelinat. Son esprit d'enfant voyait déjà des robes en soie, des lits moelleux, des rires autour d'une grande table.
« Lina, viens saluer tes parents », dit sœur Marguerite avec un sourire doux, l'encourageant à faire un pas en avant.
Lina obéit, baissant légèrement la tête, comme on le lui avait appris. Elle sentit la main froide de la femme se poser brièvement sur son épaule. Ce n'était pas un geste tendre, juste une pression légère, presque distante.
« Elle est propre, c'est déjà ça », murmura la femme en jetant un regard rapide à son mari. « Nous la prendrons. »
Lina ressentit alors un frisson glacé courir dans son dos. Le ton de la femme était si détaché, si froid, que l'espoir chaleureux qui s'était épanoui dans son cœur quelques instants plus tôt s'éteignit presque aussitôt.
« Très bien », répondit l'homme d'une voix tout aussi neutre. Il ne semblait même pas la regarder vraiment, ses yeux fixés sur les documents que la sœur lui tendait.
Le processus d'adoption fut rapide, presque mécanique. Des signatures furent apposées sur des feuilles, des formalités échangées. Quelques heures plus tard, Lina quittait l'orphelinat, une petite valise usée à la main, remplie de vêtements trop grands et de souvenirs qu'elle préférait oublier. Elle monta à l'arrière d'une voiture luxueuse, sentant l'odeur de cuir neuf et de bois verni. Tout autour d'elle, le monde semblait changer. Les rues grises et familières de son enfance laissaient place à des avenues bordées d'arbres et à de grandes maisons blanches aux fenêtres étincelantes.
Elle osa lever les yeux vers la femme qui se tenait assise à l'avant. Madame Delacroix. Sa nouvelle mère. Pourtant, rien dans son attitude ne suggérait de l'affection. Pas un sourire, pas un mot de réconfort.
« Je m'appelle Lina », murmura la petite fille, espérant engager une conversation.
La femme tourna lentement la tête, ses yeux froids la scrutant comme si elle n'avait même pas entendu.
« Je sais », répondit-elle sèchement. « Reste tranquille jusqu'à ce que nous arrivions. »
Lina hocha la tête en silence, se recroquevillant un peu plus sur son siège. L'excitation avait complètement disparu, remplacée par une sensation de malaise. Était-ce vraiment la famille aimante qu'elle avait tant espérée ? Ses petits doigts se serrèrent nerveusement autour de la poignée de sa valise, et elle regarda par la fenêtre, espérant que peut-être, une fois arrivée à destination, tout changerait.
Lorsque la voiture s'arrêta enfin devant une grande demeure imposante, le cœur de Lina battit à tout rompre. La maison était magnifique, avec ses murs blancs, ses balcons en fer forgé et ses jardins parfaitement entretenus. C'était tout ce dont elle avait rêvé. Elle s'imaginait déjà courir dans les couloirs, jouer dans le jardin, découvrir chaque recoin de cette nouvelle maison qui, elle en était certaine, deviendrait bientôt un foyer.
Mais une fois à l'intérieur, la réalité s'abattit sur elle comme un coup de froid. La maison était somptueuse, mais vide de toute chaleur. Les meubles étaient impeccablement disposés, mais il n'y avait pas de traces de vie, pas de jouets éparpillés, pas de photos de famille. Juste des pièces parfaitement rangées, silencieuses, presque austères.
« Monte dans ta chambre, » ordonna Madame Delacroix sans même un regard.
Lina, le cœur lourd, suivit l'indication d'une domestique qui lui montra un escalier majestueux menant à l'étage. Sa chambre était grande, beaucoup plus grande que ce à quoi elle était habituée. Les murs étaient d'un blanc éclatant, les draps immaculés. Mais elle n'y trouva aucune trace d'accueil. Rien ne laissait deviner qu'un enfant était attendu dans cette pièce.
« C'est ici que tu dormiras, » dit la domestique d'une voix neutre. « Madame n'aime pas les enfants bruyants. Sois discrète. »
Lina acquiesça, retenant ses larmes. Elle déposa doucement sa valise sur le lit, puis s'assit, regardant autour d'elle. Elle ne savait pas quoi penser. Était-ce vraiment ça, une vie de famille ? Tout ce qu'elle avait imaginé semblait s'effondrer.
Quelques jours passèrent, et la routine s'installa. Madame Delacroix, distante, ne s'adressait à Lina que pour lui donner des ordres ou des réprimandes. Elle la surveillait avec des yeux critiques, ne manquant pas une occasion de lui faire sentir qu'elle n'était pas la bienvenue. Chaque repas se déroulait dans un silence oppressant. Monsieur Delacroix, quant à lui, était souvent absent, et lorsqu'il était présent, il semblait tout aussi indifférent.
Un soir, alors qu'elle se tenait seule dans le grand salon, contemplant la cheminée où aucun feu ne brûlait, Lina sentit une larme couler sur sa joue. Elle se souvint des histoires que sœur Marguerite lui racontait, des contes de princes et princesses, de familles aimantes et protectrices. Rien de tout cela ne correspondait à la froide réalité de sa nouvelle vie.
Alors qu'elle s'apprêtait à monter dans sa chambre, Madame Delacroix fit irruption dans la pièce, son visage fermé.
« Lina », dit-elle d'un ton sec. « Je t'ai observée. Ne pense pas que tu vas t'en sortir en jouant la petite orpheline triste ici. Tu as été adoptée pour une raison, et crois-moi, ce n'est pas pour t'offrir une vie de princesse. »
Lina resta figée, le cœur battant. C'était la première fois que Madame Delacroix lui parlait de cette façon, et ces mots résonnèrent durement dans son esprit. Tout devenait clair à cet instant. Elle n'était pas là pour être aimée ou choyée. Elle était simplement... un pion, une présence tolérée pour une raison qu'elle ignorait encore.
Cette nuit-là, seule dans son grand lit froid, Lina réalisa que ses rêves d'un foyer chaleureux et d'une nouvelle vie heureuse étaient des illusions. Elle n'était pas une princesse dans un conte de fées. Elle était Lina, une petite fille perdue dans un monde où l'amour et la chaleur semblaient inexistants.
Et pourtant, quelque part au fond de son cœur, une petite lueur d'espoir refusait de s'éteindre complètement.
Les jours qui suivirent l'arrivée de Lina dans la maison Delacroix furent loin d'apporter le réconfort qu'elle espérait. Bien au contraire, elle se retrouvait piégée dans une routine froide et implacable, où chaque geste, chaque mot semblait peser sur ses frêles épaules. La demeure luxueuse qui aurait dû représenter un refuge était devenue un véritable théâtre de souffrance, dissimulé derrière les murs immaculés et les apparences de richesse.
Madame Delacroix n'avait de cesse de la surveiller, toujours avec ce regard dur et critique. Le moindre faux pas, le moindre souffle de travers était prétexte à une remarque acerbe. Lina passait ses journées en silence, craignant à chaque instant de décevoir ou de provoquer l'irritation de cette femme qui se faisait appeler « maman » par obligation et non par affection.
Un matin, alors qu'elle tentait de se lever discrètement de table après un petit-déjeuner où l'atmosphère était, comme d'habitude, pesante, la voix glaciale de Madame Delacroix l'arrêta net.
« Lina ! »
Lina se figea, le dos tendu, les mains tremblantes alors qu'elle tenait encore sa tasse de porcelaine entre ses doigts.
« Oui, madame ? » répondit-elle d'une voix étouffée, n'osant pas croiser le regard de sa mère adoptive.
« Où vas-tu comme ça ? Crois-tu que je ne t'ai pas vue ? » Les mots étaient tranchants comme des lames, chaque syllabe s'abattant sur elle avec violence.
« Je... je voulais juste... » balbutia Lina en regardant ses pieds, le cœur battant à tout rompre.
« Juste quoi ? Crois-tu que je ne remarque pas ta paresse ? Toujours à éviter les corvées, toujours à fuir tes responsabilités. C'est inacceptable ! » Madame Delacroix se leva brusquement, sa chaise raclant le sol de marbre dans un grincement strident.
Lina recula instinctivement, sentant la colère de la femme monter en intensité. Elle savait que quoi qu'elle dise, cela ne ferait qu'empirer les choses.
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